Page images
PDF
EPUB

RELATIVE A LA GUERRE

DE LA VENDÉE ET DES CHOUANS.

LETTRES DIVERSES

DE ROYALISTES, VENDÉENS Et chouans,

TROUVÉES SUR EUX APRÈS LES AFFAIRES DE QUIBERON ET AUTRES, QUI ONT PRÉCÉDÉ ET SUIVI LA PACIFICATION DE LA VENDÉE; OU INTERCEPTÉES ET SAISIES A DIFFÉRENTES ÉPOQUES, PAR LES AGENS DU GOuvernement RÉPUBLICAIN.

Plan d'un royaliste émigré, adressé à un ministre que l'on présume être l'un de ceux du roi d'Angleterre.

MONSEIGNEUR,

Quel jour pour S. M. ! ce sera, j'ose l'espérer,

le plus beau de ma vie : délicieux moment pour un roi bienfaisant! Il est sans contredit, plus grand de rétablir des princes malheureux sur leur trône, que d'en conquérir. L'empereur Trajan l'a fait en petit; votre bon maître va le faire en grand; et vous, monseigneur, vous partagerez avec lui les honneurs de l'immortalité.

O mon trop malheureux roi! si tu avais eu la force de choisir et de protéger un tel ministre, tu vivrais encore, et je serais heureux.

Permettez-moi, monseigneur, de vous rappeler quelques idées, d'après lesquelles j'ai conçu le projet, dont je vais, ci-après, vous donner l'esquisse, autant que la prudence me le permettra.

De même que pour donner la mort à l'hydre, il faut d'un seul et même coup, lui couper ses cent têtes, de même pour subjuguer une grande nation, naturellement brave, terrible dans le désespoir, d'ailleurs, électrisée et fanatisée par des monstres, au point d'avoir sur elle une autorité égale à celle du vieux de la Montagne, une nation dont la majeure partie est sous les armes; il n'est pas suffisant de lui faire vaguement la guerre, de lui couper les vivres : elle a trop de ressources.

Il faut des coups sûrs: toutes demi-mesures sont donc très préjudiciables. Il faut donc mettre en jeu tous les moyens possibles, physiques et moraux; ceux-ci, d'ordinaire, ont toujours influencé ceux-là. Il faut donc étudier l'esprit de la nation, les habitudes, les mœurs de son ennemi : nulle autre plus que la nation française, n'est asservie aux opinions, aux préjugés, aux idées neuves et imaginaires. Ceux qui la tyrannisent et gouvernent aujourd'hui, la connaissent et en ont su tirer parti.

Notre histoire nous en donne un exemple sous le règne de Charles VII. Dunois, Richemont, Saintrailles, La Hire, et ces fameux capitaines sentirent bien que jamais leur valeur, leurs talens ne suffiraient pour faire rembarquer les Anglais.

Ils eurent habilement recours au merveilleux, produisirent Jeanne d'Arc, et Charles VII fut sauvé autrement Londres serait, aujourd'hui, la capitale de quatre royaumes.

Dans l'histoire d'Angleterre, la descente du prétendant nous offre un autre trait bien remarquable. Ce prince se trouvant à la tête de quatre à cinq mille Écossais, ne dut ses premiers succès qu'à la nouvelle et extraordinaire tactique de ces braves montagnards; il est encore certain que les troupes de ligne qu'on envoyait contre eux, les redoutaient et même fuyaient devant eux : si ce prince eût eu des secours, s'il eût pu réparer ses pertes, inévitables même dans les plus heureuses victoires, sa défaite à Culloden, eût été douteuse. Les esprits, pour lors, étant très agités, Londres se trouvait en danger.

De toutes les puissances de l'Europe, sa majesté est la seule capable d'exiger un autre ordre de choses.

Puisqu'elle desire de bon cœur la cessation des malheurs de mon roi, j'ai l'honneur de lui proposer la levée d'un corps, dont le nom, l'uniforme, l'armure et la tactique feront une scnsation qui fera époque.

Plus ce corps sera nombreux, plus tôt sa majesté aura l'effet desiré. Oui, j'ose hardiment vous assurer, que ce corps aura le double avantage, et d'entamer la contre-révolution, et de détruire les

satellites des brigands, surtout quand ils seront rangés en bataille.

Dans sa composition, je ne serai point astreint à la taille, j'emploierai tous individus, pourvu qu'ils soient sveltes, ingambes, tout nerfs, aux pieds de biche, et s'il était possible, je leur donnerais des ailes; la très grande agilité et surtout l'abordage, étant les deux grands moyens de ma tactique. Oui, je serais sûr de mes coups au point qu'ils ne pourraient être parés. Le feu grégeois n'eut jamais un effet plus terrible comme des vautours, nous nous attacherons à l'ennemi, et lui déchirerons les entrailles.

Ma tactique est très simple et très facile. Quinze jours suffiront pour l'apprendre, tant à l'officier qu'au soldat.

Il est de la dernière conséquence qu'elle soit ignorée, pas même soupçonnée, le secret en est l'âme. Je n'ose donc, ici, vous la rendre ostensible: elle ne le sera, même au corps, qu'au mo̟ment précis pour l'instruction, pour, de suite, être en activité.

Tout ce qui est habitude et routine ne fait plus de sensation. Aujourd'hui, l'Européen affronte les plus grands dangers, donne et reçoit la mort, sans seulement y songer. Par ma tactique, je réveillerai bien chez l'ennemi cette crainte naturelle de la mort; et tel qui se présentait sans effort à l'embouchure d'un canon, n'osera nous regarder en face, et sera vaincu d'avance.

S'il plaît à S. M. de me donner son agrément, et les facilités de lever ce corps, je suis, par ma conviction, autorisé d'avancer qu'il serait formé, organisé et en état d'agir dans deux mois. Je suis sûr de trouver dans la Vendée, mon pauvre pays, où est actuellement mon épouse, une bonne partie de mon affaire; M. Charette d'ailleurs se fera un devoir de me faciliter cette levée, lorsqu'il saura mon intention, et sur la recommandation de S. M.

Je la supplie de m'accorder le bénéfice de l'invention, c'est-à-dire le commandement, le choix et la nomination, tant des officiers que des soldats, ne voulant m'en rapporter à personne sur cet article important.

Je m'associerai mon fils, jeune homme aussi brave que zélé pour la chose, actuellement dans les hussards de Béon, et qui, par ses blessures, a contribué à acquérir à ce corps sa grande réputation.

Je supplie S. M. de donner à ce corps la paye qu'elle donne à ses propres troupes (aujourd'hui presque tous les hommes sont commandés par l'intérêt); ce qui me procurera de bons sujets, et me les attachera : toute désertion serait très préjudiciable.

Si le roi trouve ma demande trop dispendieuse, j'offre, pour y faire face, mes appointemens et ceux de mon fils. N'ayant à cœur que la gloire des armes de S. M. et le rétablissement de mes

[ocr errors]
« PreviousContinue »