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"où, par le concours des vues bienfaisantes de son »souverain et du zèle éclairé de ses représentans, »elle alloit jouir des prospérités que cette union »devoit lui procurer. Les États généraux sont ou»verts depuis près de deux mois, et ils n'ont point »encore pu s'entendre sur les préliminaires de > leurs opérations. Je veux le croire, et j'aime à »le penser, les Français ne sont point changés : » mais je dois au bien commun de mon royaume, >>je me dois à moi-même de faire cesser ces funestes » divisions. C'est dans cette résolution, messieurs, ›que je vous rassemble de nouveau autour de moi. » C'est en qualité de père commun de mes sujets, »c'est comme défenseur des lois de mon royaume, » que je viens vous en retracer le véritable esprit, »et réprimer les atteintes qui ont pu y être por» tées. — ›

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Le roi, après ce discours, fait lire par son garde des sceaux une première déclaration, dont les principales dispositions sont : « Que l'ancienne distinc»tion des trois ordres doit être conservée en son >> entier, comme essentiellement liée à la constitu>>tion du royaume; qu'en conséquence les délibé>rations prises par les députés du tiers état, dans »leur séance du 17 juin, et celles qui auroient pu » s'ensuivre, sont déclarées nulles, parce qu'elles » sont illégales et inconstitutionnelles; que le roi »ayant exhorté, pour le salut de l'état, les trois » ordres à se réunir, pendant cette tenue d'États

»seulement, pour délibérer en commun sur les »affaires d'une utilité générale, sa majesté entend »>qu'on exceptera nommément des affaires qui »pourroient être traitées en commun, celles qui >> regardent les droits constitutionnels des trois wordres et leurs propriétés queiconques; que le » consentement particulier du clergé sera nécessaire »pour toutes les dispositions qui pourroient intéresser la religion et la discipline ecclésiastique; »que, pour le bon ordre, la décence et la liberté »des suffrages, il est expressément défendu à toutes »personnes, autres que les membres des trois ordres »députés aux États généraux, d'assister à leurs dé»libérations, soit qu'ils les prennent en commun »ou séparément. »>

A la suite de cette déclaration, le roi en annonce une seconde, dont il ordonne à son garde des sceaux de faire la lecture. Cette loi qui, à toute autre époque, eût seule suffi pour rendre un roi de France l'idole de sa nation, pouvoit être regardée comme l'ouvrage personnel de Louis XVI. Ce prince, en effet, après en avoir arrêté toutes les dispositions essentielles avec Necker, avoit ensuite ajouté et retranché à la rédaction que ce ministre en avoit faite ; et c'étoit après se l'être ainsi exclusivement appropriée, qu'il venoit encore la promulguer lui-même, contre le gré de son ministre. Si l'on excepte de cette déclaration le dernier article, par lequel le monarque revendique et retient

la portion essentielle de force dont il ne pourroit se dessaisir qu'au préjudice même de son peuple, · tout est concession de sa part, tout est privation pour lui, tout est faveur pour le troisième ordre, comme tout est justice rigoureuse pour les deux premiers, dont il saisit le vœu libéral pour les associer à ses sacrifices pour son peuple. Aussi l'histoire conservera-t-elle cette pièce comme une des plus décisives dans le procès suscité à la monarchie par nos modernes Brutus (6).

La lecture de la déclaration du roi étoit achevée, et le plus profond silence continuoit de régner dans l'assemblée, stupéfaite d'une telle profusion de bienfaits de la part de son souverain, lorsque, reprenant la parole, Louis XVI termina la séance par cette apostrophe à l'assemblée, coupable, outre ses autres délits, de deux mois d'inaction ; « Vous » venez, messieurs, d'entendre le résultat de mes » dispositions et de mes vues: elles sont conformes »au vif désir que j'ai d'opérer le bien public. Mais »si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul je »ferai le bien de mes peuples; seul, je me consi» dérerai comme leur véritable représentant; et, >>connoissant vos cahiers, connoissant l'accord par»fait qui existe entre le vœu général de la nation »et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la >> confiance que doit m'inspirer une si rare har»monie, et je marcherai vers le but auquel je veux

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>> atteindre avec tout le courage et la fermeté qu'il » doit m'inspirer. Je suis le garant naturel de vos droits respectifs, et tous les ordres de l'état peuvent se reposer sur mon équitable impartialité. >Toute défiance de votre part seroit une grande » injustice: c'est moi qui, jusqu'à présent, ai fait >>tout pour le bonheur de mes peuples; et il est » rare peut-être que l'unique ambition d'un sou» verain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'enten>>dent enfin pour accepter ses bienfaits. »>

Il eût été impossible que l'ensemble de cette séance ne produisit un enthousiasme de reconnoissance pour Louis XVI auprès d'un peuple qui auroit pensé d'après lui-même : les conspirateurs le sentirent; et, pour prévenir l'explosion de ce sentiment, ils se hâtèrent d'empoisonner les intentions de ce prince, et d'opposer à la profusion de ses bienfaits un débordement d'insolence et d'outrages.

Le roi, en levant la séance, avoit enjoint aux députés de se retirer, et de se rendre le lendemain dans leurs chambres respectives, pour y suivre leurs travaux. Les deux premiers ordres étoient sortis de la salle, et le tiers état se disposoit à les suivre, lorsque Mirabeau, élevant la voix, s'écria:

Messieurs, ce que vous venez d'entendre pour>>rait être le salut de l'état, si les présens du des»potisme n'étoient toujours dangereux. Quelle est >>> cette insultante dictature? l'appareil des armes, la >> violation du temple national, pour vous comman

» der d'être heureux ! Qui vous fait ce commande»ment ? votre mandataire. Qui vous donne des lois »>impérieuses ? votre mandataire; lui qui doit les » recevoir de vous D et de nous, messieurs, qui » sommes revêtus d'un sacerdoce politique et invio>>lable. Je demande qu'en vous couvrant de votre » dignité, de votre puissance législative, vous vous >> renfermiez dans la religion de votre serment. — Il »> ne nous permet de nous séparer qu'après avoir » fait la constitution. »

Digne émule de Mirabeau, et non moins audacieux quand il n'avoit rien à craindre, un chanoine de Chartres, nommé Sieyes, vient à son appui : « Est-il puissance sur la terre, dit-il à ses >collègues, qui puisse vous ôter le droit de repré>> senter vos commettans, qui puisse vous empêcher » de délibérer sur les objets qui vous sont confiés ? >> Eh! messieurs, ne sentez-vous pas que vous êtes » aujourd'hui tout ce que vous étiez hier? Oui, nous >> continuerons nos travaux ; nous suivrons notre su»blime mission; nous dédaignerons le triste appareil aulique, qui vainement aura souillé le sanc>>tuaire national. Les vertus de la liberté sauront »bien le purifier des excès du despotisme. »

Le masque est donc enfin jeté, et ils se montrent à découvert les boute-feux qui ont fait le complot de renverser le trône et d'embraser leur patrie. Louis XVI aura beau faire, Louis XVI est roi voilà son crime, crime irrémissible aux yeux du

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