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son vaste empire. Le duc, de retour de Pétersbourg, le 14 dudit mois de février, rapporta la réponse, que le prince de Condé adressa le même jour, par une lettre circulaire, à la noblesse. Les offres de l'impératrice étaient que, dans le cas où, contre toute attente, les malheurs de la France seraient sans ressources, elle donnait aux émigrés, femmes et enfans, de quelque état et condition qu'ils fussent, des habitations dans un pays, situé au quarante-cinquième degré de latitude, et d'une température agréable; qu'ils conserveraient leurs usages, leurs mœurs et leur religion; qu'ils auraient un évêque et des prêtres; que leurs propriétés seraient contiguës; enfin, que tout serait français. L'impératrice avait encore donné ordre à ses ambassadeurs, de racheter, chez toutes les puissances, les gentilshommes et autres émigrés quelconques, qui auraient pris service dans leurs troupes, après le licenciement de l'armée des princes, frères du roi très chrétien.

Au commencement de mars 1793, la noblesse et le clergé tinrent des assemblées, pour délibérer s'ils devaient faire une adresse aux princes, au sujet de la mort du roi, et s'ils reconnaîtraient MONSIEUR pour régent. Le 12 du même mois, le tiers de Bretagne, réfugié à Jersey, s'assembla également pour délibérer s'il ferait, concurremment avec les deux autres ordres, une adresse aux princes. Il fut tardé de délibérer jusqu'au 14, afin de conférer auparavant ayec MM. de l'église et de

la noblesse, et de savoir s'ils se réuniraient pour cette adresse; mais ils décidèrent que, ne pouvant représenter les états de la province, chaque ordre ferait son adresse séparément c'est ce qu'un membre, député par la noblesse, observa au tiers, assemblé le 14. Bientôt après, trois adresses furent présentées à l'assemblée : elle décida que les trois serviraient pour en faire une, laquelle serait rédigée par M. Jayniard. Trois jours après, elle fut faite et signée par les membres du tiers. Dans les adresses des trois ordres, MONSIEUR fut reconnu pour régent.

« Le 20 mars, il y eut une assemblée tenue par la noblesse. Je ne puis en rien dire de positif, vu les rapports différens qui en ont été faits. Les uns disaient qu'ils s'étaient assemblés, au sujet d'une pétition faite aux états, pour demander le renvoi des émigrés à la grande terre. La majeure partie des habitans refusa de signer cette pétition. D'autres, au contraire, disaient que c'était pour répondre à une lettre de M. Botherel, sur le sort des émigrés; car il était mention de passer, les uns en Hollande, les autres en Canada, et de mettre ceux qui le voudraient dans les troupes anglaises, ou de former des bataillons d'émigrés; mais il fut dit aussi qu'on y décida de consulter les princes, avant de prendre un parti. C'est à peu près dans ce temps que la noblesse bretonne s'assembla, à différentes reprises, pour voir de faire un emprunt, au nom de la province, afin de subvenir aux besoins des émigrés de ladite province, qui manquaient de

fonds. L'emprunt n'eut pas lieu, tant parce que la noblesse ne s'accorda pas, qu'à cause de la solidarité qu'on exigeait, au cas que les états de la province ne voulussent pas acquitter cet emprunt.

Dans le courant du même mois, MM. les comtes de la Châtre et de Botherel, présentèrent au comité des secours pour les émigrés de France, tant nobles que prêtres, une lettre, écrite et à eux envoyée par MONSIEUR, frère du défunt Louis XVI, par laquelle il fait ses remercîmens à MM. du comité, de tous les soins qu'ils ont pris pour obtenir et faire distribuer, avec sagesse, les secours que l'humanité de la nation anglaise accordait abondamment aux malheureux émigrés. Il s'excusait de ne pouvoir subvenir au secours des émigrés, réfugiés en Angleterre, vu la nécessité où il était de conserver, pour le nombre considérable d'émigrés qui sont en Allemagne, où ils n'ont pas les mêmes ressources, les fonds bornés qu'il tenait de la générosité des puissances.

α

Dans ce temps à peu près (2 avril), les émigrés qui voulaient s'inscrire comme volontaires, pour faire, disait-on, une descente avec les Anglais, allaient, à cet effet, chez M. Desille, qui recevait les inscriptions. Dans l'engagement que l'on faisait souscrire aux émigrés, d'après la décision de quelques anciens seulement, j'entendis rapporter qu'on offrait de faire le service dans l'île, et avec la liberté de se retirer toutes et quantes fois on le voudrait; mais que, dans le premier projet d'enrôle

ment, on avait souscrit, purement et simplement, de servir S. M. B., sans désigner où ni comment, et sans nulle réserve; ce qui empêcha la très grande majorité des émigrés de s'enrôler, et ce qui fit adopter l'autre plan, de ne s'enrôler que pour la défense de l'île.

(Ici il y avait, dans le manuscrit original, des détails insignifans que le premier Éditeur a laissés de côté pour transcrire ceux qui suivent, et qui sont du plus grand intérêt.)

« A travers la tristesse qui règne sur le visage de la reine, on remarque une résignation, une certaine fermeté, qui prouvent combien cette princesse a l'âme forte, et susceptible de tous les grands sentimens qui mènent à l'héroïsme. L'enfant auguste, qui croît à vue-d'œil, demanda dernièrement à sa mère: Ne verrons-nous donc plus papa? Trop tôt, peut-être, mon fils, répondit-elle; trop tôt pour vous, au moins; car, pour moi, la mort ne sera que l'instant du repos. Prenant ensuite le dauphin dans ses bras, ainsi que sa fille: Sans vous, hélas! mes chers enfans, ajouta-t-elle, j'appelerais cette mort, qui serait bien moins cruelle que ma destinée; vous seuls m'attachez encore à la vie. Et les trois infortunés confondirent leurs larmes ensemble.

er

Dans la nuit du 1 au 2 août, deux officiers municipaux se rendirent à la tour du Temple, quelques temps avant minuit, pour annoncer à la reine le décret de la convention, au sujet de son

déportement de la prison à la conciergerie. Sa majesté était au lit : Faut-il me lever? leur demandat-elle. Les municipaux lui dirent que oui; alors elle les pria de se retirer, afin qu'elle pût s'habiller: ils eurent cet égard. Quand la reine fut habillée, les municipaux la fouillèrent, et lui prirent 25 louis en or, qui étaient dans son portefeuille, qu'elle demanda instamment à garder. On lui permit de faire un petit paquet de linge, de l'emporter, outre trois chemises, quelques bonnets, un déshabillé et un cotillon de soie noir. Elle demanda à avoir une entrevue avec sa fille et madame Elisabeth, et cela fut accordé avec quelques hésitations. Madame Elisabeth entra d'abord dans l'appartement, fondant en larmes, désespérée et presque entièrement privée de ses sens, elle se précipita bientôt dans les bras de la reine, qui conserva la plus grande fermeté dans cette scène touchante. Quand Madame Royale parut, la reine lui dit : Ma chère fille, tu connais la religion; tu dois avoir recours à ses consolations, dans toutes les circonstances de la vie. La reine alors voulut voir son fils: elle en manifesta le plus grand desir; mais cela lui fut refusé. Sa majesté alors prit son paquet sous son bras, descendit l'escalier, et trouva un misérable fiacre qui l'attendait dans la cour.

Le mardi, 15 octobre, la reine fut conduite, vers 9 heures du matin, de la prison de la conciergerie, à la barre du tribunal révolutionnaire. Antoine - Quentin Fouquier, accusateur public,

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