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nouirent fur les deux joues). On dit, Louife, qu'il vous cftime auffi beaucoup. Il me femble qu'oui, Madame, & je le crois. Mais, Louife, à votre âge, lorf qu'on s'eftime tant,, on n'eft pas loin de s'aimer.Oh non, Madame, on n'en eft pas loin, & dès que nos parens voudront bien le permettre, nous y fommes tout difpofés. Vos parens favent-ils ce que vous penfez l'un de l'autre ?

Certaine

ment, Madame: je l'ai dit à mi mere; je n'ai rien de caché pour elle. Et lui, dès la troisième fois que nous danfions ensemble, dans la cour du Château, ne confia-t-il pas fon fecret à fon père? Tencz, mon père, lui ditil, en lui paffant le bras autour du cou, remarquez cette jeune fille : ce fera votre bru, ou bien vous n'en aurez jamais. Le bon père fousit en me regardant, & lui dit: Rien ne preife; encore quelques moiffons, & nous verrons cela. Er-Suzanne, qu'en penfe-t-elle ? Que je ne fuis pas affez riche, & que Vincent voudra du bien.

Copendant, dices-vous, Eloi a déclaré qu'il ne vouloit que vous pour ferame. -Oui, mais fifon père commande, il faudra qu'il obéisse, & je fçaurai bien l'y obliger. N'obéiroisje pas à mon père, à ma mère, s'ils difpofcient de moi?

Jefus, comme vous croyez bien, fatisfaire de ce dialogne, & je le rép tỏi à M. de Verval, Laiffez-moi, me dit-il, commer la négociation. Je veux d'abordsperle, à

Baptife. Il l'alla voir à fon moulin. Baptifte, lui dit-il, favez vous que votre fille & le fils du Fermier ont un pour l'autre beaucoup d'eftime? Vraiment oui, dit Baptifle, de certe, eftime, dent M. le Curé feroit bien vire de l'amour. Je l'ai dit au Fermier. Il m'a répondu qu'à leur âge lamour étoit rde garde, & que deux ou trois ans, au lieu ide le gâter, le mûriroient & le rendroient meilleur Le vrai, Monfieur le Comte, ajouta Baptifte, c'eft que Vincent, avant de marier fon fils, veut s'affurer d'un nouveau bail. Il voit que dans tout le pays le prix des baux augmente confidérablement. Il penfe bien que vous allez faire-monter celui de votre ferme, il a des envieux; ils ne manqueront pas de renchérir fur lui; & c'est là ce qui l'inquiète. Vincent doit bien favoir, dir. M. de Verval, que je ne fuis. pas unArabe, & il le vit le lenderna n.

Eh bien, lui dit-il, la récolte nous promet-elle d'etre bonne? Elle promet, dit le Fermier; mais elle eft fi forvent trompeufe! quelquefois à la veille d'une belle moiffon, un vent, un orage, une grêle ravage tout. En vérité, le pauvre Laboureur, en fe donnant bien de la peine, en a fouvent bien peu de fruit. Cependant, reprit mon masi, le prix des baux augmente; & j'efpère bien que celui que nous allons renouveler..

Ah! Monfieur le Comte, épargnicz-nous." Vous êpes fi jufle, & fi bon vous venez d'enrichir une honnéte famille, n en ruinez

pas une qui jufqu'à préfent vous a fervi de fi bon cœur. Tu veux parler de Baptiste mon Meunier, reprit le Comte; & tu me fais penfer que fa fille & ton fils ont de l'amitié l'un pour l'autre. Hélas, oui, dit le bon Fermier; mais le moyen d'expofer fes enfans au malheur d'en avoir eux-mêmes, lorfque l'on n'a rien d'affuré? Tu parles en bon père & en homme, fage, reprit le Comte. Mais, Vincent, fi un nouveau bail de neuf ans t'affuroit ma ferme au prix du bail courant; & fi un autre bail, pour la dot de Louise, te l'affuroit neuf ans encore au même prix ?.... Ah! le plus généreux des hommes, s'écria le Fermier, difpofez de mon fils : les baux & le contrat, je fignerai tout à la fois.

Tout eft conclu, me dit le Comte en revenant: j'ai la parole des deux pères; & pour cela je n'ai promis que ce que j'aurois fait fans cela. Je n'avois nulle envie affurément d'ajouter ma propre avarice à celle de la terre, qui vend déjà fi chérement fes dons aux pauvres laboureurs. Mais puifqu'enfin c'eft pour eux un bienfait que de les laiffer dans l'aisance, j'ai cru pouvoir y faire participer Louife & enrichir ma ferme de

deux heureux de plus.

Ma fille, à l'inftant même, en alla porter la nouvelle à Suzanne. Mais Vincent l'avoit devancée; & Juliette trouva au moulin les deux familles raffemblées, les deux amans fe regardant l'un autre avec des yeux

humides de tendreffe & de joie, les pères fe ferrant la main, les mères s'embrallant & Marcellin, lui feul, d'un air pensif & trifte, retiré dans un coin & regardant Cécile, qui, la tête appuyée fur l'épaule de Louife, n'ofoit regarder Marcellin.

Ma fille avoit été frappée de ce tableau. Elle vint me le peindre; & je dis en moimême : Voilà encore un mariage à faire; mais ceci n'eft pas fi preffé, Matcellin n'a que dix-fept ans.

Le lendemain, Suzanne vint fe jeter à mes genoux; & après l'effufion de sa reconnoiffance, Eh bien, Madame, le croirez-vous, me dit-elle ? Ma joie, toute vive qu'elle eft dans ce moment, n'eft pas fans amertume. Ce perit fou de Marcellin fe défole de voir marier fa fœur avant lui. S'il ne s'agit que d'être amoureux, il l'eft, ditil, mille fois plus de Cécile, la fœur d'Eloi, qu'Eloi ne l'eft de Louife fa fœur. J'ai voulu me moquer de lui; mais il m'a dit qu'au lieu de rire je pleurerois bientôt d'avoir défefpéré ce pauvre Marcellin, qui aimoit tant fon père & fa mère; &, en fondant en lanes, il eft retourné au travail.

Il faut le confoler, lui dis-je. Que ce foit lui qui demain matin m'apporte la crême du déjeûner.

Il arriva fi pâle & fi abattu, que j'en cus pitié. Eft-ce toi, Marcellin, lui dis-je ? Je fuis bien aife de te voir. Mais tu n'as

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pas l'air au content & aulli gai que de coutume. Non, me dit-il, Madame, il n'y a plus de gaîté pour moi. On veut que je fois trifle, & ce n'eft pas ma fanre, car je ne demandois pas mieux que de me réjouir. Qu'est ce donc qui t'afflige? Vous le voyez, Madame, c'eft ma fœur qu'on marie; on s'empreffe à la rendre heureufe; & moi, on me rebute, on m'oublie, on me luiffe là, moi, le frère de lait de Mademoifcle Juliette! Ah, Madame !il m'eft bien crul de voir que, pour ma fœur, on me dérobe vos bontés!-Non, Marcellin, tu auras ton tour. Mais tu es fi jeune encore!-Hélas, oui, je fuis jeune, on me le dit fans ceffe; mais pour fe marier faut-il être fi vieux: Jai, Madame, vous le favez, neuf mois plus que Madsmoifelle. Et demandez fi du matin au foir à la vigne, au moulin, par-tour, je ne fais pas e travail d'un homme. Ce n'eft pas quand je mets li min à la hone, à la bêche, ni quand j'enlève comme une plume un fac de blé, qu'on me croit un enfant.Je fais que tu es faberieux, & que tu fouliges ton père. Mon père? Ah! je me vante qu'il auroit bientôt pu fe repofer, fi j'avois en le cœur content. Mais, Madafi vous faviez comme le chagrin rompt les bras! Et quand j'aurai perde la fanté, Je courage, qui l'aidera, ce pauvre père? E ma nie! Vorez, Madame, quand fa file Paura quée, voyez-la feule daps

me,

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