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ment aveugle à d'infâmes conspirateurs, au préjudice de la confiance qu'elle devoit à son roi.

Ce même jour, 12 de juillet, à la voix des agitateurs du Palais-Royal, les stipendiés du duc d'Orléans en sortent, se partagent en deux bandes, dont l'une, armée de torches, court incendier les barrières de la Chaussée-d'Antin, tandis que l'autre se porte chez les armuriers, enfonce les boutiques et pille toutes les armes qui s'y trouvent. Cet essaim de brigands étoit à peine sorti du Palais-Royal qu'il y fut remplacé par un immense rassemblement recruté dans les faubourgs, et qui, sans s'arrêter, se dirigea de suite vers la place de Louis XV. Cette troupe s'avançoit avec assez d'ordre, montrant pour signe de ralliement les bustes de Necker et du duc d'Orléans, couverts de crêpes noirs. Elle faisoit retentir les airs des cris redoublés : Vive d'Orléans! Vive Necker! et obligeoit tous les passans à saluer ces étendards de sa révolte.

Durant cet affreux tumulte, les soldats rassemblés autour de Paris n'attendoient que l'ordre d'y aller rétablir le calme, pour courir mettre le comble au désordre, et se confondre avec les révoltés. Le régiment de Royal-Allemand, resté fidèle à son roi et soumis à ses chefs, fut le seul qu'on jugeât à propos de commander en cette journée; et seul, ce régiment suffit pour dissiper les attroupemens, protéger les boutiques des armuriers, et mettre fin à la scandaleuse procession des deux fétiches des

Parisiens, en les sabrant dans les bras des fanatiques qui les portoient. Ce résultat prouve qu'il n'eût fallu que quelques régimens, d'une fidélité aussi décidée que celui-ci, pour effrayer les factieux et leurs brigands, pour prévenir les désordres et les horribles scènes qui vont décider de la captivité de Louis XVI et du sort de la monarchie.

Les séditieux, mis en déroute par la troupe réglée, firent leur retraite sur le Palais-Royal, ce repaire inviolable de tous les brigandages. Là d'atroces motionnaires, élevés sur des sièges, exhortent la multitude à ne pas se décourager pour cet échec. L'un propose des assassinats essentiels, et nomme le comte d'Artois et le prince de Lambesc. Un autre annonce qu'il est instant que le peuple nomme M. Necker ministre inamovible de la nation, et M. le duc d'Orléans lieutenant général du royaume. Le plus forcené de ces agitateurs, le francmaçon Camille Desmoulins, les deux mains armées de pistolets, promenant des regards effarés sur la multitude, ne cessoit de lui crier d'une voix rauque : « Aux armes, mes frères, aux armes, vous dis»je! Il en est temps, il en est temps ! »

Tandis que ceci se passoit à Paris, et que les ilJuminés du duc d'Orléans parcouroient les provinces la torche à la main, montrant aux crédules paysans des ordres imprimés du roi pour brûler les châteaux de leurs seigneurs, à Versailles, les chefs du côté gauche de l'assemblée ne faisoient plus mys

tère de leur conjuration contre Louis XVI; et Mirabeau croyoit les choses assez avancées pour oser dire, dans un cercle dont tous les individus ne pensoient pas comme lui : « Voulez-vous, messieurs, >> savoir ma pensée toute entière? c'est que jamais » nous ne parviendrons à la liberté que par une ré»volution à la cour, et en élevant M. le duc d'Or» léans au poste de lieutenant général du royaume*. » En effet, le conseil de ce prince, persuadé que, dans la fermentation actuelle des esprits, sa seule présence dans la capitale lui rendroit facile la conquête de ce poste ambitionné, le pressa de s'y rendre; et il y arriva la nuit du 11 au 12. Mais l'immense multitude qu'il trouva rassemblée dans les cours et le jardin de son palais, au lieu d'exalter l'audace du conspirateur, effraya sa lâcheté plus grande encore que son ambition. A peine eut-il dit à cette troupe, qui brûloit d'impatience de le voir à sa tête Vous ferez bien, mes enfans, de vous procurer des armes, que lui-même aussitôt, craignant de les voir briller, courut se cacher, sans qu'il fût possible de découvrir en quel endroit.

En vain ses agens, répandus le lendemain dans Paris, y feront-ils sonner le tocsin, distribuer des piques, enrégimenter la canaille; cent mille hommes

* Parmi les témoins de ce propos se trouvoient, outre les députés Mounier, Bergasse, Duport et La Fayette, deux étrangers de considération, l'un genevois, et l'autre le ministre des États américains Jefferson.

à sa solde, et qui l'appellent à grands cris pour lui livrer la ville dont ils sont la terreur, ne le feront pas sortir de sa retraite. Dans cet état d'incertitude, sans chef de marque et sans plan déterminé, cette masse soulevée va, pendant deux jours et deux nuits, promener le brigandage et l'effroi dans tout Paris. Tantôt, suivant le caprice des agitateurs du PalaisRoyal, elle ira brûler les barrières, forcer le Gardemeuble de la couronne, sous le prétexte d'y chercher des armes, et les prisons pour y recruter des complices; tantôt elle pillera des magasins et des bateaux, ou bien elle ira outrager les respectables missionnaires de Saint-Lazare, piller et dévaster de fond en comble leur maison nourricière de tous les pauvres du quartier; mais qui avoit contre elle d'avoir été habitée, comme maison de correction, par Beaumarchais, ce philosophe éditeur des OEuvres complètes de Voltaire, l'ami de Franklin et du grand-œuvre philosophique.

Enhardis par tant de faciles succès, les brigands, à la tête desquels se montrent toujours les gardes françaises, ambitionnent de plus glorieux exploits : ils font irruption dans l'hôtel des Invalides, d'où ils enlèvent un immense dépôt d'armes et du canon. Ils vont de là mettre le siége devant la Bastille. Cette prison d'état, depuis que Voltaire, et successivement un nombre de ses disciples l'avoient habitée, étoit en exécration aux philosophes, et par eux vouée à la destruction, pour le jour où une révo

lution les rendroit maîtres de Paris. C'est ce qui explique leurs prédictions si précises, celle entre autres de M. Mercier, dans son An 2440, et de Cagliostro, dans sa Lettre à un Français, sur la Bastille rasée et devenue promenade publique. Si le vœu de ces deux prophètes de la franc-maçonnerie devoit se réaliser, c'étoit, sans doute, par les moyens d'un grand maître des franc-maçons, et lorsqu'il seroit donné à un philosophe, franc-maçon à la fois et échappé des prisons d'état, de pouvoir faire d'une armée de brigands le pouvoir exécutif de la philosophie. L'expédition contre la Bastille fut ordonnée par Mirabeau, dirigée par ses complices du club breton, et payée par d'Orléans.

Le commandant de ce fort ayant été sommé de le rendre, répondit d'abord par un refus, puis hésita, et consentit enfin à des pourparlers. Le pontlevis ayant été baissé pour introduire ceux qui devoient négocier la capitulation, des assiégeans se précipitèrent avec eux, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que le commandant parvint à faire relever le pont. Alors ceux qui l'avoient forcé extérieurement obtiennent qu'on les en constitue les gardiens dans l'intérieur; nouvelle sottise d'un homme qui a perdu la tête. Bientôt les brigands, dont les canons ne peuvent rien contre la forteresse, et qui ne l'assiégent guère que par leurs clameurs et la fumée de quelques bottes de paille, y entreront triomphans, non par la brèche, mais par la

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