Page images
PDF
EPUB

Mines de Fer-Forges

ROSTAING et HERMANS

Nous avons parlé déjà des forges établies par MM. de Rostaing et Hermans; Dumas et Poivre devaient apporter dans leur jugement sur cette immense usine la même opposition qu'ils montraient en tout.

Le 30 9bre 1767, Poivre écrivait au Ministre que l'établissement des forges de M. Hermans pouvait fournir un million de fer par année, et que l'on pouvait dire la mine inépuisable, puisque du plus au moins. l'Пle entière n'était qu'une minière. Il disait que ce fer avait le nerf et la douceur du meilleur fer d'Espagne. Il parlait du courage et de l'intelligence qu'il avait fallu pour créer un semblable établissement, et des sommes énormes qu'il avait coûté aux fondateurs. Il terminait en rappelant que M. de Rostaing, en 1757, avait nourri, pendant plusieurs mois, tous les esclaves occupés aux fortifications de l'ile, que, dans une disette, il avait donné une quantité considérable de grains; que pendant la dernière guerre, il avait fourni le pain et la viande au corps entier des officiers, et que, dans tous les temps, il avait été une ressource intarissable pour tous les colons; puis il demandait, pour M. Hermans, des grâces et des récompenses flatteuses.

De son côté, le 23 Décembre 1767, Dumas disait que le gouvernement n'aurait jamais dû permettre l'établissement des forges du comte de Rostaing. Il le regardait comme pernicieux à la colonie, par cinq mille arpents de terre qu'il occupait au détriment de la culture, par dix mille arpents de bois en réserve, qui feraient 64 habitations, par l'amas d'eau qu'il avait fallu faire et qui ôtait la faculté de l'arrosage à tout le quartier des Pamplemousses, et, enfin, par l'emploi de huit cents noirs et de quarante blancs, qui n'ajoutaient rien à la production et consommaient des subsistances. I convenait, cependant, que l'établissement était beau, que la mine était bonne, que le fer avait un grand débit dans l'Inde, que la fourniture de charbon nécessaire avait été assurée; mais il disait que le fer fabriqué sur les lieux n'était pas meilleur marché que celui qui venait pour le compte de la Compagnie, et que cet établissement, plutôt à charge qu'utile à la Colonie, ne méritait d'être conservé que par les égards dus à la propriété des entrepreneurs.

Cependant le fer de l'Ile de France parait être d'une excellente qualité. "M. Legentil, membre de l'Académie des Sciences, rapporte une expérience concluante à cet égard on avait employé, à l'Ile de France, pour réparer les mâts de quelques bâtiments français, pendant la guerre, un bois élastique que l'on comprimait par des cercles de fer. La dilatation du bois rompit tous les cercles qu'on avait fabriqués avec du fer d'Europe; tandis que ceux qui avaient été faits avec le fer du pays demeurèrent inébranlables. (Magon Saint-Elier p. 19)

Bougainville qui, lors de son passage à l'Ile de France, (9bre 1768,) avait visité les forges de M. le Comte de Rostaing, en parla dans les termes les plus favorables,

Le fait est que le fer des îles est très aigre, il serait cependant susceptible d'être travaillé; mais en employant les moyens qui peuvent l'adoucir; le gouvernement s'était occupé de cette partie. Le général d'Herville, capitaine d'artillerie, en 1782, avait été chargé d'établir une fonderie au Grand Port; les projets et devis avaient été acceptés. Les habitants de ce quartier avançaient une somme de sept cent mille livres, et l'Ile de France, l'Inde et les îles eussent été approvisionnés en bombes, boulets, grenades, gueuses, à un prix très avantageux pour le roi. Les bois, taillis eussent été exploités, les habitations incultes, mais produisant beaucoup de fer, eussent été mises en valeur, par cet établissement; les quartiers voisins eussent acquis une activité qu'ils ne pouvaient avoir par la culture.

Ce projet eût le sort des idées utiles, il ne put être exécuté, la paix survenant, (en 1783,) l'anéantit. Il fut renvoyé à d'autres temps. Ainsi, ce que l'on eût pu former avec réflexion et une dépense moins considérable, menaçait d'être construit à la hâte et à plus grands frais, dans un temps où nos besoins auraient été plus urgents." (D'Herville No. 8)

[blocks in formation]

Potier de Courcy, Commissaire de marine, était fils d'un brave enseigne de vaisseau qui comptait 22 campagnes, (noyé par accident,) et neveu du marquis de Béthune.

1741-Il avait 18 ans, lorsque, en 1741, il fut fait élève de la marine à Rochefort. Il avait déjà vu le Canada, la Martinique et St. Domingue, lorsque, en 1747, le vaisseau le Sérieux, de l'escadre de Jonquières, faisant les fonctions d'écrivain principal, il assista au fameux combat du Cap Finistère, combat dans lequel il se fit remarquer par sa belle

conduite.

1751-En 1751, il était Commissaire de la marine au département de Brest. La manière dont il s'acquitta de ses fonctions lui mérita des éloges.

· 1756--En 1756, il fut nommé avec distinction par le garde des sceaux pour armer comme ordonnateur à la suite de l'escadre Galisonnière. Cette campagne, (siège et prise de Mahon,) lui valut la haute paie comme aux capitaines des vaisseaux de l'escadre et une lettre de son général demanda pour lui au ministre la Croix de St. Louis.

1759-En 1759, il fut, sans l'avoir demandé, nommé commissaire de l'escadre de Froger de l'Eguille, son parent. Arrivé à l'Ile de France, il servit sous les ordres de M. de Mondion, son ancien, qui, à la fin de 1761, le fit repasser en France, comme passager sur le Boulogne, avec le comte d'Estaing. Mais ce vaisseau fut pris et Courcy blessé d'un coup de fusil à la gorge. Six mois après, il était guéri et rendu à la liberté. 1771-En 1771, il fut nommé commissaire général de la marine pour l'Ile de France, il devait servir sous Poivre et le remplacer, en cas de mort ou d'absence.

Le 3 7bre de cette année, il écrivait au ministre :-"C'est avec douleur que je vois M. Poivre entouré de ce qu'on peut hardiment nommer en partie la plus vile canaille et les hommes de la plus mauvaise foi à tous égards.

"Je n'ai pas ouï dire que M. Poivre se fut permis aucune sorte de chose qui put augmenter sa fortune; mais il a laissé et laisse encore des gens sans honneur s'enrichir aux dépens du roi et de l'habitant."

"Le Conseil de cette colonie est composé, en partie, d'un ramassis d'hommes qui, partout ailleurs qu'à l'Ile de France, ne sauraient vivre. Ces hommes flatteurs et à deux visages se sont emparés entièrement de M. Poivre, et lui font faire journellement ce que je n'imagine pas qu'il ait dans le cœur. J'ai peine à croire que je puisse parvenir à persuader à M. Poivre d'éloigner entièrement d'auprès de lui une foule de méchants. "On a été effrayé ici et accablé de douleur en voyant revenir un Sr. Rivaltz de St. Antoine, conseiller au Conseil Supérieur, le premier moteur de l'affaire malheureuse et trop éclatante entre M.M. Dumas et Poivre. Il est bien vrai qu'un tel homme aurait dû, de lui-même, ne jamais penser à revenir à l'Ile de France. Le Dr. Chalan de Belval qui, lors des discussions de M. Poivre avec M. Dumas, était alors le secrétaire de ce premier, fut renvoyé en France, parceque son mauvais génie avait porté le feu et la flamme partout. Cet homme dangereux est encore revenu ici reprendre ses fonctions auprès de M. Poivre. Il est abhorré dans la colonie, et n'y voit absolument que ceux que l'on méprise autant que lui. Il serait étonnant que M. Poivre ignorât tout ce qu'on dit de pareils sujets et combien l'on murmure de son étroite liaison avec eux.'

[ocr errors]

Et M. de Courcy, dégouté du service, demandait en grâce au Ministre, le 10 Décembre suivant, qu'on le fit sortir de cette colonie.

Pour en finir avec M. de Chalan de Belval, nous dirons qu'il est mort le 3 Juillet 1775, sur une habitation du quartier de Pamplemousses.

1772-Le 20 Juillet 1772, M. de Courcy disait:-"J'ai pris le parti de me retirer à la campagne pour éviter d'être spectateur de mille choses qui sont contraires à ma religion....M. Poivre m'obligera de me plaindre éternellement de lui. Je défie qui que ce soit de connaître un homme plus rusé, plus fin, plus caché, plus adroit et plus faux de sa personne."

"La continuation de mon étroite liaison avec M. le Chevalier Desroches, liaison qui date depuis 25 ans, est pour M. Poivre et ses adhérents un crime capital. Cela ne m'alarme pas, parce que j'aime M. le Chevalier Desroches et que je lui connais une probité et un honneur à toute épreuve. Je doute que tout autre que lui eût été aussi patient; en cela je l'ai fort approuvé et je l'admire."

"M. de Bompar, commissaire et contrôleur de la marine, (il n'y a pas une âme plus pure et plus honnête que la sienne,) et M. Hiriad, sous-commissaire, me sont constamment dévoués. Ce sont encore, Monseigneur, deux excellents sujets, qui ne sont uniquement occupés que des intérêts du roi. Ils n'en sont pas pour cela plus aimés ni plus riches; mais au moins on les craint et on doit respecter leur vertu.

1773-En 1773, M. de Courcy fut nommé ordonnateur de Pondichéry et des établissements dans l'Inde. Le 30 Juin 1774, il demandait la croix de St. Louis.

Ses appointements ne pouvant lui suffire à Pondichéry, où il avait déjà, en 1777, dépensé quarante mille livres de son bien, il avait demandé à revenir à Bourbon, et y était arrivé sur La Consolante, le 13 Août 1777. Il ne fut relevé qu'en 1784.

Le 7 Février 1780, il avait été nommé ordonnateur et désigné pour remplacer M. Foucault; mais cette disposition n'eut pas de suite.

M. de Courcy a toujours montré dans ses fonctions beaucoup de talent et de zèle, et il a constamment joui de la réputation la plus honorable. Les fripons lui ont reproché d'être impitoyable; mais ce reproche-là, loin d'être offensaut, lui est un nouveau titre à la reconnaissance et à la considération des honnêtes gens.

COMTE de la MERVILLE

1756.-En 1756, Jean Louis Thomas Franctot, baron d'Heurtault, Comte de La Merville, neveu du marquis de Tourville, était passé d'emblée enseigne de la Marine et avait servi comme lieutenant sous d'Aché. Il avait vu l'Inde en homme éclairé, (tout le monde lui accordait beaucoup d'esprit et de lumières). Il était venu s'établir à l'Ile de France, et avait voulu contribuer selon ses moyens à la destruction des abus scandaleux, dont il était continuellement témoin.

On a vu avec quelle illégalité, avec quelle tyrannie, les membres du Conseil Supérieur de l'Ile de France avaient agi contre les signataires du fameux mémoire L'Auguste protection. Trois d'entre eux avaient été mis en prison. M. le Comte de Chemillé, pour avoir attaché le grelot, M. Archambault, pour avoir écrit le mémoire. Quant à de La Merville, on avait contre lui une raison particulière. Quelques mois auparavant, il avait rédigé un mémoire dans lequel il avait dévoilé des mystères d'iniquité. Ce mémoire n'avait pas circulé à l'Ile de France; mais, comme au Ministère la Compagnie avait des agents secrets, qui l'informaient de tout, on savait dans la Colonie ce qu'avait écrit M. de La Merville.

1767-En date du ler Avril 1767, il proposait de donner une extension considérable au commerce de l'Inde, sans compagnie et sans frais pour l'état.

"La Compagnie, disait-il, réunit un ensemble peu connu en France, qui s'entendant autant à Paris qu'aux Indes, et aux îles, a le plus grand intérêt à dissimuler au ministère sa vraie position et la tyrannie qui s'exerce sur tous les sujets du roi, domiciliés dans ses établissements.

"N'ayant jamais participé dans cette manutention déréglée, mon témoignage ne peut être suspect. Un long séjour sur ce théâtre éloigné où, depuis huit ans, il se passe les scènes les plus étonnantes, m'a mis à même d'examiner et de découvrir les vices surprenants qui existent dans l'intérieur de cette gestion. Elle est trop intéressée, Monsieur, à ce que le système ancien subsiste, sans révision et sans réforme, pour accuser juste sur son principe destructif. Chaque agrégé à cette société profite trop utilement de la détresse de la Compagnie et de sa fausse régie, pour concourir à dévoiler des mystères d'iniquité qui font la ruine des actionnaires et des habitants de ces colonies."

"Les Iles de France et de Bourbon existent aujourd'hui dans l'épuisement, le délaissement et l'anarchie la plus dangereuse. Si le roi n'en prend très incessamment posssession, elles sont perdues sans

ressource, et, à la première guerre, il en coûtera des sommes peut-être inutiles à leur conservation. Le délabrement où elles se trouvent dans leurs parties les plus essentielles et la disette qu'elles éprouvent, après trois ans de paix, (1766) méritent, Monsieur, la plus sérieuse attention. Ces colonies sans culte, sans loi, sans justice, sans police, sans ordre, sans fortifications, sans travaux, sans garnison, sans vaisseaux, sans commerce, sans argent, sans signe représentatif, sans vivres et sans marchandises, périclitent au lieu d'accroître. Le papier circulant y est dans le plus grand discrédit. La livre de pain se vend 25 sous, le reste en proportion.'

[ocr errors]

"Le pouvoir illimité de la gestion de la Compagnie est, Monsieur, la source de tous les désordres passés et actuels aux Indes, comme aux iles. Livrée à son seul examen, il en dérive les plus grands abus. Seule chargée dans cet hémisphère des parties les plus difficiles et les plus étendues du gouvernement, elle en réunit toutes les classes subdivisées partout ailleurs et toujours exercées par des sujets des moins instruits. Ceux-ci acquirent sans doute la science infuse, du moment qu'ils sont introduits dans cette administration d'outremer, puisque le seul titre de conseiller les rend chefs du militaire, arbitres des finances, du commerce, juges du civil et du criminel, souvent sans commission du prince. Les chefs cherchant toujours à se faire des créatures pour diriger à leur volonté les délibérations des conseils, se sont insensiblement attribués la nomination de ces emplois vacants, de sorte que l'homme le plus vil, souvent expatrié par force, et parvenu à leur faveur par ses souplesses ou autrement, est fait conseiller, et, dans la plus profonde ignorance du droit, il juge à mort les sujets du roi, décide le sort de leur fortune, et commet arbitrairement dénis sur dénis. Les expéditions et légalisations dépendent d'eux; ils trouvent mille prétextes pour en arrêter l'appel en France. Jugez, Monsieur, d'après ce tableau fidèle à quels abus pareille administration est sujette, combien d'ailleurs elle a de ressorts propres à assoupir les plaintes et les empêcher de parvenir jusqu'au trône; combien d'injustices il se commet dans ces climats éloignés, combien ces tyrans du peuple cherchent, avec raison, à en écarter le gouvernement royal, combien, enfin, ils craignent la révision de leur conduite etc., etc.

......" Les Noirs, Monsieur, ces victimes de leur liberté, pour la population des colonies européennes, doivent trouver partout, dans la sagesse des ordonnances de nos rois, la surêté de leurs vies contre les entreprises inhumaines de leurs maîtres. Le Code Noir prescrit des bornes à leurs châtiments, spécifie la qualité de leur habillement, désigne l'espèce de nourriture propre à les substanter et leur accorde même certains jours de repos nécessaires à l'homme.

"Ici, où l'on n'adopte que l'indépendance et les passions, les esclaves succombent sous le poids du travail, à l'excès des coups, à la nécessité de la faim, et à l'état affreux de la nudité. Il s'ensuit, Monsieur, pour ces colonies, une dépopulation vicieuse et sensible par le dégoût, la crainte et le peu d'émulation des castes à perpétuer leurs familles. L'lle de France, défrichée au sixième, possède à peine dix-huit mille esclaves."

« PreviousContinue »