Page images
PDF
EPUB

de Mongommeri à la veuve & à la fille de Lan glade, dont la mémoire a été réhabilitée ; on ne leur accorda aucun dommages-intérêts. La défense du comte de Mongommeri fe réduifoit à dire à fes juges. Les circonftances ont déterminé mon accufation contre Langlade; vous avez examiné mes preuves; nous avons été déterminés par une erreur commune; je ne dois pas être puni, puifque vous ne pouvez pas l'être. L'humanité & la raison rejettent ce fophifme, & l'ordonnance fait un devoir au juge d'adopter une jurifprudence conforme à ce qu'elle prefcrit.

[ocr errors]

ou

On a vu, par ce que nous avons dit dans ce paragraphe, que le ministère public n'eft pas refponfable des accufations qui s'intentent & fe fuivent à fa requête; que des innocens livrés à fes recherches périffent dans l'opprobre du crime qu'ils parviennent à fe juftifier, ni eux ni leurs proches ne pourront lui demander justice de fon erreur; les uns & les autres refteront fans dédom magement & fans vengeance. Le falut du peuple eft le mot facré qui l'excufe.

Nous ne ferons point ici de digreffion fur le refpect que doivent infpirer, même au magiftrat qui les exerce, les fonctions d'un ministère auffi redoutable, auffi faint. Cet article, fublime par lui-même, a été traité par un écrivain qui a fu montrer qu'il ne lui étoit point inférieur (*): outre qu'il eft parvenu beaucoup au delà du but aurions pu nous propofer d'atteindre, le fujet qui nous eft confié, fe borne à examiner dans quel cas

que nous

(*) Le mot Minifère public, traité par M. Garat, est fait pour honorer le philofophe, le jurifconfulte, & l'orateur. Il fe place à côté du magiftrat dont il développe les grandes vertus & les grands talens; fes couleurs font trop vraies pour 'en pas avoir le fond dans fon cœur.

l'homme du roi, déchu de fon privilége, devient lui-même refponfable des pourfuites qu'il exerce contre un citoyen fans reproche, & eft tenu de cette Réparation. Qu'il nous foit feulement permis de mêler notre voix à ces réclamations qui éclatent de toute part contre ces condamnations, qui fouvent ne font que les triftes fruits de la prévention & de l'erreur; qu'il nous foit encore permis d'indiquer, autant qu'il eft en nous, les moyens de rendre ces condamnations plus rares & d'en réparer les fuites trop affreuses.

Si on fe régloit par les qualités qu'exigent le ministère public, la moindre faute de la part de celui qui l'exerce, le feroit déchoir de cette place éminente, & donneroit lieu à cette Réparation; il en feroit de même fi on fe régloit par les conféquences qu'entraîne cette faute même légère. D'un côté, ce ministère n'eft point cenfé fouffrir d'homme médiocre, dont la foibleffe excufe les fautes; de l'autre, l'honneur ne reçoit aucune plaie qui lui foit indifférente. Mais d'autres confidérations ont balancé ces confidérations puiffantes; il a fallu concilier la foibleffe de l'humanité avec la grandeur de la magiftrature, pour retenir dans cette place des hommes qui, ayant les qualités qu'elle exige, s'en éloigneroient lorfqu'ils la verroient, environnée de tant d'écueils. Auffi ne fuffit-il pas d'une faute en général, pour pouvoir prétendre exercer fon recours contre le ministère public; cette faute doit être grave; il faut que ce foit une infraction au texte même de l'ordonnance.

Il s'en faut bien que nous reconnoiffions dans cette ordonnance ce pouvoir arbitraire & illimité que lui attribue un difcours qui a procuré à fon auteur la palme académique; rien au contraire n'eft plus limité que ce pouvoir; auffi, en rendant hommage aux vûes de l'écrivain couronné, nous garderons-nous bien de foufcrire à fa critique; il

s'élève avec trop de facilité contre l'ordonnance de 1670. Cette partie de notre légiflation peut avoir fes imperfections; mais peut être ne manque-t-elle. que d'une fage interprétation. Sa précision, qui eft un mérite en elle-même, nuit fouvent à fon inteiligence (*).

(*) Ce n'est point dans un article auffi limité que l'on peut faire toutes les obfervations auxquelles l'ordonnance donne lieu; mais l'auteur du fang innocent vengé a critiqué plufieurs articles qui doivent étre regardés comme la fauvegarde ublique: 1°. l'article 23 du titre to, qui défend l'élargiffement des prifonniers, s'il n'en eft ordonné par le juge, encore que nos procureurs y confentent; 2°. l'article premier du titre 10, qui porte que tous décrets feront rendus fur les conclufions du ministère public.

L'auteur déclame contre le pouvoir illimité des procureurs du roi, & tel eft le zèle qui le transporte, qu'il échappe à fa pénétration de faifir que le premier de ces deux articles eft un frein contre l'abus de ce même pouvoir. Si les élargiffemens dépendoient des procureurs du roi, leur miniftère feroit fans cefle expofé à la tentation d'une compofition arbitraire, qui devient plus difficile, puifqu'il faut, d'après ce texte de l'ordonnance, faire partager au juge même la honte de cette corruption. Dans la dégradation du fiècle, dont il fait ces tableaux énergiques, combien ces compofitions ne feroient-elles pas à craindre fi le procureur du roi jouiffoit du double pouvoir & d'obliger le juge à décerner des décrets & de rendre à la fociété les fujets qu'il en auroit fait féqueftrer au moyen de ces mêmes décrets? L'auteur du fang innocent vengé entend le fecond article des deux qu'il critique, dans un fens que qui que ce foit, jufqu'à lui, ne lui a attribué; il croit y appercevoir le droit de forcer le juge à décerner des décrets, & c'eft au contraire un frein que l'ordonnance met à ce juge même; elle tempère fon autorité par celle du procureur du roi, qui, protecteur de tous les fujets, doit connoître de toutes les matières qui peuvent compromettre leur vie, leur honneur ou leur liberté. L'article 1 du titre 10 de l'ordonnance est négatif; il défend de déciérer far la requête de la partie civile, & cette probibition attefte la fageffe du légiflateur, qui oppofe le procureur du ri au juge, & le juge au procureur du roi. Si deux articles auffi faciles à faifir ont échappé à un auteur à qui une

Ses rédacteurs ne fe font pas affez mis à notre portée; elle fe lie avec les anciennes ordonnances qui leur étoient familières & ne nous le font point affez.

Cependant le ministère public, ce que nous entendons des procureurs du roi ou fifcaux, s'expofe à la Réparation que peut exiger l'accufé, fi, contre les difpofitions de l'article 6 du titre 3 de l'ordonnance de 1670, ils forment leur accufation fans avoir de dénonciateurs, à moins qu'ils n'y foient

fociété favante a déféré le laurier académique, & qui nous a donné un fyftême complet des loix criminelles, combien l'ordonnance, qui n'eft pas toujours auffi lumineuse, auroit-elle befoin que le législateur en donnât lui-même une interprétatation! Un article qui pourroit enflammer le zèle patriotique de l'écrivain qui donne lieu à ces obfervations, eft l'article 16 du titre 15. Cet article oblige l'accusé de fournir fur le champ fes reproches contre le témoin, & déclare qu'il ne fera plus reçu après avoir entendu la lecture de la dépofition.

encore,

Cet article, au premier coup-d'œil, paroîtra barbare. Comment voulez-vous, dira-t-on, que dans l'inftant même où on préfente un témoin à un accufé, celui-ci puiffe faire connoître au juge la turpitude de ce témoin & les liaifons qu'il peut avoir avec l'accufateur? Enfermé dans une prison, direz-vous comment voulez-vous qu'il parvienne à connoître ces rapports dont l'ordonnance a fait dépendre fon falut? Ce n'eft point aller trop loin que de croire que cet article aura fait cent victimes; mais on ofe croire auffi que la barbarie qui nous frappe n'eft que dans le défaut d'interprétation. L'ordonnance a fuppofé fans doute que l'accufé & le témoin avoient l'un de l'autre une connoiffance affez parfaite pour fixer le juge fur leur état réciproque; cette interprétation s'induit paturellement de la fin de l'article qui précède celui-là, & où le témoin eft aftreint à dire la connoiffance qu'il aura des parties; auffi Bornier ne l'admet-il qu'avec des réferves, trop limitées fans doute ; mais ce n'eft que le fentiment d'un commentateur contre lequel la taifon du juge qui procède à l'inftruction doit prévaloir. Il eft vrai qu'il eft de juges à qui il eft effentiet de tout dire, & c'eft une attention que n'ont pas toujours eue

les rédacteurs de l'ordonnance.

néceffités par le bruit public; ou fi, fe confor¬ mant plus à la lettre qu'a l'efprit de cet article, ils. prennent pour dénonciateurs des hommes dont l'infolvabilité ou l'infamie foit notoire. Les procu reurs du roi & ceux des feigneurs s'expofent encore à cette Répartion, fi, contre les difpofitions de l'article 2 du titre 10 de cette ordonnance, ils provo¬ quent des décrets contre des domiciliés, fans des preuves concluantes, au moins en apparence, ou pour des délits qui ne font point de nature à affeoir un décret. Le juge lui-même, en ce cas, s'expofe aux réclamations de l'accufé contre lui. Enfin, les uns & les autres s'expoferont, fi, lorfque l'inftruction ayant diffipé l'illufion de ces preuves, ils prononcent un jugement qui faffe connoître évidemment qu'ils ont été guidés par un efprit de dal ou de

vexation.

En 1695, M. le chancelier obligea M. de Peccalotzi, procureur général de la cour des monnoies, de fe défaire de fa charge, pour avoir, non pas prévariqué, mais pour avoir déployé un zèle inconfidéré dans l'affaire des Cafenauves qu'il avoit pourfuivis, pour fabrication de fauffe monnoie, à fa requête & fans dénonciateurs. Les Cafenauves avoient demandé dix mille livres de dommagesintérêts contre ce magiftrat, après l'arrêt qui les avoit déchargés de l'accufation, & l'arrêt avoit mis hors de cour fur leurs demandes refpectives; les Cafenauves s'étoient fervis des qualifications les plus fortes, l'ayant traité de prévaricateur. M. de Peccalotzi avoit demandé cinq cents livres de dommages-intérêts. La cour des monnoies, en prononçant le hors de cour, compenfa les dépens. C'étoit, dit le rédacteur du journal des audiences, en parlant du procureur général, » un jeune officier » qui, quoiqu'il n'eût pas agi à mauvais deffein » s'étoit un peu échauffé dans la poursuite «.

« PreviousContinue »