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le peuple, exige de lui la promesse qu'il ne l'abandonnera jamais. Cette promesse donnée est accueillie par de bruyantes acclamations, au-dessus desquelles s'élèvent dans le lointain les cris, Nous voulons voir M. Necker! Qu'on nous montre le sauveur de la France! Alors des bras vigoureux se présentent officieusement, qui élèvent le vénérable et l'exposent aux regards avides de ses adorateurs. Les applaudissemens redoublent, et le fétiche est reporté processionnellement jusqu'à son hôtel du contrôle général. Là se font de nouvelles folies, auxquelles président les députés du tiers état. C'é toit le soir : on allume des feux de joie, on fait des illuminations.

Après cette journée mémorable par les bienfaits, plus mémorable encore par l'ingratitude, la sédition prit un aspect plus menaçant que jamais. Par les soins des députés formant le club breton, des brigands soudoyés, et une populace rendue furieuse, ne cessoient d'appeler les poignards et la mort sur la tête des plus fidèles sujets de Louis XVI, des évêques surtout et des nobles qui persistoient dans leur refus de compromettre la constitution française et l'autorité monarchique, en se confondant avec le tiers état. D'affreux libelles se succédoient rapidement, qui dénonçoient ces hommes courageux, et les signaloient nominativement aux poignards des brigands. On lisoit dans les carrefours une lettre des Parisiens qui chargeoit ces amis

éclairés du peuple de toutes les malédictions du peuple, en les mettant en opposition avec celui qu'on n'avoit pas honte d'appeler le vertueux duc d'Orléans, l'objet de la vénération publique.

Ces moyens de terreur augmentoient de jour en jour les conquêtes du tiers état, mais ne les rendoient point complètes. Ce fut dans le dessein d'en obtenir une décisive que les conspirateurs s'appliquèrent à effrayer le château. Ils firent en sorte, par les intelligences qu'ils s'y ménagèrent, que la reine, les princes et les collègues même de Necker dans le ministère crurent au danger personnel du roi : « J'ai l'effrayante certitude, écrivoit M. le comte » d'Artois au président de la chambre de la no» blesse, que les jours du roi ne sont pas en sûreté. » Necker, de son côté, ne rencontroit pas un fidèle des deux premiers ordres qu'il n'affectât de lui dire à l'oreille Yous voulez donc, monsieur, faire > assassiner le roi?» Car ce n'étoit pas l'assassinat du monarque, ce n'étoit que celui de la monarchie que se proposoit l'indulgent républicain.

Durant cette crise, on tenoit des conseils à la cour; mais Necker étoit de ces conseils. On y tenoit aussi des comités, dont il étoit exclu. Mais, comme on n'y proposoit que des demi-vues, tous les résultats n'étoient qu'indécision. Chacun, en ce moment, se croyoit appelé à conseiller son roi; et Louis XVI, à toutes les heures du jour, se voyoit en butte à un flux et reflux d'avis divers, qui sans

cesse se succédoient et sans cesse se détruisoient; sans que, parmi tant de conseillers officieux, il se trouvât un seul homme de tête et de résolution, un de ces génies décisifs et puissans en ressources, qui osat chercher le salut dans le péril même, se saisir du gouvernail abandonné, et, d'une main hardie, pousser le vaisseau dans le port en bravant la tempête.

Dans ce double abandon de ses conseils et du peuple qui l'environne, seul et sans appui que sa conscience et ses vertus, au milieu d'une forêt où les brigands sont en force, Louis XVI fait appeler le président de la chambre de la noblesse, c'étoit le duc de Luxembourg, pour lui demander à quoi se déterminoit sa chambre? « Sire, répond le brave >> chevalier, à mourir elle a même la certitude • qu'accablée par le nombre elle mourra; mais, en »> tombant sous le fer des assassins, elle frappera de » nullité leurs opérations, et par-là, peut-être, sau» vera la monarchie. Telle est, sire, sa dernière ré>> solution. >>

A cette détermination héroïque de la noblesse, du sacrifice certain de sa vie, mais sans autre garantie du succès qu'un peut-être, Louis XVI, qui n'étoit jamais plus décisif que quand il étoit mû par son cœur, répliqua vivement : « Et moi aussi, M. de » Luxembourg, j'ai pris ma résolution : je ne veux >pas qu'un seul homme périsse pour ma querelle. » Dites donc à ma brave noblesse que je la prie de

» se réunir aux autres ordres; et, s'il faut quelque » chose de plus, je le lui ordonne comme son roi, »je le veux. » On imagine aisément ce qu'il en dut coûter au brave royaliste pour se faire le fidèle messager de cet ordre de son roi auprès de sa chambre. Quoi qu'il en soit, là finit ce combat de générosité; et, quelle qu'en ait été l'issue, l'équitable postérité n'en partagera pas moins son admiration entre cette fidèle noblesse qui dit à son roi : « Nous pé>> rirons, mais avec l'espoir que vous régnerez, » et ce roi plus magnanime encore, qui répond: « Je » défends qu'un seul homme périsse pour ma que»relle. Les annales de la monarchie n'offrent rien de plus admirable. Notre admiration, au reste, ne dit point ici approbation car elle étoit évidente cette illusion du sentiment, qui faisoit oublier à Louis XVI que la querelle du chef est encore celle des membres, et que la noblesse, en se dévouant ici pour son roi, se fût aussi dévouée pour la patrie.

Le même ordre que Louis XVI intimoit à la noblesse par le duc de Luxembourg, il l'adressoit à la chambre du clergé par son président, le cardinal de la Rochefoucauld. Ces deux présidens, en se présentant avec leurs fidèles dans la salle du tiers état, dite alors de l'assemblée nationale, motivèrent également leur démarche sur leur respect pour les ordres du roi; et le président du clergé renouvela de plus ses réserves pour tout ce qui concernoit la religion, dans le sens de la déclaration

du 23 juin, à laquelle il s'en rapporta sur ce sujet. Ce fut encore ici au milieu des applaudissemens tumultueux, et avec toutes les démonstrations de la cordialité, que l'assemblée des factieux accueillit dans son sein ceux qu'elle n'avoit tant d'impatience d'y voir réunis que pour les y étouffer.

A la première nouvelle de cette réunion, l'aveugle multitude, docile à toutes les impressions qu'il plaît à ses agitateurs de lui communiquer, se montre ivre de joie, remplit les rues de Versailles, et se porte en desordre vers le château. Ce nouveau rassemblement y cause d'abord de l'inquiétude; mais bientôt on s'aperçoit que les cris qui retentissent sont des cris d'allégresse et de bénédiction qui appellent le roi et la reine. Louis XVI croit devoir à Ja persévérance de ces cris, de paroître sur le balcon avec la reine. A leur aspect, les acclamations redoublent; et la reine, à ce spectacle, si différent des scènes précédentes, ne peut retenir ses larmes. Louis XVI aussi, présentant la main à son épouse, laisse échapper des marques de sensibilité. Ici les cris de vive le roi, vive la reine! s'élèvent jusqu'aux nues; et ce peuple, redevenu français, confond ses larmes d'attendrissement avec celles de ses maîtres.

Qu'on en fasse ici la remarque pour la réitérer souvent dans la suite, qu'à chaque pas que va faire la cour vers le précipice, les factieux la feront encenser et applaudir par la multitude. Louis XVI

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