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obligé de foufcrire une accufation, ni de la pourfuivre après l'avoir foufcrite.

» Auffi voyons-nous que dans tous les procès criminels qui fe portent devant vous, les appelans ne manquent jamais d'alléguer le faux té"moignage; & lorfque ces accufations paroiffent fondées, M. le procureur général s'en rend plaignant de fon chef, & vous n'en déchargez pas » moins l'innocent «.

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On peut voir, d'après cet extrait, dans quel prin cipe fut rendu cet arrêt célèbre : les faits qui étoient contenus dans la plainte en fubornation s'étant trouvé faire partie de ceux qui étoient contenus dans. ceux des plaidoyers dont le ministère public avoit rendu plainte à l'audience, & fe trouvant même primés par d'autres faits plus graves, l'arrêt mit un hors de cour fur cette plainte, conformément au défiftement qui en avoit été fait à l'audience..

Cet arrêt & celui de Garnier contre M. de Mazières, font deux monumens précieux de notre jurifprudence criminelle; l'un dégage l'innocence des piéges que le calomniateur pourroit lui tendre dans le cours d'une inftruction, & des longueurs de cette inftruction, qui elle-même eft en quelque forte un fupplice; l'autre raffure contre les dénonciateurs; il punit M. de Mazières pour des démarches que les circonstances rendoient excufables.

Quoique plufieurs arrêts aient exempté de cette Réparation l'héritier qui rend plainte du meurtre commis dans la perfonne de celui dont il hérite, on ne doit point encore regarder cette question comme décidée.

Deux arrêts conformes fuffifent, il eft vrai, pour établir une jurifprudence; mais cette jurifprudence peut elle-même changer, tant qu'elle n'eft point appuyée fur une loi; & outre que celle-ci ne tient fon existence que d'elle-même, elle paroît être

opposée

oppofée aux principes de l'humanité & à ceux d'une faine raifon; principes qui font feuls vrais par effence & qui doivent faire changer la loi même, lorf qu'elle ne les a point affez confultés.

Cette question fut agitée lors du meurtre de madame Mazel, entre les héritiers de cette veuve, meffieurs de Savonnières, confeillers au parlement, & la femme & les enfans du malhenreux le Brun, qui mourut dans les prifons, à la fuite des tourmens de la torture, & dont l'innocence fut recon nue après la mort. Voici l'efpèce de cet arrêt qui met hors de cour fur la demande en dommages intérêts formée contre les héritiers.

Le 27 novembre 1689, les filles de le Brun vont voir la dame Mazel, dont il étoit valet-dechambre après fon dîner, elle leur fait accueil & les invite à revenir à une heure plus commode elle alloit à vêpres le Brun la conduit aux prémontrés de la rue Haute-Feuille, & va lui-même aux jacobins de la rue faint Jacques : le foir, il retourne la chercher, fuivant les ordres qu'il en avoit reçus chez une dame de fes amies; le foir, il va fouper chez le nommé Lague, ferrurier.

A onze heures du foir, le Bran retourne chez la dame Mazel qui vient de fe mettre au lit; il monte par un escalier dérobé, & fait du bruit à l'une des portes de l'appartement qui donne fur cet efcalier : la dame Mazel demande à fes filles de chambre qui n'étoient point encore retirées, qui ce peut être ; elles ré pondent: C'eft M. le Brun. Il fait le tour par le grand efcalier elle lui fait un mot de reproche d'avoir at tendu si tard à venir prendre fes ordres, & les lui donne pour le lendemain, qui étoit un jour d'affemblée chez elle.

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Le lendemain, après avoir pris quelques foins domestiques, le Brun s'étonne, ainfi que les autres gens de la maifon, de ce que la dame Mazel n'étoit point Tome LIV

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encore éveillée; il étoit huit heures & plus ; elle fe levoit ordinairement à fept.

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Le Brun va chez fa femme qui demeuroit dans le quartier, lui témoigne de l'inquiétude pour fa maîtreffe; il lui donne fept louis & quelque argent qu'il lui dit de ferrer: il retourne au cabaret en face du logis de la dame Mazel, demande à un laquais qui paroît à la fenêtre fi elle eft éveillée; le laquais répond qu'elle ne l'eft point encore il rentre; fon inquiétude & celle de tous les domeftiques fe changent en alarmes on frappe aux portes, on l'appelle par fon nom; point de réponse. On craignoit qu'elle ne fût en apoplexie ou qu'elle ne fût morte d'une hémorragie à laquelle elle étoit fujette. Le Brun eft le feul qui tourne fon efprit vers l'événement qu'il redoute & qui n'eft que trop certain. Il faut, dit-il aux autres domeftiques, que ce foit pis, je fuis fort inquiet d'avoir yu la nuit la porte de la rue ouverte.`

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On va avertir M. de Savonnières fan fils, confeiller de la cour, qui envoie chercher le ferrurrier, & dit à le Brun: Qu'est-ce que cela, monfieur le Brun? il faut que ce foit une apoplexie. Quelqu'un propofe d'envoyer un chirurgien. Il n'eft pas queftion de cela, répond le Brun, c'est bien pis, il faut qu'il y ait de la mal-façon; j'ai bien de la peine de la porte que j'ai vue ouverte cette nuit."

Le ferrurier ouvre la porte le Brun court vers le lit de madame Mazel, l'appelle par fon nom; il réitère; il tire le rideau : Ah! s'écrie-t-il, madame eft affaffinée.

Il donne auffi tôt du jour à l'appartement, & foulève le coffre-fort, qui fe trouve fermé; juge, par le poids qu'elle n'eft point volée, & dit: Qu'est-ce que cela?

Le lieutenant criminel eft appelé; il reçoit la

plainte que lui fait M..de Savonnières, tant en fon nom qu'en celui de meffieurs fes frères.

Le corps de madame Mazel eft vifité; on la trouve percée de cinquante coups de couteau; & dans fon lit un morceau de cravatte enfanglanté, une serviette tournée en forme de bonnet de nuit, marquée à la marque & également enfanglantée. Il y avoit dans. les mains quelques cheveux.

Los cordons des fonnettes étoient tournés à plufieurs tours autour de la tringle de fon lit, & à une telle hauteur, qu'il étoit impoffible d'y atteindre.

On trouve dans les cendres un couteau dont le manche d'écaille étoit prefque entiérement confumé, mais fans aucune trace de fang.

L'état du cadavre étant dreffé, & le procès-verbal des lieux fait, on interroge les filles de chambre, & le Brun, qui dit, » qu'étant forti de la chambre

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de la dame Mazel, il caufa fur la montée avec » les filles; qu'après les avoir quittées, il fut au bas, posa son chapeau fur la table de la cuisine, fut prendre la clef de la porte de larue pour la fermer "la mit fur la table & fe chauffa; qu'il s'endormit infenfiblement, & que s'étant réveillé, il fur pour fermer la porte de la rue, & la trouva ouverte ; qu'il compta une heure en fe réveillant, ne fait s'il y en avoit plus d'une de fonnée; qu'il ferma » la porte de la rue, & emporta la clef dans fa chambre, ce qu'il n'avoit coutume de faire que fort.

» rarement «,

On trouve fur lui la clef de l'office & le paffepar tout, dont les ouvertures étoient fort larges. Ce paffe-par-tout fe trouve ouvrir la porte de la dame de Mazel & être différent de celui de la cuifinière; outre la différence des ouvertures qui étoient plus larges, on y remarquoit un morceau rapporté & nouvellement, limé. Ce paffe-par-tout ouvroit toutes

les portes, celui de la cuisinière n'ouvroit que la porte de la rue.

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Les cheveux qui fe trouvèrent dans une main de la dame Mazel n'étoient point affez confidérables pour affeoir un rapport de leur reffemblance ou de leur différence de ceux de le Brun.

On trouva, dans la perquifition faite chez lui, un couteau de la même fabrique que celui qui avoit été trouvé dans les cendres; & dans l'endroit où il couchoit chez la dame Mazel, on trouva, parmi de vieux fers, un crochet & une lime on y trouva de plus une ferviette marquée à la même marque que celle qui s'étoit trouvée dans le lit à l'inftant où l'on s'en étoit approché, c'est-à-dire à la marque de la maison.

On fe faifit de fon linge, pour en faire la compataifon avec une chemife enfanglantée que l'on trouva dans le grenier de la dame Mazel, fous quelques liens de paille, & fur le côté de laquelle on trouva des impreffions de doigts fanglans. Le linge de l'accufé ne fe trouva reffembler en rien à cette chemife.

Une échelle de corde laiffée au bas du petit efcalier, fe trouve n'être point de même espèce que d'autres cordes qui avoient été trouvées patmi les effets appartenant à le Brun. Le morceau de cravatte ne fe trouva avoir aucune reffemblance avec fon linge; & les filles de chambre dépofèrent en avoir blanchi une autrefois pour le nommé Berri, laquais que la dame Mazel avoit chaffé pour vol il y avoit quatre mois.

La ferviette nouée en forme de bonnet ne fe trouva pas être jufie à fa tête'(*).

(*) Le procès-verbal porte, qu'elle étoit assez juste ; c'étoit dire qu'elle ne l'étoit pas du tout, parce qu'une serviette aink nouéc eft affez jufte à quiconque l'effaic.

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