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ennemi doit se donner les généraux qui y commandent. Quand la résolution du roi parvint à l'assemblée, le perfide Mirabeau ne se possédant plus, se répand en magnifiques éloges sur Louis XVI, qu'il appelle le prince vraiment digne de tenir tes rênes de l'état, et, dans son enthousiasme affecté, il propose à ses collègues de déterminer un mode pour « rendre hommage à la pureté des in>>tentions du monarque, à cet amour de la justice » qui le distingue éminemment, et qui donne à >> l'attachement de ses sujets pour sa personne sa>>>crée le plus saint et le plus durable des motifs. » Entraînés par le discours du conspirateur, tous les députés se lèvent, et l'assemblée, par acclamation, vote une statue A LOUIS XVI le père du peuple.

Cependant cette ivresse et ces transports de joie des plus zélés partisans du duc d'Orléans sur la résolution manifestée par le roi, sont justement suspectés par les sages royalistes, et leur paroissent du plus sinistre augure. Le fidèle Thierry fait part à son maître de divers renseignemens reçus

Paris. Tout ce que le monarque a de vrais et loyaux serviteurs autour de lui, ses amis, ses proches, les princes de son sang, ses domestiques même se réunissent pour le conjurer de renoncer à son projet, et un des princes ses frères se dévoue pour faire en sa place ce voyage périlleux. « Je ne crois »pas, mon frère, lui répondit le roi, que le danger » soit tout ce qu'on le fait; et, s'il est tel, en effet,

» c'est à moi seul de le courir. » Enfin, pour dernière ressource, la reine est à ses genoux, qui, en lui montrant ses enfans, le conjure avec larmes de ne pas livrer sa personne à deux cent mille révoltés aux ordres du duc d'Orléans et des conjurés de l'assemblée. Tout est inutile: Louis XVI inébranlable répond à la reine : «Je l'ai dit, madame: »oui, j'irai à Paris : mes intentions sont pures, >>> Dieu les connoît, je me confie en son aide. Mon >> peuple aussi doit savoir que je l'aime; et puis un >> roi se doit à ses sujets. »

Cette réponse décidée : j'irai à Paris, retentit comme un coup de foudre dans le palais de Versailles on crut y entendre l'arrêt de mort de Louis XVI, et toucher au dernier jour de la monarchie. Au moment où ce prince se disposoit pour son départ, il vit de nouveau autour de lui les princes de son sang, les grands de sa cour, et les ministres qui le quittoient, non plus avec l'espoir d'ébranler sa résolution, mais pour lui déclarer la leur, et l'assurer que son départ pour Paris seroit le signal de leur départ pour la frontière. On sent combien un tel adieu dut être déchirant pour le cœur de Louis XVI; et pourtant sa constance n'en fut pas ébranlée il les vit partir pour l'étranger, il partit pour sa capitale. Et ici, sans doute, on pourroit demander à ceux qui donnent le nom de foiblesse aux irrésolutions où l'embarras des circonstances jeta souvent Louis XVI, s'ils pourroient produire

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dans toute leur vie un trait de caractère qui approchât de celui-ci ? Et que l'on n'imagine pas que ce prince eût été assez imprévoyant pour s'être ici fait illusion sur un danger palpable pour tous les yeux. Il l'avoit jugé en philosophe ce danger, il l'affronta en chrétien; car il ne partit qu'après avoir rempli un grand acte de religion, et avoir fait un testament de mort, par lequel il instituoit l'aîné des princes ses frères lieutenant général du royaume.

Ce fut le 17 juillet qu'eut lieu ce voyage mémorable. Louis XVI avoit auprès de sa personne quatre seigneurs de sa cour, dont deux, le prince de Beauveau et le comte d'Estaing, d'une fidélité équivoque. La bourgeoisie de Versailles, étant venue réclamer l'honneur d'accompagner le monarque, en obtint de lui la permission, et ses gardes du corps eurent ordre de prendre les devans. La voiture, pour ne pas fatiguer ceux qui l'accompagnoient à pied, alloit au petit pas des chevaux. Sur la route, la garde volontaire du roi se recruta des habitans des campagnes, qui abandonnoient leurs travaux des champs, et accouroient en foule augmenter le cortége déjà très-bizarre que formoit le peuple de Versailles. Ils avoient pour armes leurs instrumens champêtres, des faux, des fourches et des tridens. Louis XVI, placé entre la scène domestique à laquelle il venoit de s'arracher et l'incertitude du sort qui l'attendoit à Paris, conservoit tout le calme d'une conscience irréprochable, et sourioit de

temps en temps au zèle empressé que lui témoignoit cette foule de bonnes gens que les conspirateurs n'avoient pas encore eu le temps de lui débaucher.

Aux approches de Paris, des dispositions du plus sinistre augure s'annoncèrent au roi : il étoit convenu que ses gardes du corps, à son entrée dans la ville, formeroient autour de sa voiture un rempart impénétrable à tous les traits de la malveillance. Le nouveau maire de Paris vint consigner cette troupe aux barrières, alléguant pour raison d'une si indigne mesure, que la garde ordinaire du roi pourroit faire ombragé au peuple, et en être insultée. Ce n'étoit là qu'un prétexte : le vrai motif, qu'ignoroit sans doute cet agent passif de la fáction régicide, c'est qu'il importoit, comme on va le voir, qu'une garde à cheval ne couvrît pas la voiture du roi, et que cette voiture, escortée de gens à pied, continuât de s'avancer à pas lents jusqu'au lieu où l'embuscade étoit tendue.

Louis XVI avoua depuis qu'au moment où on l'isoloit de ses gardes, il s'étoit applaudi d'avoir fait son testament de mort; mais que, trop avancé pour reculer devant le danger, il avoit senti la nécessité de le braver, et de se jeter sans hésiter au milieu des révoltés. Le maire de Paris agissoit de concert avec son commandant, et, lorsque Bailly otoit ses gardes à Louis XVI, La Fayette lui en donnoit d'autres : il l'environnoit de ces mêmes

brigands qui, depuis huit jours, remplissoient la capitale de crimes et de carnage. La plupart de ces hommes étoient porteurs de figures hideuses et sanguinaires, couverts de haillons, armés de piques et de haches, de méchans fusils et d'épées rouillées, ou de longues perches ferrées par le bout. Les gardes françaises, sous le nom de vainqueurs de la Bastille, formoient l'élite de cette cohue militaire. Son commandant général l'avoit formée en triple haie sur le passage du roi, et lui avoit recommandé de substituer au cri usité de vive le roi ! celui de vive la nation! cri de révolte, qui sera désormais répété par toute la France, pour y être long-temps un signal de sang et de forfaits.

C'étoit au moment de son passage sur la place de Louis XV que Louis XVI devoit être assassiné ; et ce fut en ce moment que son assassinat fut tenté. Le monstre aposté pour ce crime, muni d'une arme à feu du plus gros calibre, fit sa décharge au moment précis où le carrosse du roi se trouvoit en face de la rue Royale. La balle frisa la voiture, et eut assez de force pour aller frapper beaucoup plus loin une femme qui tomba morte sous le coup (9).

La confusion qui régnoit dans la marche, une musique bruyante et les cris perçans de vive la nation! se réunirent pour dérober à Louis XVI la connoissance du danger auquel il venoit d'échapper. Arrivé à l'Hôtel-de-Ville, il en monta l'escalier sous une longue file d'épées croisées, qui, en lan

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