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inévitable, à la douleur et au désespoir de ceux qui étaient sans ressources, de me rendre à Jersey, afin de passer en Bretagne s'il était possible; quoique je prévisse le contraire, étant persuadé que l'assemblée nationale rendrait un décret de mort contre les émigrés qui rentreraient, ou en tout événement, afin de tâcher de m'y faire passer des fonds. En conséquence, le soir je fus déclarer à mon capitaine que je me retirais. Il daigna me prodiguer des éloges, et me donna un permis de m'absenter que je portai aussitôt au commandant du bataillon, M. de Tathouet, pour le souscrire.

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« Le 1o novembre, 1792, d'Huy à Namur, où la dyssenterie me prit dans la nuit. Le reste du bataillon partit le jour pour Termorgne près Varennes, à trois lieues d'Huy et près Saint-Tron, où ils devaient cantonner provisoirement. L'armée du prince de Bourbon était à Namur, avec beaucoup d'Autrichiens qui se rendaient à Mons.

« Le 2, de Namur à Nivelle. Arrivé à la grande route de Bruxelles, j'eus un moment d'inquiétude. Je vis de loin des soldats qui me parurent Français et que je pris pour des nationaux; mais continuant ma route, décidé à les joindre, et après avoir bien fixé, j'aperçus un habit gris de fer à leur tête, alors je ne doutai plus que ce ne fût des déserteurs français, 'dont deux cavaliers montés, et trois soldats, avec l'officier émigré; ils me dirent qu'ils allaient rejoindre l'armée du prince de Bourbon; que les nationaux avançaient en toute dili

gence sur Mons, pour l'attaquer, et pénétrer dans les Pays-Bas, et que notre sortie de France avait répandu parmi eux la plus grande joie et la plus grande confiance. J'avais rencontré auparavant des canonniers et des canons qui avançaient vers Mons.

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Le 3, de Nivelle à Lens. A un gros quart de lieue de Mons je trouvai de la cavalerie autrichienne, et un peu plus loin je vis des pionniers qui revenaient de travailler à un fort, que le général duc de Saxe-Teschen faisait construire contre l'avis du général Beaulieu. Celui-ci voulait aller à la rencontre des patriotes; il promettait de les battre si on ne leur donnait pas le temps de se mettre en ordre. Leur nombre de cent cinquante ou cent soixante mille, effrayait le duc de Saxe-Teschen, qui n'avait que vingt à vingt-cinq mille Autrichiens a leur opposer; mais la même raison rassurait le général Beaulieu, qui répondait de la victoire. La confusion, disait-il, et le désordre se mettront plus facilement parmi tant d'hommes, dont on peut faire un plus grand carnage; mais si l'on reste à les attendre, on ne peut répondre de rien, parce qu'ils se disposeront au combat, et combattront avec plus d'ordre et de confiance, ne doutant pas de leur supériorité, de leur avantage et de la faiblesse de leurs ennemis. Le général.de Saxe-Teschen persista dans son opinion, et préféra de faire construire des retranchemens aux environs de Mons. Le 4, les patriotes commencèrent à tirer du canon; le 5, ils canonnèrent encore,

et les Autrichiens leur répondirent de temps en temps; mais le 6, entre neuf et dix heures du matin, l'affaire s'engagea et devint sérieuse. La canonnade fut très vive, surtout depuis une heure jusqu'à trois; le bruit du canon ne cessait, et se redoublait avec la plus grande célérité, comme un feu roulant. Enfin, à trois heures le grand feu cessa, et on n'entendit les coups de canon que par intervalle. Comme je me trouvai très malade, je ne pus 'satisfaire ma curiosité et mon envie; mais le soir je parlai à un des pionniers qui me rapporta, seulement, que la quantité des patriotes lui avait paru innombrable; qu'il avait vu les batteries autrichiennes balayer plusieurs bataillons patriotes dès qu'ils paraissaient en plaine; mais qu'à mesure qu'on les détruisait, ils étaient tout aussitôt remplacés par d'autres; qu'il n'avait pas vu le champ de bataille se vider un seul instant, et qu'il était péri beaucoup de patriotes.

« Le 7, de Lens à Lessines. Un de mes camarades vint à cheval à la porte de mon auberge (je ne faisais que de me lever) pour m'avertir de me disposer aussitôt à partir, que les patriotes allaient entrer à Mons, et probablement avant la fin de la journée il y aurait un détachement de nationaux à Lens. Il avait été voir l'affaire, et il me dit que les patriotes avaient voulu prendre les batteries des Autrichiens de front; qu'ils avaient échoué dans cette entreprise qui leur avait coûté beaucoup de monde, perte qui pouvait être portée à quinze ou

seize mille hommes; mais qu'ensuite ils avaient attaqué avec succès les batteries en flanc, et étaient parvenus, par leur grand nombre à s'en emparer; que les Autrichiens se défendaient encore avec courage, quoique pris aux cheveux par les patriotes; que les généraux avaient décidé d'évacuer Mons; que les braves soldats ne quittaient qu'à regret et pour obéir à leurs généraux. Après avoir pris congé l'un de l'autre, je me rendis aussitôt chez le chirurgien qui m'en dit autant, et me conseilla de partir sur-le-champ pour ne pas être surpris. Il me donna de la rhubarbe, me prescrivit le régime que je devais suivre, et ne voulut rien prendre. Je fus à peine rendu dans la grande plaine de l'abbaye de Cambron, que j'entendis battre toutes les caisses des patriotes, entrant dans Mons, comme si j'y avais été moi-même. J'en étais éloigné cependant de deux lieues et demie. Je continuai ma route avec plus de courage, quoique souffrant; je m'efforçai de suivre l'homme qui portait ma valise, et un émigré qui nous accompagna jusqu'à la grande route d'Enghien, où il voulait se rendre pour le coucher. Mon homme et moi nous traversâmes le grand chemin, où nous trouvâmes des chariots et des soldats qui s'étaient retirés des garnisons de Tournay et Ath, pour rejoindre leurs corps à Bruxelles, et nous arrivâmes à Lessines, entre six et sept heures.

« Le 8, de Lessines à Gand, par Grammont. A sept heures j'entrai dans la diligence avec quatre

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autres émigrés, qui s'étaient réfugiés à Ath, dans l'intention de s'y reposer et attendre la prochaine campagne; nous arrivâmes à Gand à sept heures ou environ. A la porte de la ville on nous donna un soldat qui nous conduisit au grand corps-degarde, pour y donner nos noms.

• Le

9, de Gand à Ostende. D'après l'avis de notre hôtesse, nous louâmes un carrosse pour éviter d'être attaqués et insultés; car tout Gand était très patriote. A 8 heures, nous entrâmes dans la barque, et nous arrivâmes à Bruges, environ vers les deux heures et demie ou trois heures. L'avis et l'assurance qu'on nous donna que les nationaux de Dunkerque avançaient en toute diligence pour s'emparer d'Ostend e, comme on l'avait dit la veille à notre auberge, afin de couper le passage aux émigrés, nous décida à ne point attendre au lendemain pour profiter du bateau. Nous arrêtâmes des voitures, et comme nous étions au nombre de vingt-cinq à trente, presque toutes les voitures de Bruges furent prises, pour nous rendre à Ostende, où nous entrâmes à huit heures. Les soldats autrichiens qui y étaient en garnison s'étaient retirés, ainsi que ceux de Bruges; et ceux de Gand avaient également reçu ordre de se rendre à Bruxelles.

« Le 10, en descendant de mon appartement, je trouvai dans la même maison un gentilhomme de mon évêché, et nous nous rendîmes aussitôt au port, où on nous dit qu'il y avait un bâtiment prêt

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