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SUR L'ÉTAT DE PARIS AU 13 MARS 1796,

TRANSMIS PAR LE MINISTRE DE LA POLICE GÉNÉRALE,

ET PRIS SUR UN INDIVIDU ARRÊTÉ A ROUEN.

MILITAIRE.

Nuos avons environ huit mille hommes de garnison sédentaire, très mal vus: ils sont vendus aux gouvernans, qui les entretiennent et paient en numéraire très bien. Les divers états-majors sont dévoués au directoire. Ce sont les troupes soldées qui gardent le corps législatif, le directoire, la trésorerie, les principaux postes dominateurs, et surtout les barrières. A Saind-Cloud, Saint-Denis, Saint-Germain, Versailles, et autres cantonnemens des environs, il y a à peu près dix mille hommes qui se portent là où les insurrections partielles peuvent éclater, et qui doivent, en cas d'échec, servir de renfort aux armées républicaines, employées à combattre les Vendéens et Chouans.

CORPS LÉGISLATIF.

Il y a toujours grande scission entre les révolutionnaires exaltés et les républicains de bonne foi. Les assignats sont aujourd'hui la pomme de discorde: les premiers veulent cette monnoie révolutionnaire, les seconds la rejettent. Le directoire

partage l'opinion de ceux-ci, puisque tous les ministres font faire les adjudications ou entreprises des fournitures, en valeur métallique. Le conseil des anciens est formellement et diamétralement opposé à celui des cinq cents.

DIRECTOIRE.

Placé entre Carybde et Scylla, entre les anarchistes et les royalistes, il ne peut dominer qu'en opposant les premiers aux seconds, et vice versâ, et c'est ce qu'il vient de faire, en fermant et ouvrant les clubs du Panthéon, les sociétés politiques, etc. où les jacobins se rassemblent. Il place les principaux chefs: ceux qu'il craint le plus, il les éloigne même en pays étrangers, tel que JeanBon-Saint-André, envoyé à Maroc pour consul; mais il craint les événemens de la guerre. Sûr d'être dévoré par le parti anarchiste et dévastateur, qui relève sa tête sanglante, il doit plutôt pencher vers le royalisme, plus conservateur des personnes, des propriétés, et partisan d'accommodemens. Il y penchera bien sûrement, si les républicains sont battus sur le Rhin.

ESPRIT PUBLIC.

Aucun Parisien, pris individuellement, ne croit à la république: il vit au jour la journée, sans réfléchir sur l'avenir. La méfiance, qui naît des diverses opinions et du malaise; la misère, qui rend l'homme sans principes capable de toute l'exaspération qui provient du mécontentement et

de la privation générale, font que, rassemblé dans un cercle quelconque, le Parisien, apercevant une figure inconnue, prend le langage du jour, et en tête à tête, est aussi excellent royaliste, que, dans ce cercle, il paraît un républicain de bonne foi, pour ne pas dire exalté. Les événemens, plus ou moins funestes ou agréables à la république, forment l'esprit public. Avant le 13 vendémiaire (5 octobre dernier), un étranger aurait parié que, sous peu de jours, on eût relevé le trône: aujourd'hui, ce même étranger parierait que la république est éternelle.

POLICE.

Depuis qu'elle est exercée par un ministre, plus jacobin que patriote, elle est très active et très arbitraire. Les agens sont presque tous jacobins, et remplissaient ces mêmes fonctions du temps de Robespierre et du fameux comité de sûreté générale. Les jeunes gens de la première réquisition et les émigrés, y sont aujourd'hui singulièrement poursuivis, les délations encouragées, et les délateurs payés en numéraire. Ainsi, il faut bien prendre garde de ne pas envoyer de piétons ou exprès, dont l'âge pourrait faire présumer qu'ils soient immédiatement en dessous ou en dessus de la réquisition, c'est-à-dire, moins de dix-huit ans et plus de vingt-cinq, à l'époque de septembre 1793. GUERRE SUR LE RHIN.

Ou les Autrichiens seront vaincus ou vainqueurs.

Dans le premier cas, le directoire, très puissant et très satisfait, ne prendra aucune mesure de rigueur pour l'intérieur, et il poursuivra ses avantages au-delà du Rhin. Les Autrichiens se retire ront dans le fond de l'Allemagne, emportant avec eux leurs magasins et toutes les ressources du pays. Il faudra donc indispensablement que les armées républicaines, épuisées par les succès, les marches accélérées et les déplacemens de magasins, repassent le Rhin pour suivre l'ennemi, et cela ne se peut sans de grandes pertes en hommes et en chevaux. Les victoires des républicains audelà du Rhin, poignarderont la republique : elle y sera très certainement enterrée par les armées républicaines.

Dans le second cas, les Autrichiens vainqueurs s'empareront de l'Alsace, de la Lorraine, et porteront le théâtre de la guerre en Champagne, Bourgogne, et successivement dans la Belgique, qui sera reconquise. Le roi de Prusse entrera en Hollande; le prince de Condé pénétrera dans le Jura ou la Franche-Comté. Tels sont infailliblement les projets de la coalition. Alors, que fera le directoire sans cavalerie, ses armées battues, ses magasins pris ou brûlés, faute de chevaux de transport? Il sonnera le tocsin, levera le peuple en masse; il fera partir la seconde réquisition. Pour y réussir, la terreur et les incarcérations seront remises à l'ordre du jour; les terroristes et jacobins, agens indispensables de ces mesures révolu

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