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à partir pour Douvres. Arrivés à son bord, nous priâmes le capitaine de nous recevoir, ce qu'il nous accorda à la condition de rester toujours sur le pont. Nous sortîmes du port à neuf heures; comme le vent était froid l'après midi, je me plaçai auprès d'un ecclésiastique qui était couvert d'un bon manteau, et afin de me couvrir la figure, je me tins presque toujours alongé, ayant la tête entre ses jambes. Enfin, après une heure ou deux de nuit, ne pouvant plus tenir sur le pont, par le grand froid, je pris la liberté de descendre dans la petite chambre où il y avait quatre lits, occupée par un lord anglais, sa femme et ses enfans, que l'arrivée des patriotes, dans les Pays-Bas, faisait fuir; car il avait arrêté le bâtiment pour lui et sa famille. J'y pris une chaise, je me plaçai auprès d'une petite table, on m'y souffrit; et les coudes appuyés dessus j'y passai le reste de la nuit. Les autres émigrés, au nombre de douze à seize, se tinrent sur le pont, dans les escaliers, et dans la petite chambre du capitaine.

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Laissons arriver les voyageurs à Douvres, et courir toute la nuit pour se rendre à Londres, d'où, par la messagerie, ils sont transportés à Southampton; rien d'intéressant ne se passe dans ce rapide voyage. Bientôt un capitaine de Jersey leur propose d'entrer à son bord ils se rendent dans cette île, au nombre d'environ vingt émigrés, et y arrivent le 24. Ici d'Argens, après avoir fait le résumé de ses dépenses, ne lui restant que la mo

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dique somme de 129 livres 4 sous 6 deniers, de 1,221 livres qu'il avait emportées de chez lui, est obligé d'attendre les fonds tardifs de sa famille, chez un pauvre jardinier de Saint-Helier, qui le loge modestement, pour 9 livres par mois. Là, se trouvant éloigné du théâtre des événemens, il s'amuse à ranger, par ordre de dates, ceux de la révolution française, avec les faits qui le concernent particulièrement. Quelques-uns de ses aperçus pourront faire voir sous quel point de vue ces grands événemens étaient considérés chez l'étranger, suivant le rapport du personnage qui parle ici.

« Le roi d'Espagne fit communiquer, le 28 décembre, à la convention, par son ambassadeur ses intentions amicales envers ses anciens alliés, pourvu, dit-il, que la procédure de son parent Louis XVI, fût faite dans les formes de la justice et de l'humanité, et qu'après jugement définitif, le roi lui fût envoyé, afin d'adoucir son malheureux sort. Il priait la convention de faire retirer ses troupes des frontières, mettant lui-même ce projet à exécution.

« A la séance de la convention, du 3 janvier 1793, on lut l'extrait d'une lettre du général Custine, datée de Mayence, le 29 décembre dernier; elle portait : qu'il entrait ce jour-là à Mayence. Il ne dissimulait pas que ses troupes nues avaient enduré l'intempérie de la saison avec une grande patience, et qu'elles commençaient à se plaindre,

avec force, d'être exposées à une gelée rude, sans habits, sans couvertures, sans souliers et sans culottes.

« Le 12 janvier, j'ai écrit, pour la seconde fois, à ma sœur. Ne recevant pas de réponse ni de fonds, et mon argent diminuant, vu les dépenses que ma maladie me force de faire, j'ai été m'inscrire pour avoir part aux secours qui viennent de Londres, où, dès qu'on a su notre débâcle, on a ouvert des bureaux pour favoriser les vues bienfaisantes des âmes généreuses, qui se portent à subvenir au secours des émigrés. Plusieurs de ceux-ci, à leur arrivée à Londres après le licenciement, outre les secours en argent, y ont été habillés, et les malades traités et soignés aux dépens du comité, sans compter les secours particuliers, donnés par des mains charitables. Les émigrés de Jersey, ainsi que les femmes et enfans, ne sont pas oubliés dans la distribution des fonds, qui proviennent de ces souscriptions de Londres. Deux ou trois membres de la noblesse française, avec un ou deux Jersiais, sont établis par le comité de Londres, pour faire les répartitions des fonds. Ceux destinés aux ccclésiastiques, sont distribués par MM. les évêques.

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MONSIEUR, Louis-Stanislas-Xavier de France, huit jours après la mort du roi, le 28 janvier, fit à Ham, en Westphalie, sa déclaration pour reconnaître le dauphin Louis-Charles, né le 27 mars 1785, roi de France, et pour être, en vertu des

droits de sa naissance et des lois fondamentales du royaume de France, et agir comme régent de France, pendant la minorité du roi, son neveu et souverain seigneur. Le même jour, il expédia des lettres-patentes, par lesquelles il nomma et constitua Charles-Philippe de France, comte d'Artois, lieutenant-général du royaume (*).

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Le 29 janvier, j'entendis débiter que le roi de Prusse avait été manqué de neuf coups de fusil; que les soldats prussiens, ayant vu d'où étaient partis les coups, s'étaient portés dans la tour où étaient les assassins, et les avaient taillés en pièces; que le jour de l'assassinat du roi, il y eut à Paris une espèce de fédération, où l'on résolut la mort de tous les monarques de l'Europe; que la convention avait décrété la levée de huit cent mille hommes, à prendre depuis l'âge de 15 ans jusqu'à 45, sans excepter les gens mariés.

« Le premier février, le citoyen Chauvelin, député de la convention, reçut ordre de sortir de l'Angleterre. Le même jour, l'embargo fut mis, dans tous les ports de France, sur tous les navires anglais, hollandais, prussiens et autrichiens. Dès que le gouvernement anglais en reçut la nouvelle, qui arriva presqu'aussitôt, il usa de représailles; et sur-le-champ, fit arrêter tous les bâtimens français dans ses ports. Cette nouvelle, tout agréable qu'elle me parut, me désola beaucoup, vu que je

(*) Voyez les Pièces qui sont à la fin de ce Journal, No II.

n'avais point encore reçu de lettres ni d'argent. J'avais toujours été exact à me rendre chez tous les capitaines qui arrivaient de France, et toujours rien pour moi. Plusieurs de ces capitaines ont été soupçonnés, et même accusés d'avoir gardé de l'argent aux émigrés, (j'ai entendu plusieurs de ceux-ci s'en plaindre), ainsi que les lettres d'avis, pour n'être pas recherchés. Un émigré en a traduit un en justice; mais il n'a pu rien obtenir. Ces capitaines pouvaient d'autant plus agir de la sorte, qu'ils avaient, pour excuse, que les districts et municipalités arrêtaient l'argent des émigrés, dès qu'ils en avaient connaissance, et même les lettres qu'ils ne jugeaient pas à propos de laisser passer.

« Le 11 février, je me rendis chez M. Laineveau, chargé de la distribution des secours; et comme c'était la première fois, il me compta la somme de 45 livres.

« Dans les trois derniers mois, on avait beaucoup parlé d'envoyer les émigrés, réfugiés en Angleterre, en Canada, et des dispositions que le gouvernement devait prendre pour leur fournir les moyens et les ressources nécessaires, pour s'y établir et défricher la terre. A la fin de septembre dernier, où tout espoir semblait être interdit aux émigrés français, le prince de Condé avait chargé le duc de Richelieu d'une dépêche auprès de l'impératrice de Russie, par laquelle il sollicitait, pour tant de gentilshommes, sans fortune, sans patrie, un asile qui fût situé dans un climat tempéré de

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