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Mackau, en effet, possédait la fermeté qui fait ployer la résistance et la bienveillance affectueuse qui sait attirer l'attachement. Armée d'une puissance presque maternelle, elle éleva les enfants du trône comme elle eût élevé ses enfants, ne leur passant aucun défaut, sachant au besoin se faire craindre d'eux, tout en leur faisant aimer la vertu, dont les leçons, dans sa bouche, avaient cette autorité que l'exemple rend forte et sacrée. Elle joignait à un esprit supérieur une dignité de ton et de manières qui inspirait le respect. Quand son élève s'abandonnait à un de ces mouvements d'humeur hautaine auxquels elle était sujette, madame de Mackau, après quelques observations sévères, laissait paraître sur sa physionomie une gravité morne, comme pour lui rappeler que les princes, aussi bien que toutes les autres personnes, ne peuvent être aimés que pour leurs vertus et leurs qualités. Affligée, déconcertée de ce changement subit et inattendu, Élisabeth, ne sachant ni feindre ni cacher ce qui se passait en son âme, donnait un grand avantage à sa gouvernante, habile à profiter de la connaissance qu'elle avait de ce qui se passait dans l'âme de son élève pour diriger son éducation.

La vive expression du regret de ses fautes, la promesse de s'amender, amenaient un changement dans les manières de madame de Mackau. Aussi arrivait-il souvent que, malgré ses cris et ses lamentations, Élisabeth cédait aux douces instances de l'amitié. Peu à peu on vit s'effacer en elle les défauts qui retardaient ses progrès et l'empêchaient de profiter d'une instruction si propre à son déve– loppement moral. Ses sages directrices ne négligeaient rien pour former sa raison, l'habituer à discuter sur toutes les questions avec facilité et sans pédantisme, à bien poser un argument, à l'examiner avec discernement, et à

résoudre une question avec logique. Comme tout progrès ne s'accomplit que par degrés, la jeune princesse, pendant quelque temps encore, commettait des fautes. En ces occasions, devenues rares toutefois, elle rencontrait un regard sévère, un accueil sec, et ce seul témoignage de mécontentement lui devenait une punition efficace.

Outre les progrès rapides qu'elle fit dans ses études élémentaires, l'amélioration qui s'était produite dans son naturel prouvait l'excellence de la méthode qu'on avait employée. Ce caractère si hautain et si violent se changea peu à peu en une fermeté de principes, une noblesse et une énergie de sentiments qui plus tard la rendirent supérieure à toutes les épreuves qui traversèrent sa vie. C'est ainsi Madame Élisabeth s'était sentie dominée que par un ascendant irrésistible; c'est ainsi que sous cette sage et forte discipline, ses défauts naturels se changèrent peu à peu en vertus. C'est ainsi qu'elle reconnut que sous cet extérieur froid et imposant il y avait un cœur qui l'aimait pour ellemême, et que dès lors disposée à aimer son institutrice, à son tour, elle chercha à lui plaire.

Désormais humble et soumise, elle écoute avec plaisir les avertissements qu'on lui donne, elle les met en pratique avec empressement : à la simplicité de l'enfance déjà elle joint la prudence et le discernement de l'âge mûr. A mesure que ses connaissances augmentent, elle cherche à régler ses actions et à les diriger vers Dieu; à mesure aussi qu'elle témoigne à sa gouvernante plus de déférence et d'affection, elle reçoit d'elle, en retour, des témoignages plus marqués de dévouement maternel. Elle sent alors douloureusement la perte qu'elle a faite de ses parents : privée de leurs caresses et du plus doux sentiment de la nature, son cœur s'ouvre à l'amour fraternel, qui devient

sa passion dominante. Elle chérit tendrement ses trois frères, mais une sorte de prédilection l'entraîne vers le duc de Berry, devenu Dauphin. Serait-ce qu'elle prévoit qu'il sera malheureux, puisqu'il est déjà menacé d'être roi? Cette tendresse de cœur, qui a servi à corriger tous les défauts d'Élisabeth, doit être dans le cours de sa vie la source de ses consolations, de son courage, de ses chagrins et de son dévouement.

Madame de Mackau lui présenta sa fille, qui fut associée à ses études aussi bien qu'à ses récréations. Tenant par l'âge le milieu entre Clotilde et Élisabeth, ayant deux ans de plus que celle-ci et deux ans de moins que la première, elle était comme un trait d'union entre les deux sœurs.

Lorsque je fus présentée à Madame Élisabeth, a rapporté madame de Bombelles (mademoiselle de Mackau), j'étois, malgré mes deux ans de plus, aussi portée qu'elle à m'amuser. Les jeux furent bientôt établis entre nous, et la connoissance bientôt faite. Madame Élisabeth demandoit sans cesse à me voir : j'étois la récompense ou de son application ou de sa docilité. »

Vers cette époque, à certains jours, après les études sérieuses, plusieurs dames de mérite, aussi recommandables par leurs principes religieux que par leur instruction, étaient aussi admises dans l'intimité des deux petites princesses. C'était un cercle qu'on leur créait afin d'utiliser leurs loisirs tout en les amusant, de les former à l'habitude du monde, de leur apprendre à énoncer leurs idées avec grâce et concision, à juger les choses avec justesse, à exprimer leurs jugements avec clarté. Ces réunions, qu'elles voyaient toujours revenir avec joie, avaient le précieux avantage de s'offrir à elles sous la forme de récréations; mais ces fécondes récréations, sous leur gaieté apparente

et sous leur parfaite modestie, les initiaient, sans qu'elles s'en doutassent, à ce tact pour ainsi dire divinatoire, à cette science du monde si nécessaire et si difficile à acquérir, qui consiste à discerner à première vue le mérite des individus, à apprécier le caractère, l'esprit dominant de chaque société, sous quelque forme qu'il se présente : finesse et sagacité qui devinrent par la suite si exquises chez Élisabeth, que rarement elle se trompait dans l'opinion qu'elle se formait du caractère des personnes aussi bien que de l'esprit des réunions où elle se trouvait. « Jamais, dit M. Ferrand, Madame Élisabeth n'a pu s'intéresser à une conversation dans laquelle il n'y avait rien à gagner; jamais elle n'a su s'amuser d'un entretien frivole. Le temps était précieux pour elle : elle savait qu'on n'en jouit que par le sage emploi qu'on en fait; qu'il se hâte toujours sans jamais nous attendre; que c'est à nous à nous hâter avec lui elle ne concevait pas l'existence de ces êtres qui gémissent perpétuellement accablés du poids d'une heure elle regrettait ces moments qu'un monde léger consomme à des riens, pour se délivrer de l'embarras de les employer utilement, et le temps ne la surprenait jamais sans trouver la vertu dans ses actions ou dans ses projets '.

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C'était surtout durant la saison que la Cour passait aux châteaux de Compiègne et de Fontainebleau qu'avaient lieu les instructives récréations dont nous venons de parler. Madame de Marsan avait composé quelques petits proverbes pour être joués par ses royales élèves et les personnes de leur société. Le dénoûment de ces humbles pièces, faites d'ailleurs sans prétention, contenait tou

Éloge historique de Madame Élisabeth, p. 15 et 16.

jours une moralité utile, et finissait d'ordinaire par une de ces maximes sentimentales à la mode de ce temps-là.

C'est aussi pendant leur séjour dans ces deux résidences royales que l'étude de la botanique occupait particulièrement les loisirs des deux princesses. Souvent M. Lemonnier, célèbre médecin dont l'instruction était si étendue et si variée, les accompagnait avec leur gouvernante dans les jardins ou dans la forêt, et expliquait devant elles les propriétés de chaque fleur, de chaque plante, de chaque arbuste, leur origine et l'époque de leur acclimatation en France. Tout est intéressant dans la nature quand on s'applique à en découvrir les arcanes. Ces promenades avaient laissé dans l'esprit de Madame Clotilde et de Madame Élisabeth un souvenir qu'elles aimèrent toujours à se rappeler.

Ce fut M. Leblond qui leur donna les premières leçons d'histoire et de géographie. Sur la demande de leur gouvernante, madame de la Ferté-Imbault avait arrangé pour elles quelques extraits de la Vie des hommes illustres de Plutarque. Le lecteur pourra s'étonner du choix que l'on faisait pour l'instruction des deux jeunes sœurs du roi de France, d'un livre où madame Roland raconte, en ses Mémoires, avoir puisé son enthousiasme pour la république, et que, vers la fin de l'année 1792, au plus fort de la tourmente révolutionnaire, Dumouriez appréciait ainsi dans une lettre adressée au général Biron : « Lisez Plutarque, pour apprendre à devenir républicain. » Certes, dans ce merveilleux ouvrage de Plutarque, tout est vivant : ce ne sont pas des pages d'histoire qu'on donne à lire à la jeunesse, ce sont des héros qu'on lui montre ce sont des rois, des législateurs, des capitaines qui lui apparaissent comme des amis imposants, révélateurs de la vérité et confirmant la vérité par leur exemple. Mais nous remar

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