Page images
PDF
EPUB

néanmoins, sans se faire illusion sur ces démonstrations populaires, dit en cette occasion à la reine: « Vous le voyez, madame, ce peuple nous aime tout >>naturellement; mais, parce qu'il est crédule, il >> est si inconstant que demain nos ennemis le tour>> neront contre nous. » Ce ne fut pas même le lendemain, ce fut sur l'heure même que cette tourbe ignorante et passive, qui n'avoit pas encore essuyé les larmes d'amour qu'elle venoit de verser au seul aspect de son bon roi, plaçant sur la même ligne et le crime et la vertu, et le roi et les régicides, se laissa conduire du château chez Necker, et de chez Necker chez d'Orléans, pour faire partager à ces conspirateurs le sentiment de son aveugle reconnoissance.

Les trois chambres, jusqu'alors, avoient été présidées par leurs doyens d'âge. L'assemblée, devenue générale, dut se donner un président unique; et son premier choix tomba sur le duc d'Orléans. Ce choix fut du plus sinistre augure, en donnant la mesure de l'influence qu'exerçoit dès lors le grand maître de la franc-maçonnerie sur le plus grand nombre des députés. Mais le duc d'Orléans, dans la conscience de son incapacité, s'étant défendu sur le ton de la modestie de l'honneur que lui faisoient ses collègues, la présidence, à son refus, passa à l'archevêque de Vienne.

Cependant, cette réunion des trois ordres, provoquée par des attentats, prônée ensuite et célébrée par des fêtes publiques, comme l'aurore du jour de

paix, fut au contraire, comme l'avoient prévu les sages, le tocsin d'une guerre à mort, et un signal de toutes les calamités. Une fois assurés de la pluralité des suffrages, les chefs des factieux ne son gèrent plus qu'à s'en prévaloir pour déterminer les derniers désordres de l'anarchie, le grand espoir de leur ambition. La scission de l'assemblée se manifesta d'une manière tranchante dès ses premières séances; et les deux partis se distinguèrent d'abord sous les noms de côté droit et de côté gauche; dénomination relative à la position locale des opinans à l'égard du fauteuil du président, mais qui fut bientôt applicable au moral de leurs opinions.

Toujours beaucoup plus nombreux que le côté droit, le côté gauche se composoit de tous les adhérens du duc d'Orléans, de tous les mécontens du gouvernement, de toutes les têtes infatuées du philosophisme, de tous les ambitieux sans fortune, de tous les dissipateurs qui avoient mangé lá leur, de tous les sectaires encore que Brienne avoit rendus habiles à siéger aux Etats généraux, de tous les chevaliers initiés au double secret de la franc-maçonnerie, de tous les avocats imbus des principes de J.-J. Rousseau, de tous les prêtres plus versés en philosophie moderne qu'en théologie; en un mot, de tout ce qu'il y avoit dans les trois ordres ou d'esprits faux ou d'hommes ennemis de la morale et des dogmes catholiques. Le plus audacieux et le plus éloquent des meneurs de ce troupeau, c'étoit, comme

nous l'avons remarqué, Mirabeau; le plus odieux, d'Orléans; le plus versatile, Sieyes, et le plus sanguinaire, Barnave: car Robespierre couvoit seulement alors la férocité qu'il déploya depuis.

On voyoit siéger au côté droit tous les archevêques et évêques, un seul excepté, la grande pluralité des autres membres du clergé, avec ce qu'il y ayoit de plus respectable et de plus sage parmi la noblesse et le tiers état. Un petit nombre, se donnant pour impartiaux, comme s'il étoit permis de l'être à l'égard des principes, affectoient de tenir le juste milieu de la salle : on les appeloit indifféremment le ventre ou les amphibies. Ils aspiroient à la neutralité, et ne l'obtenoient pas même en considération. Une chose remarquable, c'est qu'un nombre de nobles, royalistes dans leur chambre, siégèrent dans l'assemblée nationale avec le côté gauche antiroyaliste, tandis qu'au contraire la plupart des curés, qui s'étoient empressés de se réunir au tiers état avec l'archevêque de Vienne, tinrent constamment le côté droit avec ce même prélat.

Entre plusieurs députés siégeant de ce côté, qui se distinguoient par le digne usage des talens oratoires, on remarquoit un frère de Mirabeau, Mais le premier orateur, sans contredit, de toute cette assemblée, l'homme qui écrasoit le sophisme de tout le poids de la vérité, celui qui défendit avec le plus de courage et de véritable éloquence les droits sans cesse outragés de la justice et de la rai

son,

de la religion et du trône, de la noblesse et des propriétés, c'étoit l'abbé Maury.

[ocr errors]

La pluralité des membres de cette assemblée réunie ne tarda pas à déceler ses intentions sinistres contre le trône et l'autel. Les cahiers des assemblées par bailliages énonçoient, avant tout autre demande, le vœu positif, « que la religion catholique, apostolique et romaine fût reconnue et dé>>clarée la religion de l'état. » Le côté droit requit l'assemblée de consacrer par un décret ce vœu unanime dé la nation française. Mais la demande fut éludée et repoussée par tout le côté gauche, sous le spécieux prétexte qu'on ne décrétoit pas des faits, mais, suivant la perfide intention que nourrissoient déjà, et que manifesteront bientôt les conspirateurs, de substituer à la religion catholique un système religieux plus accommodant et moins ennemi de la révolte.

De ce refus, de reconnoître l'unité de gouvernement religieux dans la monarchie, à celui d'y reconnoître l'unité de puissance temporelle, il n'y avoit qu'un pas, que l'assemblée se hâta de franchir. Faisant sa part et celle du roi à la manière protestante, elle s'adjagea le pouvoir législatif, le constant apanage des monarques français, et assigna à Louis XVI le pouvoir subordonné qu'elle appela exécutif. Ainsi, ceux qui avoient été librement convoqués par ce prince, et délégués aux Etats généraux comme ses conseillers et ses fidèles sujets,

s'y annonçoient, et entendoient y siéger comme ses
maîtres; et Mirabeau, en discutant cette préten-
tion, s'écrioit : « Nul ne peut s'asseoir parmi nous,
» s'il ne reconnoît la souveraineté de cette assem-
>> blée. Nulle puissance ne peut dire ici Je veux,
>> pas même le pouvoir exécutif. » Ce langage, qui
éût encore révolté tous les Français sous le règne
de Louis XV, n'excita aucune réclamation dans
l'assemblée, pas même celle des conseillers domes-
tiques et des ministres de Louis XVI. On ne tardera
pas cependant à apprendre à quoi se réduit un
pouvoir exécutif; et à la question qu'on agitera
incessamment: si le consentement du roi est né-
cessaire pour
valider les lois de l'assemblée souve
raine, les députés, au nombre de huit cent qua-
rante-trois, contre environ cent quarante, se pro-
nonceront pour la négative. Ainsi, le sophisme pro-
testant de la souveraineté inaliénable du peuple,
véritable hérésie dans l'église romaine, se glissa-t-il
sans nulle difficulté, et se trouva-t-il tout à coup
établi comme principe incontestable au sein de la
monarchie française tant les systèmes philoso-
phiques avoient prévalu, et dénaturé en ce point les
idées catholiques. Le prestige, il est vrai, n'aveugla
pas toujours les cœurs droits. Mais on ne recon-
nut l'illusion et tout le danger du principe accordé
qu'après qu'on eut été entraîné bien loin par
les conséquences, et qu'on eut vu le nouveau
pouvoir législatif souverain, méconnoître d'a-

1

« PreviousContinue »