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semblée ce nouveau gage de paix. et de confiance; et ce même jour les enthousiastes de l'assemblée sembloient comploter avec les factieux les mesures les plus directes pour porter jusqué sous le trône du monarque l'incendie qui déjà dévoroit la monarchie. Deux députés de la noblesse, Noailles et d'Aiguillon, s'étoient fait applaudir de l'assemblée, en appelant son attention sur les inconvéniens des droits féodaux; et Mirabeau, qui n'avoit rien à perdre en perdant ces droits, en avoit résolu l'abolition. Pour cet effet, les députés quí avoient le plus d'influence dans les affaires furent invités à un repas somptueux, dont les ducs d'Aiguillon et de Liancourt firent les honneurs, et le duc d'Orléans les frais. A la suite de ce festin, dans une séance nocturne, qui fut célèbre sous le nom de nuit du 4 doût, l'assemblée, sans discussion, sans délibérationy înspirée par les vapeurs du vin, décrète une foule d'injustices et d'attentats au pacte social, comme d'anéantir les privilèges des provinces d'état, contre la foi des traités qui les unissoient à la France; de dépouiller les possesseurs de leurs droits féodaux sans aucune indemnité, de gratifier les propriétaires fonciers aux dépens des propriétaires de la dime, etc. Après que l'assemblée a décrété ces libéralités et ces spoliations, un député s'écrie : « Au >> milieu de ces élans, messieurs, au milieu de ces transports, qui confondent tous nos sentimens, ne » devons-nous pas nous souvenir du roi ? — C'est au

>> milieu des États généraux que Louis XVI a été » proclamé le père du peuple: je propose qu'au mi>>lieu de cette assemblée nationale Louis XVI soit » proclamé le restaurateur de la liberté française.» La proposition de Lally-Tolendal est décrétée avec enthousiasme : la salle retentit des cris prolongés : Vive le roi! vive Louis XVI, le restaurateur de la liberté. L'assemblée entière se rendit auprès du roi, pour lui présenter, avec ses décrets spoliateurs, le nouveau titre dont elle l'avoit gratifié. Elle ordonna qu'une médaille seroit frappée en mémoire de ces événemens.

On en étoit à une époque où il eût été bien plus sage d'inviter Louis XVI à réprimer l'esprit de licence qui dépravoit ses sujets qu'à restaurer leur liberté. Aussi ce prince ne se laissa-t-il pas séduire par l'hommage qu'on lui faisoit d'un titre accusateur injuste du gouvernement de ses pères et de son propre gouvernement jusqu'à ce jour. Sans rejeter décidément aucune des dispositions adoptées par l'assemblée, il fit sur toutes des observations pleines de justesse et d'équité. Il louoit les unes, qui étoient

• Suivant son caractère léger, le Français plaisantoit encore quelquefois, au milieu même des scènes sanglantes dont il étoit environné; et le lendemain de cette séance nocturne, on se disoit, en se rencontrant : « Savez-vous l'heureuse nouvelle ? l'as»semblée, pour mettre fin à toutes nos inquiétudes sur la rareté > des subsistances, a pris le parti de proclamer le roi restaura

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> teur. »

selon l'esprit de sa déclaration du 23 juin, il faisoit ressortir l'injustice ou les inconvéniens des autres; et, par de sages tempéramens qu'il proposoit, il mettoit l'assemblée sur la voie de rectifier cette œuvre de ténèbres.

Embrassant également dans son respect, et balançant dans sa justice, les droits de la propriété avec ceux de l'humanité, le monarque disoit : qu'ayant donné lui-même l'exemple de l'abolition des droits de mainmorte et de servitude personnelle dans ses domaines, il croyoit que ces assujettissemens, qui offensent la dignité de l'homme, pouvoient être abolis sans indemnités. Mais il ajoutoit qu'il répugnoit à tous les principes que, sans une juste compensation, on enlevât aux possesseurs actuels leurs autres droits sur les terres, devenus propriétés transmissibles, vendus et achetés de bonne foi. Il observoit encore que cette disposition, en même temps qu'elle blesseroit les droits les plus légitimes de ses sujets, attaqueroit encore, dans des princes étrangers, des jouissances garanties par la foi des traités.

Parmi les divers inconvéniens des arrêtés de l'assemblée, que Louis XVI vouloit lui faire prendre en considération, il rendoit surtout palpable celui qui devoit résulter du droit de chasse, dont elle gratifioit indistinctement tous les Français, droit qui, autorisant pour tous le port des armes, entraîneroit des dangers incalculables. Et une fu

neste expérience ne tarda pas à justifier en ce point la sage prévoyance du monarque (15). Il observoit encore, quant aux dîmes : que, comme elles étoient affectées aux dépenses du culte, leur abolition, si elle avoit lieu sans charge de rachat, seroit une générosité d'autant plus déplacée que, tombant plus directement au profit des plus riches propriétaires, elle reporteroit sur le peuple les frais indispensables du culte dont la dîme le déchargeoit (16).

Mais l'intérêt du peuple n'avoit jamais été qu'un vain leurre dans la bouche des agitateurs de l'assemblée; et, quand Louis XVI faisoit sentir qu'il soutenoit la cause du peuple en défendant le gage représentatif des frais du culte, ce prince équitable n'avoit pas seulement contre lui et les indifférens sur le culte, et les illuminés ennemis de tout culte, il parloit encore à d'ambitieux fripons, qui couroient sans pudeur à leur propre fortune en se jouant également et de la substance et du sang d'une populace hébétée dans sa dépravation, et qu'ils n'avoient imaginé d'affabler de la dénomination de souverain, que pour mieux exploiter à leur profit l'apanage de sa souveraineté.

Par une des premières dispositions de ces jongleurs, qui s'étoient déclarés eux-mêmes libres et déchargés des sermens prêtés au peuple leur commettant, on pouvoit augurer le cas qu'ils feroient, dans les occasions, de ce même peuple par eux

élevé à la dignité de souverain. Nous ne saurions nous défendre de citer à ce sujet une anecdote, qu'on devroit lire tous les ans sur les places publiques, pour l'instruction de cette classe du peuple dont les conspirateurs ont coutume de faire l'instrument de leur révolte et le marchepied de leur ambition. Elle est relative au coryphée du côté gauche de l'assemblée, l'homme de son parti le moins dissimulé en scélératesse: c'est un trait de lumière qui perce à jour sa conscience avec celle de ses complices. Pendant cette fameuse orgie qui prépara la nuit du 4 août, et tandis que les vins étrangers couloient à flots sur une table plus splendidement servie que ne l'étoit celle de Louis XVI aux jours de sa prospérité, le directeur en chef du jeu cruel de la famine dans la capitale et ses environs, Mirabeau, qui depuis trois mois tâtoit le pouls au peuple, pour ne lui laisser que la force du désespoir et de la révolte, Mirabeau voyoit, d'une des fenêtres de la salle du festin, une multitude affamée qui se disputoit à la porte d'un boulanger une mince ration de pain de la plus mauvaise qualité, et qui, de temps en temps, suspendoit ses rixes particulières pour bénir les auteurs de sa détresse, en criant de toutes ses forces : Vive l'assemblée nationale! Frappé d'un tel contraste, ce loyal assassin de son jeune et burlesque souverain n'y tint pas, et s'échappa jusqu'à dire aux convives qui siégeoient à ses côtés « Par ma

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