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des Bretons. A Mons, il se forma aussi une compagnie de gentilshommes du même pays.

« Le 22, M. le comte de la Châtre, commandant des Français du cantonnement d'Ath, passa la compagnie en revue, et installa, suivant les formes militaires, les deux capitaines, M. de Pontavice de Fougères, capitaine des chasseurs au régiment de Chartres, en premier, et M. de Kernesne l'aîné, de Morlaix, lieutenant au régiment de....... Les quatre chefs de sections, savoir: MM. de Lavilléon de Moncontour, lieutenant dans Normandie; de Kernesne cadet, de Guingamp, sous-lieutenant au régiment de Flandres; de Kermenguy de SaintPol-de-Léon, officier à la suite du régiment de Bretagne, et Dondel de Vannes, sous-lieutenant dans Auxerrois. Ensuite les huit chefs d'escouade, qui furent pris parmi les volontaires.

Ne lisant ni journaux, ni papiers publics, je ne puis rapporter que les nouvelles qu'on a débitées à Lens. Voici les principales: On nous annonçait fréquemment que les troupes autrichiennes, tantôt au nombre de cinquante-six mille hommes, tantôt de cent mille, devaient descendre incessamment dans les Pays-Bas, sans compter les Hollandais qui y arrivaient pour garder les villes qui bientôt étaient presque toutes patriotes; et que, après leur arrivée, on formerait des camps aux environs de Mons, Ath et Tournai, et que même il y en aurait un dans la grande plaine de l'abbaye de Cambron. Cette abbaye est à trois quarts de

lieue de Lens : elle est superbe et riche. Son revenu est de cinq cent mille livres, et le nombre des moines monte à quarante.

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Quelquefois on faisait courir le bruit que le roi de Prusse était en marche avec trente à quarante mille hommes, et qu'ils étaient dans le Brisgaw, où, depuis quatre à cinq mois, les journaux les cantonnaient ; que le roi de Suède, à la tête de quinze à vingt mille Suédois, avançait à grandes journées. On n'omettait pas de nous débiter aussi l'arrivée prochaine de dix-huit à vingt-quatre mille Russes, et de dix à douze mille Tartares: ces derniers devaient venir quelquefois par terre, quelquefois par mer, et débarquer à Ostende.

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Huit jours avant notre départ, nous apprîmes que l'empereur avait été empoisonné le 20 février par son valet de chambre et le nègre du duc d'Orléans, et qu'il était mort le 1 mars. On répandit le bruit que ces deux scélérats avaient été arrêtés et qu'ils avaient deux autres complices; que le sieur Delacroix, ambassadeur de l'assemblée nationale, était sorti de Vienne, à pied, dès qu'il avait été instruit de cet empoisonnement; que l'archiduc, fils de l'empereur, avait été également malade du poison, mais qu'on s'en était, fort heureusement, aperçu à temps que le contrepoison avait eu un bon effet, et que même il était entièrement guéri, et était dans les dispositions les plus favorables pour les émigrés. Le bruit courut, également, que tous les ambassadeurs de l'as

semblée nationale, dans les autres cours, s'en étaient retirés; que deux ou trois jours avant la mort de l'empereur, on avait promené à Paris sa tête et celle du roi d'Espagne, sur des piques, et jusques sous les fenêtres du roi et de la reine; et que le projet des abominables monstres de France était de faire subir le même sort à tous les potentats de l'Europe, ensuite aux princes et chefs des émigrés, et à ces derniers après.

« Le 24 mars, départ, journellement annoncé, tant desiré, et enfin arrivé pour aller coucher sur la paille au petit bourg de Senef. Le 25, j'arrivai à Nivelle, où étaient cantonnés les gentilshommes normands, et après dîner je fis quatre ou cinq lieues pour aller coucher encore sur la paille dans le petit bourg de Sombref. Le 26, j'arrivai avant les autres à Namur, grande ville, place forte avec un bon château sur une montagne escarpée de tous côtés, au confluent de la Sambre et de la Meuse. A la porte de la ville, on me fit entrer dans un bureau pour y donner mon nom. Dès que l'officier de garde me vit, il me demanda d'où je venais et de quel cantonnement j'étais, ensuite il me laissa entrer dans la ville. Après dîner, je m'embarquai avec cent autres émigrés ou environ, pour Huy, petite ville sur le bord de la Meuse. Le 27 à midi, nous nous embarquâmes de nouveau sur la Meuse pour Liège, où nous devions séjourner d'après le consentement de M. de la Châtre. Une lieue avant d'y arriver, nous fûmes obligés de débar.

quer, vu que le bateau était chargé. Nous traversâmes la ville de Liége, dont les rues me parurent assez belles, pour aller à deux lieues et demie coucher sur la paille dans un très petit village, nommé Fay, sur le bord de la grande route. Le 28, de Fay je fis route pour Spa, petite ville jolie, où sont des promenades très belles et très agréablement variées pour les personnes qui prennent les eaux, ainsi que des redoutes superbes pour les bals, concerts et autres divertissemens. Nous y séjournâmes deux jours et demi. Pendant mon séjour, j'y ai vu passer beaucoup d'émigrés du cantonnement d'Ath et d'Enghien pour Stavelot et Malmedy, deux petites villes à trois lieues de Spa. Les volontaires d'Enghien étaient dans cette dernière.

« Durant la route, nous avons été payés 1 1. 10 S. par jour : ainsi, depuis le 24, jusques et compris le 31, j'ai dépensé 12 liv. de l'argent des princes, et 24 liv. de ma bourse.

«

. Le 31 mars, nous partîmes de Spa pour Stavelot, où nous arrivâmes le même jour à dix heures, et où nous trouvâmes trois compagnies d'officiers d'infanterie du cantonnement d'Ath. Pendant notre séjour dans cette ville, nous apprîmes que le roi de Suède avait été tué au bal, d'un coup de pistolet. Cette mort me parut affliger les émigrés; et c'était une perte réelle pour nos princes, par le mouvement qu'il se donnait auprès des autres puissances pour en déterminer au moins une à déclarer au plutôt la guerre. Il se disposait à ve

nir lui-même à notre secours; et en mourant, il recommanda au duc de Sudermanie, son frère, régent actuel de la Suède, de se joindre aux puissances et de seconder nos princes. On n'a pas su ce qui avait donné lieu à cet assassinat : rien n'a transpiré de l'interrogatoire de l'assassin, et cette affaire a été étouffée, ce qui a donné lieu de soupçonner qu'il y avait des grands, tant de la Suède, que peut-être d'ailleurs, compliqués dans cette affaire. Nous avons demeuré quinze jours à Stavelot. Les étrangers ne manquent pas d'aller voir une belle cascade qui est à une lieue de la ville. C'est une rivière assez forte qui se partage, et dont la chute est de 25 à 30 pieds.

« Le 16 avril, nous partîmes de Stavelot pour Hillesheim, petit bourg entouré de vieux murs en ruines, brûlé deux fois par Louis XIV, et situé dans le pays de Trèves, où notre cantonnement fut enfin fixé. La compagnie s'y rendit en deux jours.

. Dans le courant de juin, il fut mention, dans notre cantonnement, que les MM. de Wittech allaient faire un emprunt; mais la division qui régnait parmi MM. de Wittech, et ensuite entre ceux-ci et les MM. d'Oudenarde, et la solidarité qu'on exigeait firent manquer l'emprunt.

« A Hillesheim comme à Lens, on nous berçait de bonnes nouvelles; on nous annonçait continuellement l'arrivée des Prussiens. Enfin, le 2 juillet, ils commencèrent à paraître, ainsi que les

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