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foi, il faut en convenir, cette canaille-là méritoit bien de nous avoir pour ses législateurs. »

Mais qu'auroit pu Louis XVI en butte à de pareils hommes, et conseillé encore par Necker? Tous les efforts de la sagesse humaine comme tous les sacrifices de la vertu devoient échouer contre tant de perversité. Mirabeau et son parti, conjurés contre le monarque, ourdissoient tous les jours de nouvelles trames contre lui, et semoient de piéges tous les sentiers de sa droiture. Ils connoissoient trop bien l'équité naturelle de ce prince pour ne pas prévoir qu'il répugneroit à sanctionner les injustices et les dispositions anarchiques de leur séance du 4 août; et le refus qu'ils prévoycient entroit dans leurs calculs. C'est sur ce refus qu'ils fondoient l'espoir de légitimer aux yeux du peuple l'horrible scène qu'ils méditoient dès lors de lui faire jouer, pour pousser enfin leur d'Orléans à la place de Louis XVI détrôné et nous verrons bientôt, en effet, comment la nuit du 4 août fut sœur et complice de la nuit du 5 octobre.

Les nombreux forfaits du mois de juillet, et le scandale de leur impunité, n'avoient que trop bien appris aux brigands tout ce qu'ils pouvoient oser en tous lieux et contre les personnes et contre les propriétés : la séance du 4 août vint ajouter encore à leur audace; et cette débauche d'injustices dans l'assemblée décida un nouveau débordement de crimes dans les provinces. Les

chefs du côté gauche, avertis par les événemens, sentirent qu'ils avoient couru trop étourdiment aux conséquences de l'anarchie, et sans en avoir suffisamment établi les principes et défini le mode. Ils avoient commencé par gratifier le peuple des droits et du nom de souverain: ils se souvinrent qu'ils ne l'avoient pas encore revêtu des droits de l'homme, dans lesquels néanmoins résidoit le germe heureux de sa souveraineté.

Il étoit enfin arrivé le moment désiré par la franc-maçonnerie, accéléré par la philosophie, et déterminé par les conspirateurs du Jeu de paume, de donner à la France une constitution, ou, si l'on veut, de dissoudre la monarchie française. Mais, avant de constituer la France en société, ses législateurs jugèrent convenable de constituer le Français en homme social; et, après de sérieuses discussions et de vifs débats, le marquis de La Fayette, qu'on surnommoit le libérateur du Nouveau-Monde, fut admis, le 20 août, à l'honneur de révéler aux habitans du vieux monde ce qu'il avoit recueilli dans le nouveau, sur les droits de l'homme. Alors le fidèle disciple de Franklin se mit à réciter ce premier article de sa leçon d'outre

mer:

«Tous les hommes naissent et demeurent libres »>et égaux en droits (17) ! »

L'assemblée s'extasie devant cet apophthegme de la sottise et de l'anarchie; et un décret est porté

pour assurer à l'homme civilisé de l'Europe l'apanage de l'homme des forêts américaines. A la suite de La Fayette, les autres Solons de l'assemblée sont invités à lui faire part de leurs lumières sur ce grand sujet; et l'abbé Sieyes, qui a succombé en plaidant devant ses collègues les droits du chanoine, les trouve disposés à accueillir ses conceptions sur les droits de l'homme. Il est puissamment épaulé par les législateurs dauphinois, et par d'autres encore, qui ont approfondi l'étude des droits de l'homme et le mieux combiné les moyens de l'en faire jouir.

Grâces aux lumières philosophiques qui éclairoient le déclin du dix-huitième siècle, l'hommefrançais, cet homme qui, dans sa vanité, se flattoit souvent d'être le premier homme du monde, s'aperçut tout à coup qu'il avoit rampé jusqu'alors dans la dégradation, et se félicita d'être né pour entrer en jouissance des droits de l'espèce humaine. Les principaux et les plus précieux de ces droits, reconquis sur le despotisme, étoient, outre la liberté et l'égalité, la co-souveraineté sur lui-même et sur ses semblables, et la noble faculté encore de la révolte, appelée droit de résistance à l'oppression.

Il y avoit déjà long-temps, à la vérité, que les Voltaire et les Rousseau, les Raynal et les Mably, éclairés à l'école du protestantisme, avoient averti de ces droits le peuple qui lit. Mais du moment qu'ils eurent été révélés et assurés, par ses législa

teurs, au peuple qui ne lit pas, ce peuple, dans le double sentiment de sa force et de ses droits, en signala l'exercice sur tous les points de l'empire par les dévastations, les incendies et les assassinats. Les plus cruelles vengeances s'appelèrent la justice du peuple contre les usurpateurs de ses droits. Ce furent les clubs philosophiques qui dénoncèrent alors ses ennemis à la multitude, sous le nom d'aristocrates; et, en peu de jours, toutes les autorités légitimes furent méconnues, tous les pouvoirs anéantis, les lois anciennes abrogées et les nouvelles méprisées. Dans les provinces comme dans la capitale, le peuple libre et souverain, se trouve tout entier dans les loges maçonniques, converties en chefs-lieux de sa résidence ; il y est sous les armes, et il y a pour conseil son intérêt et sa férocité.

Cependant les factieux, qui ont su rassembler tant de calamités sur leur patrie, en trouvent le dédommagement dans les embarras qui en résultent pour le monarque. Louis XVI est appelé en responsabilité de leurs manœuvres les plus perverses : tous leurs forfaits, sans en excepter le monopole sur les grains, deviennent les crimes de la cour et de l'aristocratie; et si le roi provoque la poursuite des brigands qui incendient les châteaux des nobles, on lui répondra que ce sont les nobles eux-mêmes qui y mettent le feu, pour avoir droit d'en accuser le peuple fibre et bon.

Ce fut au milieu de ces affreux désordres, et

parmi les assauts redoublés livrés au trône et à ses appuis naturels, que l'assemblée usurpatrice aborda la question de l'influence qu'elle laisseroit au monarqué, jusqu'alors législateur unique à la tête de son' conseil, dans la confection des lois dont il ne devoit plus être désormais que l'exécuteur, subordonné au peuple souverain. Icì, pour la première fois, Mirabeau étonna les royalistes én épousant la cause du roi, et en însistant avec plus de chaleur qu'eux-mêmes sur la nécessité de lui accorder, dans toute sa plénitude, la prérogative senatoriale: que les Romains appeloient veto, ou einpêchement à une loi proposée. On crat un instant' que Mirabeau revenoît à son Foi : C'étoit tout le contraire;' et l'on aura bientôt lieu de s'en 'convaincre. ⠀ Le conspirateur travailloit eu cela pour lui-même, se croyant déjà ministre absolu en France sous d'Or leans porté au trône, ou au moins à la lieutenance générale du royaume.

Les preuves et les indices trahissoient de toutes parts ce coupable espoir de la faction dominatrice." Ce n'étoit pas seulement au Palais Royal et dans le club breton, c'etoit dans 'toutes les coteries philosophiques que circuloit l'axiome : « Sans changement de dynastie; point de révolution. » Alarmé de ce qui se tramoit avec si peu de mystère, le côté droit, un jour, se leva tout entier, et somma le reste de l'assemblée de lui dire nettement si elle reconnoissoit, comme lois sacrées, « l'inviolabilité

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