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» châtellenie de Quelen, en haute Bretagne, juveigneur1 » des comtes de Porhoët, substitué aux noms et armes de Stuer de Caulsade, duc de la Vauguyon, pair de France,

prince de Carency, comte de Quelen et du Boulay, marquis de Saint-Mégrin, de Callonge et d'Archiac ; » vicomte de Calvaignac; baron des anciennes et hautes » baronnies de Tonneins, Gratteloup, Villeton, la Gruère » et Picornet; seigneur de Larnagol et Talcoimur; vidame, » chevalier et avoué de Sarlac, haut baron de Guyenne, » second baron de Quercy, lieutenant général des armées » du Roi, chevalier de ses ordres, menin de feu Monsei» seigneur le Dauphin, premier gentilhomme de la chambre » de Monseigneur le Dauphin, grand maître de sa garde-robe, » ci-devant gouverneur de sa personne et de celle de Monseigneur le comte de Provence, gouverneur de la per» sonne de Monseigneur le comte d'Artois, premier gen>> tilhomme de sa chambre, grand maître de sa garde» robe et surintendant de sa maison, qui se feront jeudi » 6 février 1772, à dix heures du matin, en l'église royale » et paroissiale de Notre-Dame de Versailles, où son corps » sera inhumé.

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Grimm, après avoir transcrit cette lettre d'invitation dans sa Correspondance, ajoutait plaisamment : « Il seroit à propos de fonder et d'ériger une chaire dont le professeur ne ferait autre chose, toute l'année, que d'expliquer à la jeunesse le billet d'enterrement de M. le duc de la Vauguyon, sans quoi il est à craindre que l'érudition nécessaire pour le bien entendre ne se perde insensible

1 On appelait ainsi autrefois un cadet apanagé. Le duc d'Orléans était juveigneur de la maison de France.

ment, et que ce billet ne devienne, avec le temps, le désespoir des critiques.

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Madame Élisabeth en fit justice à sa manière. Comme l'on revenait sans cesse sur ce billet incroyable : « Combien M. de Saint-Mégrin, dit-elle, doit regretter d'avoir donné prétexte à tant de bruit sur la tombe de son père!

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La France présentait un singulier spectacle rien ne bougeait dans la politique, et les esprits étaient agités. La légèreté de la nation, son insouciance naturelle s'accommodaient trop bien de la douceur du gouvernement intérieur pour attacher de l'importance aux événements qui se préparaient au delà de l'horizon.

Le choix des distractions, la poursuite des plaisirs étaient les seuls mobiles qui imprimassent une impulsion à la société endormie dans une douce quiétude. Le mouvement n'était pas dans les faits, il était dans les idées. Aussi les nouveautés de tout genre étaient-elles accueillies avec faveur. Les discussions du jansénisme et du molinisme, qui avaient passionné la génération précédente, ne rencontraient qu'une profonde indifférence chez l'insouciante oisiveté des gens du monde. Un opéra nouveau, une séance de l'Académie française, les Mémoires de Beaumarchais, quelques lignes de l'Encyclopédie, dont chaque livraison était annoncée à son de trompe par la Gazette de France, voilà quels étaient les principaux éléments des passions du jour.

Une question de musique enflammait les esprits bien autrement que le démembrement de la Pologne ou l'indépendance de l'Amérique. Les noms de Gluck et de Piccini étaient les cris de ralliement; la salle de l'Opéra était le théâtre de la guerre, guerre puérile et pourtant de longue durée, guerre de chansons, d'épigrammes et de pamphlets,

prélude étrange des divisions politiques qui allaient déchirer la France. Le sujet des querelles était sans doute médiocre et puéril, mais l'esprit de lutte et d'antagonisme se révélait déjà. Un enthousiasme extraordinaire accueillait aussi les découvertes merveilleuses qui étaient signalées dans le domaine des sciences physiques.

La société peu instruite, que ces révélations étonnaient et ravissaient, y puisait je ne sais quel idéal chimérique qu'elle allait bientôt poursuivre à travers tous les obstacles. Les bornes de l'impossible semblaient au moment d'être franchies par le génie de l'homme. Les systèmes les plus extravagants et les chimères les plus insensées trouvaient des prôneurs.

La Gazette de France annonçait, tous les deux mois, comme une nouvelle importante l'apparition d'un nouveau volume de l'Encyclopédie; tous les jours elle enregistrait la collation faite par le Roi d'abbayes et de prébendes à des ecclésiastiques moins nourris de leur bréviaire et de l'histoire de l'Église que de l'étude des romans de Voltaire ou de Restif de la Bretonne. La plupart de ces bénéfices étant à la nomination et présentation des princes et seigneurs, l'autorité royale se bornait à les sanctionner aveuglément comme autant de faveurs accordées au népotisme ou arrachées par l'importunité. Et pourtant le sentiment public attribuait forcément au Roi lui-même toute la responsabilité des désordres enfantés par ces abus. Le mal que faisait une partie du haut clergé au sommet de l'édifice social par sa corruption, une partie du bas clergé le continuait, dans les degrés inférieurs, par son ignorance. Le prêtre du dix-huitième siècle était ainsi, aux deux extrêmes degrés de l'échelle, bien loin de ressembler au prêtre tel que le neuvième siècle en concevait l'idéal.

Le docteur ecclésiastique, déclarait le concile d'Aixla-Chapelle en 836, doit briller par la science comme par la piété de la vie, car la science sans la piété le rend arrogant, la piété sans la science le rend inutile. »

En convenant que le défaut de piété est plus criminel, nous ferons remarquer que le défaut de science est plus irréparable: un mouvement de la grâce peut changer les mœurs d'un mauvais prêtre et le ramener à Dieu; mais pour acquérir la science il faut de grands efforts et des années. Si, dans chaque état, il est besoin d'une instruction spéciale pour en remplir dignement les fonctions; si, faute de cette instruction spéciale, le négociant se ruine, le capitaine se fait battre, le juge commet des injustices, le médecin tue ses malades, que dirons-nous donc si le ministère des àmes, cet art des arts, comme l'appelle saint Grégoire, c'est-à-dire le ministère le plus important de tous, est confié à des prêtres dépourvus des lumières qu'ils doivent enseigner et par conséquent défenseurs inhabiles des dogmes qu'on attaque, et gardiens impuissants de la morale qu'on altère? L'hérésie du seizième siècle avait dû presque tous ses succès à l'ignorance du clergé. Ce malheur devait se reproduire dans le dernier siècle, avec des chances d'autant plus fatales que l'esprit de la philosophie était plein d'audace et maniait avec un rare talent l'arme de la raillerie.

Cependant il ne faut pas croire que le clergé français tout entier fût atteint de l'aveuglement de l'ignorance ou de la gangrène de la corruption. S'il en avait été ainsi, la Révolution, quand elle descendit menaçante dans l'arène, n'aurait pas trouvé tant de prêtres prêts à renouveler les merveilles du christianisme héroïque, et à protester par le martyre contre la profanation des choses saintes et l'usur

pation des droits de l'Église. A l'époque même où se manifestaient, dans la sphère ecclésiastique, les abus que nous avons signalés, on voyait monter dans la chaire des prêtres qui, usant de la liberté de la parole presque égale à la licence des mœurs, dévoilaient et combattaient ces abus. Les voix du clergé français les plus écoutées s'élevaient contre la dépravation de la morale, et faisaient remarquer, dans les progrès de l'irréligion, le présage de la décadence de l'État. Un archidiacre de l'Église de Montpellier, nourri de l'étude de Bossuet et de Bourdaloue et qui s'était acquis une certaine renommée par le panégyrique de saint Louis, prononcé en présence de l'Académie française, avait été choisi en 1757 pour prêcher devant le Roi de France. L'abbé de Cambacérès (c'était son nom') avait l'amour du bien, un grand zèle pour le service de l'Église et de l'humanité; dénué de toute ambition personnelle et peu soucieux des faveurs du prince, il étala devant Louis XV le tableau de la société et du gouvernement avec des paroles si vraies qu'elles étonnèrent le monarque et firent trembler les courtisans.

Ces avertissements descendirent encore de la chaire avec plus de précision. L'abbé de Beauvais, qui dut à ses vertus sacerdotales encore plus qu'à son éloquence son élévation à l'épiscopat 2, prononça, dans les premiers mois de 1774, un sermon dont nous extrayons ce passage: Sire, mon devoir de ministre d'un Dieu de vérité} m'ordonne de vous dire que vos peuples sont malheureux, que

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1 Mort en 1802. C'était l'oncle du prince archichancelier de l'empire et du cardinal-archevêque de Rouen.

2 Jean-Baptiste-Charles-Marie de Beauvais, évêque de Sénez, démissionnaire en 1783, nommé en 1789 député de la vicomté de Paris aux états généraux, mort le 4 avril 1790.

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