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furent consultés sur ce qu'on pouvoit se promettre de leurs soldats; et tous furent d'avis qu'il seroit plus que téméraire de compter sur leur fidélité, et surtout de la mettre à l'épreuve en les commandant contre Paris (8).

Qu'on se figure donc Louis XVI placé entre les factieux qui conspirent ouvertement dans sa ville royale et les brigands qui triomphent dans sa capitale; n'ayant pour soutien qu'une armée séduite et pour conseil que des ministres de trois jours; et qu'on dise ce qu'il devoit faire. Voici ce qu'il fit : Sans s'abandonner lui-même, dans cet abandon général, il se porte à une mesure trop extraordinaire pour qu'on ait osé la lui suggérer. Après avoir fait expédier l'ordre de la retraite aux commandans de ses troupes, il sort de son palais, à pied, seul, sans suite et sans gardes, et va se jeter au milieu d'une assemblée où il sait que ses ennemis font la loi. La plus extrême confusion y régnoit en ce moment; et, depuis qu'on y avoit reçu la nouvelle de la prise de la Bastille, les plus fougueux orateurs du côté gauche n'avoient cessé d'occuper la tribune, où ils se transmettoient l'emploi de maudire la cour, à laquelle ils imputoient tous les malheurs du jour qu'eux-mêmes avoient commandés.

Quand on annonce le roi, un silence d'étonnement succède à l'instant au plus affreux tumulte. Sa présence rassure les uns, inquiète les autres, fixe l'attention générale. Tout son extérieur portoit

l'empreinte de la douleur profonde. Il n'avoit pas encore proféré une parole que son visage abattu avoit raconté les chagrins dont son âme étoit déchirée. «Messieurs, dit-il, le chef de la nation vient » avec confiance au milieu de ses représentans, leur >> témoigner sa peine sur les plus tragiques événe» mens, et les inviter à trouver les moyens de ra>> mener l'ordre et le calme dans Paris. Je sais qu'on » a donné d'injustes préventions; je sais qu'on a osé >> publier que vos personnes n'étoient pas en sûreté. >> Seroit-il donc nécessaire que je vous rassurasse » sur des bruits aussi coupables, et démentis d'a>>vance par mon caractère connu? Eh bien ! c'est » moi, messieurs, moi qui ne suis qu'un avec ma »> nation, c'est moi qui me fie à vous! aidez-moi >> donc, dans cette circonstance, à assurer le salut » de l'état je l'attends de l'assemblée nationale *. » Le zèle des représentans de mon peuple réunis » pour le salut commun, m'en est un sûr garant; »et, comptant sur l'amour et la fidélité de mes » sujets, j'ai donné ordre aux troupes de s'éloigner » de Paris et de Versailles. Je vous autorise, je vous » invite même à faire connoître mes dispositions à » la capitale. »

Cette démarche d'un cœur droit et loyal déconcerte la malveillance, et produit dans l'assemblée

C'est la première fois que Louis XVI qualifie de ce nom les États généraux.

un de ces effets spontanés qui préviennent la réflexion : tous les partis entraînés se confondent en un seul parti. Tous les cœurs sont à Louis XVI. On avoit essuyé des larmes pendant qu'il parloit; dės qu'il cesse de parler, l'assemblée se lève toute entière, elle éclate en cris de bénédiction, elle environne, elle serre le monarque, qui est moins reconduit que porté jusqu'à son palais. Cette scène inattendue attire au château toute la ville, qui, de la consternation où la tenoient les événemens de la capitale, passe tout à coup au sentiment contraire, et se livre à des transports de joie. Ainsi, du sein du plus furieux orage, Louis XVI voit-il encore briller un éclair d'espérance. Ce changement si subit des esprits lui paroît un bienfait marqué du Ciel; et le premier mouvement de sa reconnoissance, en rentrant dans son palais, le porte au pied des autels, pour y rendre grâces de ce succès, et s'armer d'un nouveau courage contre de nouveaux assauts.

L'assemblée, d'après ce qui venoit de se passer, nomma des députés pour aller porter à la capitale les paroles de paix qu'elle avoit reçues du monarque. Les plus marquans de ces envoyés étoient le marquis de la Fayette et Bailly. Le premier ayant félicité les Parisiens sur la conquête de leur liberté, ce compliment, approbateur de leur révolte, lui valut d'en devenir le chef, et d'être nommé par acclamation le commandant général de leur armée.

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Bailly, cher à tous les séditieux, depuis qu'il avoit présidé l'insurrection du jeu de paume, fut investi de la charge de maire, vacante par l'assassinat de Flesselles; et l'on vit alors, sans la participation du monarque, le gouvernement civil et militaire de sa capitale reposer tout entier sur l'épée d'un jeune aventurier et sur la plume d'un vieux académicien, l'un et l'autre infatués de l'esprit démocratique et révolutionnaire.

Ces nouvelles dispositions, quoique favorables à l'anarchie, ne remplissoient pas les vues du duc d'Orléans; ou, pour parler plus juste, de ceux qui avoient des vues pour lui. Son conseil, fécond en expédiens atroces, se décida d'aller à son but par la voie la plus courte, et d'attirer Louis XVI à Paris, pour en finir par un assassinat. Dans ce dessein il met en action les vainqueurs de la Bastille et les soudoyés du Palais-Royal, qui, au moment où les députés de l'assemblée se disposoient à retourner à Versailles, les environnent, criant que les vivres vont manquer dans Paris; qu'on sait que les troupes ne s'en sont éloignées que pour revenir sous peu de jours, et que la capitale a besoin, pour croire aux promesses du roi, que le roi lui témoigne, par sa présence, la même confiance qu'il a marquée à l'assemblée nationale.

Toute la députation, dont on peut croire, sans lui faire injure, que plusieurs membres étoient d'intelligence avec ces insolens révoltés, leur pro

mit ses bons offices auprès du roi pour l'engager à donner à sa bonne ville de Paris cette nouvelle preuve de son affection. En effet Louis XVI, au retour des députés, est prié, conjuré par le salut de l'état de se rendre à Paris. On l'assure que c'est l'unique moyen de prévenir de nouveaux malheurs, en détruisant les préjugés répandus contre sa bonne foi. Tant il est vrai que l'autorité qui a fait un pas avec des factieux ne sait plus où elle pourra s'arrêter. Louis XVI sentit qu'il alloit perdre tout ce qu'il paroissoit avoir gagné auprès de l'assemblée, s'il ne cédoit pas à cette nouvelle sollicitation; et, sans se dissimuler le danger, fort de sa seule conscience, il résolut de tout braver, d'aller renouveler à Paris l'essai qu'il venoit de faire sur l'assemblée, et de porter en personne les preuves de sa droiture à des révoltés qui ne lui offroient eux-mêmes aucun gage de la leur. Ce fut le 16 juillet que ce prince fit notifier à l'assemblée qu'il se proposoit d'aller le lendemain prouver à sa capitale qu'il ne la craignoit pas. Comme, sur ces entrefaites, les nouveaux ministres de Louis XVI, proscrits et dévoués à l'exécration publique, lui avoient donné leur démission, et que ce prince eût en vain cherché par tout l'empire qui auroit voulu les remplacer, il informoit en même temps l'assemblée qu'il rappeloit Necker et ses collègues. Il est des circonstances où des mesures dangereuses sont encore des mesures de prudence celui qui va offrir la paix dans le camp

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