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dans notre ame, l'afcendant de l'exemple, la prodigieufe force de l'habitude, & par - deffus tout l'efprit de fyftême, font de puiffans ennemis qui s'y oppofent, & qui finiffent enfin par nous courber fous le joug des préjugés, fi nous ne nous roidiflons pas courageufement contre leurs efforts.

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Cette puiffance indéfinie, dont jouit tout homme dans l'état de nature, eft fondée fur fon attachement à la vie, fur le befoin de fa confervation & fur le droit qu'il a d'y veiller. Elle conftitue ce qu'on appelle le droit naturel.

Ce droit n'a d'autre règle que la raison, d'autre mefure que celle des befoins de celui qui en jouit.

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comme on le

L'état de nature fuppofe donc, voit, une liberté indéfinie une égalité parfaite entre tous les individus qui s'y trouvent. Sans ces deux conditions inféparables l'une de l'autre, l'homme ne pourroit point exercer fon droit naturel; il ne fauroit veiller efficacement à fa confervation.

Si l'homme, dans l'état de nature, a le droit de punir lui-même quiconque chercheroit à le troubler dans fes franchises & dans l'exercice de fon droit naturel, cette vengeance eft circonfcrite par les loix du befoin & de la néceffité; en forte qu'il fuffit à l'offenfé de mettre le coupable dans l'impoffibilité de nuire, fans qu'il lui foit permis de fe livrer à une cruauté inutile, qui ne tendroit qu'a fatisfaire fa paffion, en même tems qu'elle violeroit le droit naturel des autres.

Ceue loi, qui défend de pouffer la punition au-delà des limites néceffaires pour punir le crime, limite auffi le droit naturel de l'homme, aux chofes fuffifantes à fes befoins & à fa confervation; en forte que fi pouvant fubfifter avec une quantité déterminée de fruits, it en prend le double, & en prive ainfi les autres hommes, alors il commet

unc ufurpation & un délit contre le droit naturel, Quiconque manquera de nourriture, aura le droit de ravir & de s'approprier celle que l'ufurpateur aura de trop.

Tels font les fondemens de la morale naturelle antérieure à toutes espèces de conventions fociales, & fans laquelle toute légiflation ne feroit qu'un fyftême d'injuftice & d'oppreffion. Plus les loix s'en rapprochent, & plus on doit les respecter, parce qu'elles font alors plus adaptées à noire nature & à notre origine.

Si donc, comme l'on n'en fauroit douter, la nature a voulu que tous les hommes naquiflent égaux & libres, puifqu'elle a voulu qu'ils veillaffent tous également à leur propre confervation; que devient alors le fyftême de ceux qui regardent l'efclavage comme une chofe établie par la nature même? Qui ofe citer en preuve l'autorité paternelle comme un témoignage de la fupériorité abfolue d'un homme fur un autre? Ce fyftême, tout abfurde qu'il eft, a eu des partifans célèbres, qui ont cru voir dans le droit des parens un pouvoir arbitraire, une puiffance indéfinie fur les enfans, la fource & la bafe du defpotifine. C'est ce que nous allons examiner.

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Sans doute elle étoit indifpenfable cette tendre protection des pères & des mères. Car, fi vous jettez les yeux fur l'état de foibleffe, d'ignorance & de douleur, où fe trouve un enfant en naiffant; à combien d'accidens ne le trouverez vous pas expofe? Que d'ennemis l'entourent! que de befoins lafliègent! Foible & languiffant, la vie ne femble que commencer chez lui; elle va bientôt s'évaporer méme, fi les foins de fa mère, fi fon lait & fes attentions ne fe hâtent point de la fixe dans ce corps fragile & à demi-vivant.

Mais ce qu'il y a d'étonnant aux yeux du philofophe, dans cette conduite empreflée des parens

pour leurs enfans, c'eft qu'elle n'eft point réfléchie, c'eft qu'elle eft l'effet d'une caufe impéricufe & toujours active, qui nous porte à remplir agréablement ce devoir de la nature.

Quoiqu'il ne foit point facile de prononcer jufte fur la caufe d'un pareil phénomène, il n'en eft pas moins vrai que nous devons regarder la douceur que nous trouvons à élever nos enfans comme uue des faveurs de la nature, qui mérite notre admiration & notre reconnoiffance, & qui nous prouve fa profonde fageffe, & l'intérèt qu'elle prend à notre confervation.

Me permettra-t-on de prévenir ici l'objection que l'on pourroit faire contre cette tendrelle naturelle, en lui oppofant l'abandon criminel, où des parens infenfibles laiffent leurs enfans, & les traitemens durs & condamnables qu'ils leur font éprouver ?

Ces calamités font grandes fans doute; mais elles font le fruit de nos vices, de nos ufages &, le dirai-je, de nos loix: elles ne prouvent donc rien contre ce plaifir inné, cet emprellement naturel, que nous avons à élever nos enfans.

Ainfi donc c'eft fur l'amour des parens, c'eft fur leur protection & leurs foius, que la nature a fondé la confervation des enfans; & pour donner à cette loi générale le caractère de tous fes ouvrages, elle a voulu que l'homme trouvât dans cette occupation une fatisfaction & des charmes plus grands encore que les peines auxquelles elle peut l'expofer.

Eh! fans ces foins, fans cette furveillance fi fagement ordonnée par la nature, fi univerfellement obfervée par tous les êtres fenfibles, bientôt une dépopulation générale défoleroit l'univers, la froide mort, un filence affreux régneroit fur lefpace aujourd'hui peuplé d'une multitude innombrable d'animaux de toute efpece. Créer n'étoit point affez, il falloit conferver, & l'un n'étoit rien fans l'autre.

Voilà la première bafe de l'autorité paternelle. C'eft fur cette obligation, ce devoir imprefcriptible de conferver leurs propres enfans, que repofe le droit qu'ont les parens de fe faire

obéir.

Inutilement en effet la nature eût-elle affujetti les pères & mères à la néceflité, à la loi de veiller fur la vie & la confervation de leurs enfans, fi ceux-ci n'euffent point été en mêmetemps foumis aux décifions de leurs parens; fi, livrés à leur foibleffe & à leur misère, l'expérience paternelle n'eût été, par leur infubordination, qu'une reffource impuiffante pour eux, un fecours fragile & incertain.

Mais voyez comme la nature a pourvu à ce que cette foumiffion des enfans fût aufli com

plette & auffi longue que l'exigent la foibleffe dé leur âge & le tems de leur éducation.

Tant que l'enfant ne peut s'être d'aucune utilité à lui-même, tant que fa foibleffe ne lui permet pas de faire ufage de fes organes, & de fournir fes befoins, fa volonté n'a aucune énergie; elle eft encore à naître il ne défire que vaguement, fes facultés font enchaînées, fes fens endormis l'empire de fes parens fur lui femble abfolu; il ne peut y oppofer aucune réfiftance, il n'a pas même le fentiment de la liberté.

Auffi eft-ce dans ce tems que les fecours de fon père & de fa mère lui font principalement néceffaires; & comme il ne peut abfolument s'en paffer, rien aufli en lui ne s'oppofe à ce qu'ils lui foient accordés de la manière que les parens jugent la plus convenable à fa confervation & à fon bonheur.

Mais à mefure que fes organes fe développent, que fa volonté fe fortifie, les fecours de fes parens lui deviennent moins nécessaires; il peut déjà s'en pafler à bien des égards, il commence à fentir l'énergie de fa liberté naiflante, il l'effaic; & bientôt aidée de fes forces, elle circonfcrira l'étendue du pouvoir paternel.

que les

La foumiffion de l'enfant, au pouvoir de fes parens, n'eft donc qu'une condition néceffaire à l'exercice du pouvoir tutélaire, parens exercent fur lui. Si le père & la mère cuflent pu furveiller efficacement les premières années de la vie de leurs enfans, fans exiger d'eux une foumiffion entière à leur volonté cette obéiflance eût été inutile, & n'eût pas eu lieu; car la nature ne fait rien en vain,

L'on peut donc dire que l'effence du pouvoir des parens confifte, dans la néceffité où ils font, de fe faire obéir de leurs enfans dans tout ce qui peut influer fur leur confervation, & cela auffi long-tems feulement que la foibleffe & l'ignorance de ceux-ci nécefliteront cette obéiflance.

En effet, c'eft uniquement pour conferver leurs. enfans, que les parens peuvent les commander; c'eft pour les fecourir, qu'ils ont pouvoir fur eux; c'eft pour les protéger, qu'ils peuvent s'en faire obéir; c'est pour les rendre heureux, qu'ils ont droit de les gouverner: & ce droit n'est pas un droit de pur commandement, comme celui d'un defpote; ce n'eft point un droit de jouiflance, comme celui de propriété; c'eft un droit tutélaire, & dont l'utilité doit être entiérement en faveur de celui fur qui on l'exerce.

Tout homme qui s'expole à porter la qualité de père, contracte l'obligation de veiller fans ceffe à la confervation, à l'éducation de fes enfans; il en devient le tuteur, le protecteur & l'ami. Ces titres ne lui donnent fur eux aucun droit de pro

priété. Il leur devoit fecours & protection; & forfqu'il les leur a accordés, ce n'eft qu'une dette qu'il a payee, & non une créance qu'il a acquife fur eux.

Je suis donc bien éloigné d'adopter les principes de quelques philofophes à cet égard. Si Hobbes a cru qu'une mère étoit tellement propriétaire de fes enfans, qu'elle avoit droit non-feulement de les expofer, mais encore de les faire mourir : Hobbes, tout grand logicien qu'il étoit, s'eft évidemment trompé. Les enfans ne font point une propriété des parens, pour qu'ils puiffent en difpofer ainfi.

Comment en effet pouvoir regarder un être capable de volonté, comme pouvant devenir la propriété d'un autre? Car qu'eft-ce que la propriété? C'eft l'état d'une chose tellement à notre difpofition, qu'il n'eft aucune autre règle que notre volonté à fuivre à fon égard. Or, peut-on appliquer cela à l'homme? D'ailleurs, la nature de la propriété, eft d'être toujours propriété, quelque changement qu'on lui fafle fubir; & l'homme de l'aveu même des partifans de l'esclavage, peut être affranchi & devenir propriétaire abfolu de sa perfonne.

De plus, la propriété ne peut s'acquérir que par une ceffion ou acquifition du droit de propriété. Or, qui peut vous avoir cédé des droits fur des êtres qui n'exiftent pas encore, & qui ne peuvent avoir donné action fur eux à perfonne? Ces droits ne vous ont point été cédés, ditesvous, vous les avez acquis, & l'éducation donnée à vos enfans, eft votre titre ?

Mais ne voyez-vous pas que cette éducation étoit due; que c'eft un devoir dont vous vous êtes acquitté, qui peut bien vous donner quelque droit à la bienveillance, à l'attachement de vos enfans, mais jamais aucun droit pofitif, & furtout aucun droit de propriété fur eux.

Dire avec quelques philofophes que le pouvoir paternel eft fondé fur la naiflance des enfans, c'eft, je crois, ne rien dire; car l'acte de la naiffance, comme nous venons de voir, affujettit les parens aux foins de leurs enfans; & bien-loin de leur afurer un droit, leur fait contracter une dette, dont rien ne peut les difpenfer de s'acquitter. De plus, l'acte de la naiffance eft une fuite naturelle de celui de la conception. Il eft indépen-. dant de la volonté des parens. Il est même un foulag.ment pour la mère qui, par fon moyen, fe délivre du fardeau qu'elle tient des plaifirs auxquels elle s'eft livrée.

L'on peut même affurer qu'en général les parens ne confultent guère l'intérêt de leurs enfans à venir dans le moment de la conception. Ce n'eft point le defir de faire des heureux, qui les engage à fe reproduire; c'eft le befoin aveugle,

mais impétueux de remplir le vœu de la nature ; c'est même dans un très-grand nombre d'hommes, l'attrait du plaifir & de la volupté qui les guide; & à bon droit, peut-on regarder alors l'embarras compenfation néceffaire, exigée par la nature de l'éducation phyfique des enfans, comme une pour prix de ces mêmes plaifirs.

Mais fi l'acte de la naiffance donnoit une au torité aux parens fur leurs enfans, de quelle nature feroit cette autorité ? En quoi confifteroitelle? Quel en feroit l'objet? Ce ne peut être le droit de difpofer arbitrairement de leurs enfans; car ce feroit une tyrannie, un véritable droit de propriété qu'aucun homme ne peut légitimement exercer fur un autre, fur tout aucun père fur fes enfans. Eft-ce le pouvoir de fe faire obéir? Mais cette obéiflance illimitée n'eft qu'un abns de la chofe. Il faut un motif jufte & légitime à cette obéillance, & ce motif ne peut être, comme nous l'avons vu, que l'utilité des enfans, leur confervation, leur bonheur. Ce n'eft donc point la naiffance purement & fimplement, qui foumet les enfans à la volonsé de leurs parens, c'est la néceffité de veiller fur eux, d'en éloigner le danger, de protéger leur existence. Sans cette intention, l'autorité paternelle ne feroit qu'une conceffion gratuite, & par cela même injufte, puifqu'elle feroit toute en faveur des parens, & à la charge des enfans.

L'autorité paternelle n'eft pas non plus de la nature du pouvoir monarchique. Mal-à-propos a-t-on' voulu affimiler l'un à l'autre ?

Car, quoiqu'il foit vrai de dire que l'autorité paternelle ait pour objet le bien des enfans, comme celle du monarque a pour objet celui de fes fujets, il y a cependant une prodigieufe & réelle différence dans l'origine de l'une & de l'autre. La première eft le réfultat d'une obligation naturelle; la dernière d'un contrat focial, d'une con-. vention civile. Dans le régime monarchique, les citoyens fe font engagés librement à obéir à leur prince, fous certaines conditions. Mais l'enfant' qui vient de naître, quel engagement a-t-il pu prendre? Quel pacte a-t-il pu former?

Il feroit inutile de multiplier les objections contre le fentiment que nous avons adopté. Il eft' fondé fur l'intention que montre par-tout la nature de conferver des ouvrages. Il et étayé des forces de la raifon qui ne veut point que celui, envers qui l'on eft tenu d'acquitter une dette facrée, devienne débiteur, avant d'avoir contracté aucun engagement volontaire. Il affure aux parens une autorité raisonnable & légitime, met obftacle à l'abus qu'ils pourroient en faire, & conferve aux enfans cette liberté précieufe, que tout homme tient de la nature, & qu'aucune puidance n'a droit de lui ôter.

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Mais fi cette autorité n'eft fondée que fur la foibleffe de l'homme, fur le befoin qu'il a d'un fecours étranger pour affurer fon repos & fa vie contre les dangers qui le menacent elle doit avoir un terme. L'enfant n'eft pas toujours enfant. La nature a déterminé l'inftant où il feroit injufte qu'elle chargeât encore les parens du foin de fa confervation; ce devoir doit enfin finir, & avec lui le droit de commandement qui l'accompagne. Voyons comment l'on peut reconnoître cette époque, elle nous indiquera les limites du pouvoir. Cherchons en même tems à déterminer jufqu'où peut s'étendre le droit qu'ont les parens de fe faire obéir de leurs enfans, quelles font les chofes qu'ils peuvent légitimement leur ordonner ou leur défendre, & la portion de liberté qui reste à ceux-ci, lors même qu'ils reconnoiflent encore les droits de l'autorité paternelle fur eux.

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Locke

gouv. civ.

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Les liens de la fujetion des enfans, fuivant ch. s, font femblables à leurs langes & à leurs premiers habillemens qui leur font abfolument néceffaires, à caufe de la foibleffe de leur enfance, mais que l'âge & la force leur rendent enfuite fuperflus & embarraffans. Ainfi fous quelque point de vue qu'on l'envisage, le pouvoir paternel ceffe avec l'utilité qui le motivoit, & finit quand la confervation des enfans n'en exige plus le fecours.

Mais par une raison contraire, par- tout où l'intervention de ce pouvoir fera néceffaire au bien des enfans, les parens auront droit de fe faire obéir. Pourquoi? Parce qu'éclairés par l'âge qui donne ordinairement l'expérience. parce qu'inftruits de ce qui peut naire ou être utile, parce qu'éveillés par l'amour paternel, ils font au fein de leurs familles, plus que perfonne, en état de juger des chofes qui peuvent expofer la vie ou troubler le bonheur de leurs enfans.

Nous l'avons déjà obfervé, fi l'homme venoit

au monde avec la fomme de connoiffances & de forces néceffaires à la confervation de fon existence, l'autorité paternelle feroit nulle, parce qu'elle n'auroit aucun objet d'utilité pour celui fur qui on l'exerceroit. Elle n'offriroit qu'une reftriction g atuite & illégitime à la liberté naturelle de l'homme; mais abfolument incapable de faire pfage de cette liberté par la foibleffe de fes or

ganes & de fa raifon : c'eft dans les facultés de les parens mêmes, que la naure en a placé le dépôt; c'eft en éloignant de lui le danger, en foutenant fon exiftence par des fecours journaliers, qu'ils fuppléent à l'impuiffance, où le trouve cette foible créature de protéger fon existence, veiller à fa confervation, & maintenir fon indépendance.

Car, on ne doit pas perdre de vue, que c'est encore à maintenir l'indépendance primitive de l'homme, qu'eft deftiné le pouvoir des parens, bien-loin qu'il puifle fervir à la détruire ou à la dénaturer. Sans le fecours paternel, en effet, l'enfant, incapable de défense, deviendroit également & la proie de celui qui voudroit s'en emparer, & l'efclave de quiconque oferoit l'aflujettir. Des chaînes, qu'il ne peut foulever, femblent tenir fes foibles mains liées pendant les premières années de fa vie. Tout ce qui l'entoure, pourroit devenir fon maître ou fon tyran, s'il n'avoit pas dans la puiffance tutélaire de les parens un fecours prompt, une protection affurée contre les dangers de l'esclavage.

Ces raifons, en même tems qu'elles viennent à l'appui du droit qu'ont les pères & mères fur leurs enfans, prouvent auffi qu'il ne peut s'étendre jusqu'à détruire la liberté primitive, l'indépendance naturelle de ceux-ci. Car, deftinés par la nature à veiller fur le bonheur de leurs enfans, obligés de leur conferver leurs droits naturels, dépofitaires de leurs immunités, des parens pourroient-ils, fans crime, prétendre au chimérique & injufte pouvoir de leur ravir leur liberté le premier, le plus grand de tous leurs biens ?

Mais, dira-t-on, fi un enfant veut fon mal, certain qu'on ne peut défirer fon mal que par doit-on refpecter fa volonté? Je réponds qu'il eft erreur. Alors le devoir des parens eft d'éclairer leurs enfans, de leur montrer en quoi ils s'égarent, & non point de donner des ordres impérieux, dont le motif refte ignoré. Le commandement laiffe l'homme dans l'ignorance, & ne peut tout au plus le tirer que d'un danger préfent; mais l'inftruction le met dans le cas de fe conduire avec fécurité, avec connoiffance de cause, & de ne plus s'expofer au même péril une autre fois.

L'enfant eft tellement organifé, fon développeinquiétude & fon activité peuvent l'expoler à des ment eft tellement ordonné, qu'à mesure que fon périls & à des méprifes, fa raison & fa mémoire fe montrent de plus en plus dociles aux inftructions, & fufceptibles d'acquérir & de conferver les connoiffances qu'on leur offre, & qui peuvent lui être néceflaires.

Si les parens n'ont point le droit de fe faire obéir en defpotes par leurs enfans, s'ils doivent

&

toujours motiver les ordres qu'ils donnent n'en laiffer jamais échapper d'arbitraires, bien. moins encore leur convient-il d'employer, pour les foumettre, les menaces & les châtimens? Quelque chofe que l'on puiffe dire, les peines & les punitions ne peuvent jamais être légitimes, quand elles ne font infligées aux enfans que pour acte fimple de défobéiflance. Elles feroient alors employées au maintien de l'autotité paternelle comme telles, tandis que tout ce qui fe paffe dans l'éducation, ne doit avoir pour but que l'utilité des enfans, & s'y rapporter entièrement.

Les parens, qui ne jouiffent ni du droit d'anéantir la liberté de leurs enfans, ni de celui de les punir pour défobéiflance, font encore bien moins autorisés à attenter à leur vie, à faire vio

lence à leur façon de penfer, à les affujettir à des devoirs qui n'auroient pour but que le caprice ou la vanité de ceux qui les prefcriroient.

Cependant on a vu des hommes foutenir que les parens pouvoient non-feulement vendre, expofer, mais même tuer leurs enfans, fans crime & fans injuftice. Ces principes affreux font des conféquences néceffaires du droit de propriété, auquel on a voulu foumettre les enfans. Il eft en effet jufte & conféquent que l'homme difpofe de fon bien à fa fantaisie; & fi ces enfans font fa propriété, il eft bien le maître d'en difpofer à fon gré, fans manquer à la juftice & à la raifon. Cette doctrine fut long-tems celle des Romains, & aujourd'hui même la Chine nous offre à-peu-près le même défordre.

Mais, avec un tel fyftême, on fait ou des héros prodigues de leur fang, & de celui des autres, comme à Rome, ou des fujets efclaves & fuperftitieux, comme à Pekin. Sous une pareille légiflation, l'on doit toujours redouter les efforts de la liberté captive, contre les procédés froids & tyranniques du defpotifme paternel, le plus abfurde & le plus révoltant de tous, parce qu'il eft le plus oppofé au vou de la nature. N'anticipons point fur ces réflexions, elles trouveront leur place ailleurs.

Mais fi toutes les forces de la raifon & de la fenfibilité fe foulèvent contre ce droit injufte de vie & de mort, fur un être envers qui l'on n'eft tenu qu'à des devoirs, fur un être qui n'a pu confentir à ce droit, qu'on a forcé de naître dans un état de foibleffe & d'ignorance; fi, dis-je, la raifon & la fenfibilité profcrivent ce droit prétendu, en fera-t-il de même du droit qu'on peut fuppofer aux parens de contraindre leurs enfans à adopter leur manière de penfer fur les objets qui les intéreffent le plus, tel que le culte, les prinapes de la morale, & les notions du jufte & de l'injufte? Peuvent-ils légitimement les forcer à n'avoir d'autre opinion que la leur à cet égard?

Pour répondre à cette question, j'obferverai qu'on doit diftinguer différens périodes dans le cours d'éducation que les parens doivent à leurs enfans.

Dans les premières années de la vie, où l'ame s'agrandit par l'acquifition des idées, où les organes des fens fe développent par l'action continuelle qu'exercent fur eux les objets extérieurs, ou l'homme n'eft encore qu'en efpérance; dans de pareils momens, il feroit également inutile & abfurde de vouloir contraindre un enfant à se pénétrer de tel ou tel principe, de telle ou telle opinion.

déjà donner de la valeur aux chofes, il eft pofliA un âge plus avancé, quand fa raifon faic ble & quelquefois utile de déterminer fon efprit à adopter un fentiment de préférence à un autre, s'y prêtera facilement; fon ame, fortie fraîchement comme il n'a encore reçu aucune impreffion, il des mains de la nature, prendra la forme qu'on voudra lui donner. Alors on peut, fans violence & fans abfurdité, lui faire prendre telles idées qu'on jugera convenables; on peut l'aflujettir à une croyance particulière, lui tracer un plan de morale, lui dicter ce qu'il faut qu'il croie, & ce qu'il doit rejetter; en un mot, faire de l'enfant un profelyte de quelque doctrine, de quelque fyftême que l'on voudra. Indifférent fur tout ce qui ne s'offre point à fes fens, il prendra l'idée qu'on voudra lui infpirer de tout être immatériel, toute fubftance dont il n'a aucune notion fixe & déterminée.

de

Mais fi, à une époque affez avancée dans fa vic, pour que l'enfant fe foit déjà décidé fur ce qu'il doit penfer, de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, de ce que les hommes croient, ou de ce qu'ils ne croient pas, fes parens vouloient, par une prétention exagérée, lui faire adopter une . opinion oppofée à la fienne; alors il peut refufer d'obéir, il a droit de méconnoître, en cela, le jufqu'à faire violence aux fentimens & à la façon pouvoir de fes parens, qui ne fautoit s'étendre de penfer de leurs enfans.

En effet, l'autorité paternelle, contenue par fon objet dans le foin de la confervation des enfans, ne doit point s'échapper au-delà. Elle ne fauroit donc, fans injuftice, chercher à détruire, par la voie de l'autorité, des opinions qu'ils croient raifonnables, qu'ils ont librement adoptées. Sans cette reftriction du pouvoir des parens, il anéantiroit bientôt la liberté des enfans; ce qui lui eft interdit par le motif mème qui l'a établi.

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