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de sa troupe auprès de l'assemblée, dont les deux partis, de concert, quoique par des motifs bien opposés, faisoient prolonger la séance. Il étoit onze heures lorsque La Fayette se rendit chez le roi, qui le reçut dans son cabinet, où il passa une demiheure. Là, le général de la révolution dicta au monarque les conditions auxquelles il prétendit qu'étoit attaché le salut de sa famille et celui de ses gardes. La plus odieuse, et celle qu'il coûta le plus à Louis XVI de souscrire, fut la réintégration des gardes françaises, de cette troupe qui, durant quatre mois à la solde du duc d'Orléans, remplissoit la capitale de désordres et de sang, à la tête de tous les mouvemens séditieux, et complice encore de celui qui à l'heure même menaçoit le château et outrageoit le trône.

Cependant, d'après toutes les protestations de dévouement du général, et le ton d'assurance avec lequel il affirma qu'il se chargeoit de tout et répondoit de tout, moyennant la mesure qu'il proposoit et celles qu'il avoit déjà prises, Louis XVI crut pouvoir se confier en ses promesses; et, sur les instances que lui fit La Fayette, il congédia les fidèles serviteurs qui faisoient foule dans ses appartemens, et se proposoient d'y passer la nuit.

Au moment où La Fayette sortoit de chez le roi, une députation de l'assemblée y entroit. « J'aurois » désiré, messieurs, leur dit Louis XVI, recevoir le >> marquis de la Fayette en votre présence, et pro

>>fiter de vos conseils; mais, toutes choses étant » arrangées, la seule qui me reste à vous dire, c'est » qu'il n'a jamais été dans mon intention de m'éloi»gner, et que certainement je ne m'éloignerai »>pas. » Cette idée de son éloignement étoit entrée dans toutes les têtes, excepté dans la sienne; et les dangers dont la malveillance l'environnoit en ce moment étoient d'une nature si effrayante que ses ennemis n'imaginoient pas qu'il osât les braver, ni ses amis qu'il le dût.

Les mêmes assurances que La Fayette venoit de donner au roi, il courut les donner à l'assemblée; et aussitôt, les royalistes n'y mettant plus d'obstacle, la séance fut levée. C'étoit ce moment qu'attendoient les conspirateurs. L'alternative qu'ils s'étoient proposée, en faisant assiéger la famille royale par deux armées de brigands, avoit été sa fuite ou sa mort. Assurés par la réponse de Louis XVI aux députés de l'assemblée, que, certainement, il ne fuiroit pas, les monstres se décidèrent eux-mêmes pour le régicide. Il falloit le concerter. Ce fut dans l'église de Saint-Louis que le sacrilége d'Orléans, à la tête de ses sacriléges conseillers, arrêta que le lendemain matin, au coup précis de six heures, les satellites à ses gages feroient irruption subite dans le château, massacreroient les gardes du roi, et pénétreroient dans son appartement, par celui de la reine, qui seroit la première immolée. Les deux commandans militaires de Paris et de Versailles

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furent enveloppés dans la proscription, d'Estaing comme suspect, La Fayette comme dangereux. Le résultat de ce complot fut notifié aux conjurés absens, et le reste de la nuit fut employé à en préparer la réussite.

Le duc d'Orléans, qui se montre ici à la tête des régicides, avoit passé la nuit précédente à Paris pour décider cette irruption sur Versailles, qu'il vouloit rendre décisive. On l'avoit vu dans la matinée du 5, parcourir à pied différens quartiers de la capitale, où il avoit jugé sa présence et son argent plus nécessaires; et, dès que l'impulsion eut été donnée, il étoit accouru prendre sa place à l'assemblée nationale. Averti, lorsque l'avant-garde de l'armée des femmes parut, il étoit sorti precipitammeat de l'assemblée, et s'étoit porté sur la route de Paris pour reconnoître et juger ses forces. Toute la journée du 5 et la nuit qui suivit, le lâche conspirateur eut recours à tous les déguisemens qu'emploient les malfaiteurs. Il s'étoit montré à pied, à cheval, en cabriolet, en habit, en redingote, seul et accompagné, avec et sans décoratiou; mais partout il avoit été trahi par son visage bourgeonné. Le soir, on l'avoit reconnu près du château, en petit habit gris, au milieu d'une troupe de bandits, armés de piques, de lames de fer et de pistolets, qui nommoient injurieusement la reine, et crioient : « Il nous » faut sa tête; et nous aurons pour roi monseigneur » le duc d'Orléans, qui nous donnera du pain. »

A l'arrivée de l'armée de La Fayette, les chefs des conspirateurs se partagèrent le soin de la mettre dans leurs intérêts, bien persuadés que le serment qu'elle venoit de faire à son commandant ne tiendroit pas devant les tonnes de vin qu'on lui préparoit. Il en falloit beaucoup; on y avoit pourvu : la journée du 5 avoit coûté des sommes immenses au duc d'Orléans, la nuit lui coûta plus cher encore. Les soldats des deux armées et les brigands des deux sexes buvoient et mangeoient à son compte, dans les auberges et les cabarets. On leur dressoit des tables au coin des rues, où les vivres et le vin leur étoient servis avec une profusion qui annonçoit un approvisionnement commandé.

Durant toute l'horrible nuit, les émissaires et les complices connus du duc d'Orléans, parcouroient le vaste théâtre de cette orgie, et partout, sur leur passage, les groupes crapuleux éclatoient en applaudissemens. Le seul régiment de Flandre inquiétoit plus les malveillans que toute l'armée qui venoit de jurer fidélité au roi; et Mirabeau crut que le soin de travailler sa défection ne pouvoit appartenir qu'à des députés. Il s'en associa plusieurs, entre autres Barnave, Pétion et Lechapelier. Ces conspirateurs, le sabre au côté, se rendent sur la place d'armes où le régiment étoit posté, se jettent dans les rangs, criant : « La liberté ! mes enfans, »> nous vous apportons la liberté ! Nous allons com» battre pour elle, et nommer M. le duc d'Orléans

»régent. C'est alors que le soldat sera heureux. Dé»fiez-vous de vos officiers qui vous trahissent, et plus encore des gardes du corps, qui viennent » d'assassiner trois de vos camarades. » Ces discours, pleins de malice et d'imposture, n'en faisoient pas moins la plus sinistre impression sur des esprits crédules; et l'officier se trouvoit dans la plus cruelle perplexité, placé entre la défiance de sa troupe et le manteau d'inviolabilité qui couvroit ses corrupteurs.

Cependant l'heure fatale, arrêtée dans l'église de Saint-Louis, approchoit; et tout s'apprêtoit, tout s'ébranloit pour les massacres convenus, lorsque le duc d'Orléans, à cinq heures et demie, reparoît dans la même église avec ses principaux complices; et, feignant le désir d'entendre la messe, fait chercher un prêtre pour la célébrer. Sans prétendre expliquer cette sacrilége bizarrerie, on peut soupçonner que le monstre qui y avoit recours, craignant que ses démarches ne fussent épiées, vouloit, par cette ruse, entretenir dans la sécurité les augustes victimes qu'il avoit dévouées, jusqu'au moment où il leur feroit porter le coup de poignard. Quoi qu'il en soit, l'ite missa est devint un signal de carnage. Le duc d'Orléans sort de l'église avec ses conjurés; et, à l'instant même, des cris de mort et des hurlemens effroyables se font entendre, se répètent au loin, et portent la consternation dans le château. Accablé des fatigues de la nuit, le roi s'étoit mis

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