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fon moulin, ayant toute la peine, tout le foin du ménage! Au lieu que fi elle avoit une jeune bru qui feroit là, comme fa fille, elle n'auroit qu'à lui ordonner. Cécile, ayez foin du troupeau; Cécile, cueillez la laitue; Cécile allez porter le lait & la crême au Château; faites ceci, faites cela, puis telle chofe & puis telle autre; & Cécile, toujours obéiffante, careffante, empreffée à lui plaire, à la fervir! & moi, revenant le foir de l'ouvrage, & trouvant pour me -délaffer une femme agréable, qui me diroit: Viens, mon ami, viens te repofer près de moi. Quel bonheur ! quelle différence! d'y penfer feulement cela me fait treffaillir de cœur. C'eft donc Cécile, la fille du Fermier, que tu voudrois donner pour compagne là ta mère ?-Qui, Madame; & qui donc On ne m'avoit pas dit que tu étois épris de Cécile. Vraiment, je le crois bien. Eft: ce qu'on penfe à moi? Eftsce qu'on en dit quelque chofe?- Tulecachois peut-être.-Oh! mon dieu, non; je Fai dit à tout le Village. Et Cécile? Atelle pour toi la même inclination — La même, non; mais cela commence. D'abord toutes les fois qu'elle me voit paffer devant la Ferme, un petit falut d'amitié : Ou vas-u, Marcellin? D'où viens-tu, Mar-cellin? Vous penfez bien, Madame, qu'on ne fait pas cette faveur à tout le monde. Et puis, ce nom de Marcellin a dans fa bouche un fon.fi doux, fi gracieux ! on di

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roit que les lèvres fe plaifent à le careffer. Oh! fi, de fon côté, l'amour n'eft pas venu encore, il n'eft pas loin, j'en fuis bien für. D'ailleurs c'eft mon affaire. Qu'on me la donne feulement, le refte me regarde. Je l'aime tant qu'il y aura du malheur, fi je ne m'en fais pas aimer. Mais, Marcelfin, Cécile a deux ans plus que toi. Tant mieux, Madame! elle en fera plus raison· nable; &, si je ne le fuis pas affez, elle le fera pour nous deux. Son père aura bien de la peine à lui donner un mari auffi jeune! Oui, c'eft là ce que dit ma mère. Mais fi Monseigneur le vouloit bien, il n'auroit qu'à dire deux mots. Tenez, Madame, fi j'étois que de lui, je ferois venir les deux pères, & je dirois à mon Meunier: Baptifte, es-tu content de ton fils MarcelJin? Oui, Monseigneur, diroit mon père: cela promet de valoir quelque chofe; cela travaille de bonne volonté; cela n'a point de vices; cela fait comme on doit chérir fes père & mère, & comme on doit aimer fa femme & fes enfans; cela doit faire un bon mari. Et toi, Vincent, dirois - je, ne penfes-tu pas bientôt à marier ta fille? Voilà un gendre fous ta main; troc pour troc, les fœurs & les frères, rien de plus naturel; & les deux mariages ne feroient qu'une noce. Qu'en penfes-tu?- Ah! Monfieur le Comte, Marcellin eft bien jeune!Bon! laiffe dire les envieux, les médifans: jeuneffe n'eft pas vice. Marcellin eft hon

nête, il est laborieux, & c'eft ce qu'il faut en ménage. Ecoute, Vincent, fi tu veux, je fais pour lui tout de même que pour Eloi, je paffe, en faveur de Baptifte & de fon fils, un bail à vie du petit Domaine de la Cafcade; & voilà ta fille nichée; & voilà le moulin peuplé d'une couvée de petits Vignerons & de petits Meuniers, que protégeront mes enfans. Eh bien, Madame, je gagerois que les deux pères con-fentiroient, & rendroient graces à Monfeigneur. Tu t'expliques fort bien, lui disje. Va-t-en, & fois tranquille; je parlerai pour toi.

Il a raison, dit mon mari, quand je lui contai certe fcène : le bail à vie eft juftement ce que je m'étois proposé; & j'entends bien que de père en fils le moulin foit leur héritage. Voilà pour nous encore un moyen bien facile de faire deux heureux; il ne m'en coute rien que le repas de noce. Vous, Madame, ayez la bonté de prendre foin des deux trouffeaux; & vous, ma fille, quand votre mère fera le trouffeau de Cécile, fouvenez-vous que Marcellin a été fevré à neuf mois.

Le bail fut donc figné le lendemain. Mais la célébration des mariages fut différée de quelques jours, pour une cause dont on nous fit mystère.

A ces mots, le Curé du Village, qui étoit préfent, vouloit fe retirer. Olympe le retint, & continua fon récit.

Au même autel, à la même heure, les deux fœurs, les deux frères furent unis. La noce en fut commune. Le feftin fe fit au Château; nous y invitâmes tout le Village; F & le fpectacle du bonheur des époux & des deux familles fut ce qu'il y eut de moins

touchant.

Ce bon Vieillard venoit de les bénir ; il fur aflis entre les deux mères, leurs filles étoient auprès d'elles, & vis-à-vis étoient les deux époux, chacun à côté de fon père. Dès que tout le monde eut pris place, & que nous cûmes entouré la table du banquet (car notre cercle étoit nombreux) Vincent, avec une dignité villageoife qui nous imprima le refpect, fe leva & dit ces paroles:

Mes amis, ce bienheureux jour, que deux bons pères ont choisi pour unir leurs enfans, n'eft pas feulement une fête pour deux fa milles; c'eft une fête pour le Village ; c'est notre fêre à tous tant que nous fommes. Il y a aujourd'hui cinquante ans, que notre bon Pafteur, cet homme vénérable, notre ami, l'ami de nos pères, l'ami de nos aïeux, qui nous a prefque tous vu naître, qui nous a reçus dans fes bras au moment de notre naiffance, qui depuis a veillé fur nous comme un fidèle & bon Pasteur, il y a aujourd'hui cinquante ans qu'il eft venu fe mettre à la tête de fon troupeau; &, dans l'efpace de tant d'années, il n'a pas lai é paffer un jour fans nous faire du bien.

Arbitre & conciliateur de tous les démêlés de la commune & de chaque famille, il a appaifé mille plaintes & n'en a excité aucune; il a terminé mille procès & n'en a jamais eu aucun : les malheureux n'ont jamais eu de plus tendre confolateur, ni les pauvres un meilleur père. Enfin, il y a cinquante ans que fes leçons & fes exemples nous enfeignent à vivre en amis & en ́ gens de bien. C'eft fon amour pour nous, d'eft notre amour pour lui, c'eft cette manière d'alliance religieufe & fainte qui fe renouvelle aujourd'hui; c'est à la noce de la Paroiffe que nous vous avons invités. Puifle-' t-elle attirer les bénédictions du Ciel fur le mariage de nos enfans!

Quel fur, à ce difcours, l'attendriffement de tout le Village & le nôtre, c'eft ce que je ne puis exprimer. Ah! qu'il vive encore cinquante ans, s'il eft poffible, s'écrioit-on, le faint homme,, le digne & vertueux Pafteur qui n'a jamais fait que du bien !

Ah! Madame, ceffez, s'écria-t-il ! —Non, non, je veux tout dire. Plus attendzi lui-même que vous ne le voyez (car ceci n'est qu'un fouvenir), le bon Vieillard étoit comme abîné dans fon humble reconnoiflance. Ses deux mains couvroient fon vifage, & des ruiffeaux de larmes couloient entre les doigts. De temps en temps il regardoit le Ciel, foit pour lui rapporter ce tribut de louanges, foit pour lui préfenter, lui recommander fes enfans.

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