Page images
PDF
EPUB

tement, pour n'être pas connu pour l'auteur de cette pièce, et la donna ensuite, suivant les uns, à M. du Dresnai; suivant d'autres, à un conseiller, qui le présenta à l'évêque de Bayeux. Ce dernier en donna connaissance à MM. les évêques de Dol et de Tréguier, ainsi qu'à plusieurs membres du clergé, qui refusèrent, comme l'ont fait tous les autres, de prendre les armes, préférant de quitter l'île. Un très grand nombre demanda aussitôt des passeports.

M. du Dresnai fut appelé, m'a-t-on dit, aux états de l'île, le 22 dudit mois de février. On a répandu qu'il y prit le parti des ecclésiastiques qu'on voulait renvoyer en Angleterre, 1° parce qu'ils refusaient de prendre les armes; 2° parce que quelques Jersiais (cent cinquante, suivant le dit-on), avaient embrassé la religion catholique, et avaient même fait abjuration. 3° Enfin, sous prétexte de la disette et cherté des vivres : on débita que M. du Dresnai avait représenté aux états que s'ils renvoyaient les ecclésiastiques, il partirait aussitôt avec le corps des émigrés ; et qu'il allait présenter, à cet effet, une pétition au gouvernement. Les états ne décidèrent rien le jour, ou s'ils le firent, rien ne transpira; mais le 25, ils s'assemblèrent et décidèrent que les ecclésiastiques ne prendraient point les armes ; que si les patriotes venaient attaquer l'île, ceux qui se présenteraient de bonne volonté seraient employés à porter des vivres aux troupes, et à donner du secours aux blessés. Le

même jour, les états arrêtèrent de nouveau d'empêcher et de faire défense aux ecclésiastiques de convertir à la religion romaine les habitans de cette île, où était, disaient-ils, heureusement établie la religion réformée; et firent publier et afficher cette défense qui portait que toutes plaintes faites de la part des notables, seraient reçues (*)

« Le dimanche, 11 mai 1794, à deux heures du matin, commença la fête militaire ordonnée par milord Beleare, commandant en chef de l'île; on tira le canon d'alarme; la milice de l'île, les trois régimens, les différentes compagnies détachées, le corps des émigrés aux ordres du marquis du Dresnai furent sous les armes et réunis à huit heures du matin sur la grève, au-dessous de l'hôpital général. A huit heures et demie, ces différens corps, au nombre de sept à huit mille hommes, chacun avec son train d'artillerie, défilèrent et traversèrent la ville, tambours battans et drapeaux déployés, au son d'une musique charmante, pour se rendre à la baie de Grouville, afin de s'opposer à une descente simulée des Français.

(*) La note suivante, écrite de la main de d'Argens, sur un carré de papier détaché de son Mémoire, peut se placer ici, quoiqu'elle soit d'une date postérieure: « Plainte portée par l'avocat, stipulant l'office de procureur-général du roi, le 7 mars 1795, contre quatre ecclésiastiques, l'évêque e de Treguier, un gentilhomme français et une servante, < pour avoir converti à la religion romaine deux Jersiaises. »

[ocr errors]

Dans les environs, sont deux redoutes sur les hauteurs du Hoc et du Verclu. Les états donnèrent, le 5 du courant, à la première, le nom de Fort des émigrés : ils l'ont, à la vérité, en y comprenant les ecclésiastiques, presque totalement construit; il rappellera, dans tous les temps, à l'île de Jersey, à l'Angleterre entière, le souvenir de ces illustres malheureux. La seconde de ces redoutes, construite en grande partie par les habitans de l'île, fut nommé le Fort Beleare. A dix heures, les différentes colonnes étaient à leur poste; à dix heures et demie le canon des émigrés annonça la première attaque : l'artillerie y fut des mieux servie, la mousqueterie des plus vives; l'ennemi, quelque temps après, fut supposé abandonner ce fort et se porter sur celui de Beleare; c'était le poste que défendaient les émigrés. A leur air, la réalité les eût plus amusés que le simulacre; les différens feux y furent parfaitement exécutés. Pendant les deux attaques, celui du vieux château, de la tour carrée et de tous les autres forts fut terrible. A une heure après midi, les différentes colonnes quittèrent leurs postes, et descendirent dans la plaine. Pendant cet intervalle, tous les forts en général tirèrent à boulet, à toute portée. Cette canonnade amusa infiniment les spectateurs; chacun y voyait la distance à laquelle il eût atteint l'ennemi. L'infanterie légère se porta sur les parapets, établis le long de la grève, fit feu et se replia sur les corps qui arrivaient successivement

en colonnes. Enfin, se forma la ligne vraiment majestueuse de toute la petite armée : elle s'avança jusqu'au bord, et l'on y exécuta tous les feux avec unc précision étonnante. Une salve générale de la inousqueterie, de l'artillerie de tous les forts, et des bombes qu'on lança des vieux châteaux, des Huzzas, répétées avec enthousiasme, terminèrent cette superbe et brillante fête. Ce qui contribua le plus à sa beauté, fut la sérénité du jour, la présence des trois quarts des habitans de l'île; et ce qu'il y eut de plus heureux et de plus remarquable, c'est que l'allégresse des habitans ne fut troublée par aucun événement malheureux, ce qu'il faut attribuer aux ordres précis et bien calculés du commandant, dont la prudence et la tactique sont consominés, à la capacité peu commune des autres chefs, et à la conduite vraiment distinguée de la troupe.

« De Paris, le 12. Trente-trois personnes ont été condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire. On remarque dans cette affreuse liste madame Élisabeth, sœur de Louis XVI. On l'a été chercher au Temple le 9, à huit heures du soir, pour la mener devant le tribunal. Son grand caractère, sa vertu, sa constance, ses tendres soins pour le roi et la reine, la mettent au-dessus de tout éloge: son interrogatoire et ses derniers momens suffiront pour faire connaître à la postérité cette illustre princesse, qui, par le dernier acte de sa vic, a couronné tous les autres. Quel est votre nom?

Élisabeth - Philippine-Marie-Hélène de France. Votre qualité? Tante du roi.

Le tribunal la condamna aussitôt à la mort, comme coupable de conspiration contre la république. Peut-on voir le spectacle que nous fournit la France, l'innocence périssant sur l'échafaud et le crime triomphant, et douter encore d'une vie future?

Le due d'Yorck donna, le 7 du courant un ordre dont l'humanité contraste parfaitement avec l'extravagante barbarie du décret de l'assemblée nationale, qui ordonne de ne faire aucun quartier aux Anglais et aux Hanovriens.

« Par la dépèche officielle, datée de Corté dans l'île de Corse, le 21 juin dernier, on apprend que cette île, représentée par les députés assemblés en général-consult, a reconnu, presque à l'unanimité, et avec une satisfaction qui tenait de l'enthousiasme, sa majesté britannique pour son souverain, et lui a offert le serment de fidélité qui a été accepté. Ces mêmes députés sont aussi convenus d'une constitution, suivant laquelle ils desirent d'être gouvernés, et dont les traits principaux sont: « 1° Le pouvoir législatif résidera a dans la personne du roi, représentée par le « vice-roi et le parlement. Sa majesté a le veto absolu, et le pouvoir de dissoudre ou de proroger « le parlement; mais dans l'un et l'autre de ces « cas, le roi doit indiquer une autre convocation « dans l'espace de quarante jours. Chaque législa

«

« PreviousContinue »