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offrir cette éminente dignité. Un refus, plus fage que modefte, fut fa ré ponse; il craignoit la jaloufie des grands, & connoiffant leur vanité, qui préfere les titres au pouvoir, il fut l'ame invifible de l'Etat, & eut toute la puiffance d'un Souverain, fans avoir même le nom de Miniftre. L'avarice. des Mores qui pilloient le tréfor royal, fut réprimée; la perfécution qu'effuyoient les Chrétiens, ceffa tout à coup; enfin, il fut châtier l'infolence des Prêtres Siamois; c'est donner une affez grande idée de fon crédit. Il attira les François à Siam, & ses ennemis publierent qu'il n'y avoit introduit ces étrangers, que pour renverfer le trône de fon Maître, & s'y affeoir à fa place. Il triompha de cette calomnie, & donna, au Souverain une fi haute idée de la grandeur de Louis XIV, qu'il l'engagea à rechercher fon alliance par des préfens. On douta d'abord, en France, de la réalité de l'Ambassade; mais enfin elle fut admise à Versailles; le Roi la renvoya chargée d'une lettre dans laquelle il invitoit le Roi de Siam, à fe faire Chrétien. Ce fut la premiere étincelle de ce zele convertiffeur, qui devint à la mode dans les dernieres années du regne de ce Prince.

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La réponse du Monarque Siamois fut plutôt celle d'un Philofophe que celle d'un Defpote ignorant. » Pourquoi, le Roi de France veut-il que j'aboliffe, dans mes Etats, un culte qui plait à mon peuple? Que di>> roit-il fi je l'engageois à anéantir celui qui eft adopté dans fon Royau» me? Il prétend que je fuis dans l'erreur je crois que c'eft lui feul qui » fe trompe quel fera notre juge? L'Etre fuprême, en donnant aux hom» mes différens fentimens, différentes paffions, ne paroit-il pas approuver » la diverfité des cultes? S'il en vouloit un exclufif & uniforme, n'auroit» il pas donné, à tous les hommes, un même penchant pour le culte? » étoit-il donc plus difficile de nous infpirer les mêmes fentimens, que » de créer les cieux & la terre? Pourquoi ce Dieu auroit-il attendu tant » de fiecles pour éclairer les Siamois? Pourquoi emprunteroit-il, pour me » parler, la bouche d'un étranger, tandis qu'à chaque inftant, il parle, à » mon cœur, par la voix de ma confcience?

Cependant, après avoir étouffé des révoltes, après avoir appris aux Siamois l'art de la guerre, après avoir perfectionné chez eux l'agriculture & le commerce, Falcon, à force de fervices, s'étoit rendu odieux aux grands, fufpect au Souverain; les Prêtres l'avoient en horreur; il ne leur étoit pas plus difficile de perfuader au peuple qu'un grand Miniftre étoit un tyran, que de lui faire croire l'Afcenfion de Sammona-Kodon dans les cieux. Toutes les fois qu'un politique veut forcer la populace à croire quelques abfurdités néceffaires à fes vues, il doit choifir des Prêtres pour interpretes de fa do&rine. Eux feuls, ont le courage de braver le ridicule, de dire publiquement des inepties, & l'art de les faire approuver. Tout étant myftere, dans ce qu'ils annoncent, aucune contradiction, aucune abfurdité n'étonne de leur part. L'afcendant qu'ils ont dans les affaires religieufes, ils l'acquierent auffi dans les affaires civiles, en parlant au nom du Ciel. A la fa

veur de ces troubles naiffans un Mandarin, nommé Pitracha, s'éleva au plus haut degré d'autorité, & parvint à balancer Falcon lui-même; il parut vouloir fe liguer avec lui, & lui propofa de partager, entr'eux, la dépouille du Monarque mourant. Son deffein étoit de le faire foufcrire au plan de la révolution, & de faire, de cet écrit, une preuve publique de fa perfidie. Falcon vit le piege, le méprifa, & ne daigna pas même s'en venger. Il engagea même le Monarque à déclarer ce Mandarin Régent du Royaume; & à laiffer fa Couronne au jeune Monpit, fon favori, que la voix publique appelloit le fils de l'Empereur. Le Régent qui fentoit que Falcon plaçoit ainfi fa créature fur le trône, prétendit qu'il appartenoit aux freres du Roi, & fit égorger le jeune Prince; aufli-tôt le Royaume fut rempli de factions qui fe heurtoient, & qui n'avoient rien de commun que leur haine contre l'étranger; on demandoit fa difgrace, fon exil, fa mort, comme en France on avoit demandé la perte de Mazarin; Pitracha, à la tête d'une troupe de rebelles, fe rend maître du Palais & de la perfonne du Roi, qui déjà affoibli par la douleur & les années , voyoit tous ces mouvemens fans en concevoir, ni le but, ni la cause. Falcon vole au fecours de fon maître; il veut le délivrer, il est arrêté lui-même; la Cour éleve l'orgueilleux Mandarin fur le trône, & l'on traîne Falcon à la mort. Telle fut la fin de cet homme audacieux, dont l'exemple & la fortune apprennent aux Européens, qu'avec les talens, les lumieres, qu'ils puifent dans leur patrie, ils peuvent gouverner, & les defpotes & les peuples d'Afie. Mais fa chute leur apprend auffi combien il eft dangereux, pour un étranger, de s'élever fi haut dans des Etats expofés à de fréquentes révolutions. N'oublions pas, qu'avec moins de moyens encore, un Rochelois, nommé La-Cafe, fit dans le même fiecle, une révolution pareille, à Madagascar; & que, dans cette Ifle, trente-deux François virent, avec étonnement, des armées entieres fuir devant eux. (M. DE SACY.)

CONSTANTINOPLE, Ville capitale de l'Empire Ottoman.

C'EST

'EST une des plus grandes & des plus célébres villes de l'Europe, avec un patriarchat. Sa fituation eft la plus agréable & la plus avantageufe de tout l'univers. Elle est bâtie à l'extrémité orientale de la Romanie, fur le Bofphore de Thrace, commande aux deux mers, Blanche & Noire, & a le port le plus beau & le plus commode qu'on puiffe voir. Elle eft fituée dans cette péninfule, qui, fe terminant en pointe, s'avance. à l'extrémité de la Thrace, dans la mer, à l'endroit où commence le Bofphore, qui joint la Propontide au Pont-Euxin, & qui fépare l'Europe de. Î'Afie. Ainfi elle forme comme un triangle, dont la bafe regarde la Thrace, vers l'Occident: le côté droit, la Propontide, au Midi, tirant vers l'O

rient, jufqu'à la bouche du Bofphore, & la gauche, au Septentrion, s'étend le long du Golfe, que le Bofphore fait dans la Thrace d'Orient en Occident, en biaifant vers le Septentrion, pour y former un très-beau baffin. De ces trois angles, le premier eft à l'Orient, à la pointe du promontoire du Bofphore, qui eft appellé aujourd'hui la pointe du Sérail'; le second, eft au Midi, vers la Propontide, où fe terminent les murailles qui font doubles, du côté de la terre, & fortifiées de bonnes tours, aflez proches les unes des autres; le troifieme, eft au fond du port, & tourne de l'Occident au Septentrion, fur cette place du Golfe, qu'on appelloit les Blaquernes, Conftantin-le-Grand, fut fondateur de cette ville, & lui donna le nom de Conftantinople, au-lieu de celui de Byfance, qu'elle portoit, & l'enrichit des dépouilles des autres villes. Il y éleva fept montagnes, y bâtit un capitole, un cirque, un amphithéâtre, des marchés, des portiques, & d'autres édifices publics, fur le plan de ceux qui étoient daus l'ancienne Rome; enforte qu'on lui donna le nom de nouvelle Rome, conformément à une ordonnance qu'il fit publier. Il y établit un fénat, des académies & y attira de grands hommes de tous les endroits du monde, par de grandes libéralités. Il y fit bâtir quantité d'Eglifes, qu'il dota magnifiquement. Enfin, il divifa la nouvelle Rome, comme l'ancienne, en quatorze quartiers. Les autres Empereurs ne négligerent rien pour embellir, agrandir & fortifier cette ville.

Avant Conftantin, les Empereurs qui vouloient remplir leur devoir, paffoient presque tout le temps de leur regne chez les Scythes, les Thraces, les Sarmates, & les autres pays par où les barbares faifoient des incurfions plus fréquentes fur les terres des Romains. Cette audace des barbares renaiffant de toute part, obligea Dioclétien, Prince très-fage, à partager avec Maximien, le foin des Provinces. Il lui donna celles d'Occident, & il retint pour lui celles d'Orient, afin de tenir en bride les Perfes & les autres Nations de ces contrées. Par ce partage, non de l'Empire, mais de l'administration, dont l'effentiel reftoit toujours à Dioclétien, les Provinces Romaines étoient couvertes comme d'un double rempart.

Conftantin s'appliqua à confolider ce que Dioclétien avoit fait. Pour mettre en affurance à jamais l'Empire contre les barbares de l'Orient, il voulut établir un nouveau fiege pour l'Empereur ce fut en bâtiffant & fortifiant Byfance fur le modele de Rome. Il l'appella Conftantinople, de fon nom, & y établit fa demeure pour être plus éloigné des railleries des Italiens. Ce peuple moqueur mefuroit le prix des chofes fur leur nou veauté, & non par l'admiration qu'auroient dû exciter en lui la puiffance & les vertus fublimes de celui qui les faifoit. Le dégoût s'emparoit des Italiens, dès que les chofes ceffoient d'être nouvelles. En conféquence, la présence des Empereurs à Rome leur faifoit perdre davantage de leur réputation, que des victoires remportées au loin ne leur en faifoient acquérir.

Le camp & les armées étoient le fiege des Empereurs; ce siege n'avoit donc point de place fixe; ils l'établiffoient dans l'endroit le plus favorable, pour réfifter aux barbares. Faut-il donc s'étonner que Conftantin fe foit retiré à Byfance, où fe fait comme l'union de l'Europe & de l'Asie, & d'où on repouffoit aifément les ennemis de Rome, de quelque part du monde qu'ils vinffent attaquer l'Empire: chofe aifée, fur-tout depuis que les Gaulois & les Germains de la gauche du Rhin étoient humanisés.

Il n'étoit pas poffible que Conftantin crût, qu'en établiffant un nouveau domicile à l'Empereur, il renverferoit le fiege de l'Empire; qu'en fondant une colonie, il feroit paffer à la fille la majefté de la mere. Cela n'étoit point au pouvoir de l'Empereur; le droit Romain, par lequel la Majefté Royale avoit paffé au Sénat, s'y opposoit. Le droit des gens, qui foumet les colonies aux villes d'où elles ont été tirées, s'y oppofoit auffi.

L'Empire n'eft donc point forti de Rome avec l'Empereur, & l'on ne devroit point conclure que Conftantinople eut des droits égaux à la capitale de l'univers, quand même les honneurs l'auroient été pour l'une & pour l'autre. Or il est évidemment faux, que Rome & Conftantinople aient eu des honneurs égaux, quel que foit le fafte des paroles, quelle que. foit la hardieffe que Sozomene emploie pour le perfuader à la postérité. L'évidence dont il s'agit, paroît par cela feul, que Conftantinople n'eut point de préfet avant l'an de Jesus-Chrift 379.

La participation de Conftantinople à l'Empire, de laquelle Themiftius fait mention, ne revenoit à cette ville, que par un droit acceffoire, émané de la perfonne du Prince qui y réfidoit, & qui y exerçoit le pouvoir que le Sénat de Rome donnoit à lui & à fon confiftoire, compofé d'un certain nombre de Sénateurs & de Magiftrats. Le long ufage de ce pouvoir & le féjour de l'Empereur à Conftantinople, faifoient appeller cette ville Ville capitale; elle étoit regardée comme fubftituée à Rome même, par ceux qui confondant l'ombre avec la réalité, ont répandu par-tout leur erreur fur cet objet, & l'ont fait paffer jufqu'à nous.

Les droits de Rome dominoient dans Conftantinople comme ailleurs, par le confiftoire de l'Empereur, dont le pouvoir étoit toujours exiftant; quoique Galien eût exclu les Sénateurs du camp: car cette exclufion ne pouvoit fe prendre que par rapport à la milice, dont le foin appartenoit à l'Empereur, & non par rapport au Confeil militaire de ce même Empereur, du Gouvernement duquel le Sénat ne se défaififfoit jamais, de crainte qu'au cas d'accident, la République ne tombât avec le Prince, qui avoit l'autorité à vie. La République réfidoit donc fans ceffe dans le Sénat. La portion du pouvoir public, accordée par cette compagnie au Prince & à fon confiftoire, les fuivant par-tout, les fuivit par conféquent à Conftantinople, & y demeura avec eux, pour rendre l'adminiftration, qui leur avoit été confiée, juste & légitime.

Mettons à part la violence, laquelle fait taire tous les droits. L'Empereur eût-il pu fe dépouiller de l'Empire, pour en revêtir qui il eût voulu, & livrer à un autre, malgré la République, cette même République qui lui avoit été confiée? Car pourquoi le tranfport qu'un ufufruitier fait de fon droit à quiconque n'eft pas de fa famille, eft-il nul, finon parce qu'il ne jouit lui-même que d'un droit perfonnel qui fe borne à fa vie? Combien moins Conftantin pouvoit-il dépouiller le Sénat Romain du pouvoir civil dont il tenoit le militaire, qui, à fa mort, devoit retourner à la fource générale de la Majefté; je veux dire à la République, & paffer delà à un nouvel Empereur ?

L'intention de ce Prince n'étoit autre fans doute, que celle de fe mettre à portée de défendre l'Empire contre les nations barbares. Auroit-il pu avoir des vues oppofées aux loix publiques, dans l'article le plus important de tous, lui qui ne les viola jamais en rien? On eft aisément convaincu de fa fageffe fur cet objet, par les écrivains de Conftantinople poftérieurs à fon regne on les voit fe plaindre aux Empereurs de leur temps du fort du Sénat. Ils les conjurent avec larmes de jetter les yeux fur ce Sénat oublié, dont les membres, loin de trouver de la confolation dans leur pouvoir, trouvent un châtiment dans la dépenfe qu'il les oblige de faire. Des Grecs auroient-ils fait cette priere, fi Conftantinople eût partagé le pouvoir public avec Rome; ou fi, felon les rêveries du vulgaire, elle l'eût entiérement envahi?

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Les privileges de cette ville confiftoient en ce que les affaires publiques s'y traitoient comme à Rome, en vertu des droits de l'Empereur & de ceux de fon confiftoire droits, dont la fource demeuroit toujours au Sénat, duquel l'Empereur les empruntoit. Ces privileges confiftoient encore, fi l'on veut, en ce que Conftantinople furpaffoit autant les autres villes, que Rome furpaffoit Conftantinople.

Conftantinople avoit fur plufieurs colonies de Rome, l'avantage de reffembler à cette capitale du monde, par le grand nombre d'habitans, par la forme & la magnificence des édifices, & par les mœurs. Elle avoit auffi l'avantage de procurer à fes citoyens le droit de bourgeoifie Romaine, dans les contrats, les ufucapions, la puiffance paternelle, les tutelles, les actes légitimes & autres ufages civils.

Conftantinople fe montroit toujours colonie de Rome, malgré fa reffemblance avec elle dans tout le refte. Elle tenoit le droit italique de la libéralité des Empereurs; & elle avoit befoin qu'il lui fût renouvellé par chacun d'eux, comme expirant avec les jours du Prince. Delà, cette conftitution de Valens qu'on trouve dans le code Théodofien, & où on lit ces paroles En renouvellant, à Conftantinople, le Droit Italique, je prends l'équité pour arbitre. Il dit je prends l'équité pour arbitre; parce que ce droit n'étoit point naturel aux colonies, mais acceffoire. On trouve auffi dans le code Juftinien une loi d'Arcadius & d'Honorius, où on lit:

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