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sait pour se contenir, lui dit avec tendresse : « Laissez, monsieur, librement couler vos larmes et ne craignez pas que je m'en offense; elles présagent au contraire que je serai la femme la plus heureuse si j'ai le bonheur de vous plaire, et c'est là l'unique objet de mon ambition. »

Cette alliance avait uni par des liens étroits deux familles qui paraissaient irréconciliables. Sous le toit du même palais habitaient en effet deux princesses de Pologne, filles de deux rois rivaux, et la Reine pouvait dire à la Dauphine : Votre père a détrôné le mien. La religion avait surmonté ces motifs de rancune et d'amertume. La fille de Stanislas témoigna les meilleurs sentiments à la fille de FrédéricAuguste, et le roi détrôné une affection toute paternelle à la fille de celui qui l'avait dépouillé de ses États. De son côté, la jeune Dauphine triompha sans effort des situations délicates que l'étrangeté de sa position pouvait faire naître. L'étiquette exigeait que le troisième jour après ses noces elle portât en bracelet le portrait du Roi son père. Le sentiment de la piété filiale, qui était très-vif chez la Reine, aurait pu s'émouvoir à la vue du portrait de Frédéric-Auguste, porté sous ses yeux comme une sorte de trophée. La religion fut encore en cette occasion une excellente conseillère. Une partie de la journée était déjà passée, et pas une personne de la Cour n'avait osé adresser à la Dauphine un compliment sur la beauté du bracelet. La Reine fut la première qui lui en parla. « Voilà donc, ma fille, lui dit-elle, le portrait du Roi votre père? Oui, maman, répondit la princesse en lui présentant son bras, voyez comme il est ressemblant! » C'était celui de Stanislas. La Reine fut touchée de ce trait, elle en témoigna sa satisfaction à sa belle-fille, qu'elle aima chaque jour davantage.

Le temps réalisa aussi le souhait que dès le premier jour de son mariage la Dauphine avait formé dans la candeur de son âme peu à peu s'étaient adoucis les regrets de son royal époux, et leur union devint aussi heureuse que féconde. Ils eurent d'abord, en 1750, une princesse (Marie-Zéphirine), puis, en 1751, un prince qui reçut le nom de duc de Bourgogne.

La joie publique que causa cet événement fut suivie l'année d'après d'une inquiétude tout aussi vive.

Le mardi soir, 1er août, le Dauphin fut attaqué d'un mal de tête et d'une fièvre qui causèrent tout d'abord les plus vives alarmes. Bien que la petite vérole ne fût point déclarée, les médecins soupçonnèrent sa présence, et saignèrent le prince par deux fois. La petite vérole se montra, mais sortit mal. Le Roi, qui était à Compiègne, arriva en poste le 3. « Le Dauphin étoit comme en léthargie et à l'extrémité, dit l'annaliste du règne de Louis XV; il y eut grande consultation. Tout le monde sait qu'on ne saigne plus quand la petite vérole a paru. Cependant M. Dumoulin fut d'avis d'une seconde saignée au pied; il dit qu'il étoit vrai que M. le Dauphin pouvoit mourir dans la saignée et qu'il n'en répondoit pas; mais aussi, que si on ne le saignoit pas, il seroit mort dans une heure; que s'il supportoit la saignée il pourroit en revenir. Cela fut dit sur de bonnes raisons: il y avoit là une chance redoutable à courir. On demanda l'avis du Roi, qui dit : Si cela est ainsi, qu'on le saigne. » M. le Dauphin fut donc saigné au pied à onze heures du soir, après quoi l'éruption se fit comme on le souhaitoit. La Reine n'arriva qu'après ce moment critique M. le Dauphin alloit mieux, elle embrassa Dumoulin avant tout le monde. M. Dumoulin, qui étoit transporté de sa réussite et qui est gai avec tout son

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esprit, quoique fort âgé, dit tout haut en riant: Messieurs, je vous prends à témoin que la Reine me prend de force1. »

Au milieu des soins les plus empressés que l'on prodiguait au prince, la Dauphine s'oubliait elle-même, elle lui présentait tout ce qu'il prenait, ne laissait à nul autre les offices les plus rebutants : sa tendrese les estimait doux et faciles. « Tout le monde, rapporte le Journal de M. Barbier, est charmé de Madame la Dauphine, qui n'a pas quitté un instant. M. le Dauphin ne prend ni bouillon ni autre chose que de sa main. Quand on lui représenta d'abord le danger où elle s'exposoit, elle répondit qu'on ne manqueroit pas de Dauphines, mais qu'il n'y avoit qu'un Dauphin. Elle a banni toute cérémonie à son égard, et elle dit aux médecins et autres qui sont là : prenez pas garde à moi; je ne suis plus Dauphine, je ne suis que garde-malade3. »

« Ne

Souvent même, pour que rien ne la gênât dans les soins que son cœur lui dictait, elle était en robe de chambre et en tablier blanc. Les médecins de la Cour, craignant, en s'en rapportant à leurs seules lumières sur la maladie du Dauphin, d'être responsables envers la nation d'une tête si chère, avaient appelé en consultation quelques membres célèbres de la faculté de médecine de Paris, entre autres M. Pousse, homme d'un grand mérite, mais ignorant les formes du monde et n'ayant jamais mis le pied à la Cour. Frappé de la sollicitude touchante que montrait au malade la femme qui le servait, il dit en se retirant : « Cette garde

1 E. J. F. BARBIER, Journal hist. du règne de Louis XV, Paris, 1851, in-8°, t. III, p. 398.

2 Mandement de l'évêque de Valence (Alexandre Milon), 29 sept. 1752. 3 T. III, p. 399.

Dès

est précieuse; ne vous défaites pas de ses services. qu'il fut sorti Savez-vous bien, dit la Dauphine, que je n'ai jamais été si fière : ce compliment du docteur m'honore, et je ne veux pas cesser de le mériter. Décidément la faculté me flatte depuis que vous êtes souffrant, car Sénac a dit l'autre jour qu'il m'avait prise pour une sœur de charité. "

La position du prince s'améliora insensiblement, et le quatorzième jour il entra en convalescence. La famille royale retrouva le repos, et l'union du Dauphin et de la Dauphine fut désormais d'autant plus vive qu'elle avait été éprouvée. Leur appartement au château de Versailles était situé au bas du grand escalier de marbre. L'appartement de la Dauphine était de plain-pied avec celui du Dauphin, et venait en retour dans l'aile gauche du palais qui est au midi'. Pour aller de leur appartement dans le parc, ils passaient par la petite cour de marbre et le vestibule qui est au milieu. Ils dînaient habituellement ensemble et ils soupaient chez Madame Adélaïde, qui, se trouvant l'aînée de leurs sœurs par la mort de Madame Henriette, était devenue leur confidente et leur plus intime amie. Ils aimaient la musique, et donnaient chez eux des concerts assez fréquents. Le Dauphin y chantait quelquefois un psaume ou une hymne sacrée. La solennelle gravité des chants religieux convenait à son esprit, et cette préférence lui avait attiré plus d'un quolibet. Il était évident que, sous le règne de Voltaire, le prince qui préférait un motet de Haendel à une ariette de Philidor ne pouvait être qu'un esprit faible et un imbécile.

1 PIGANIOL DE LA FORCE, Description de Versailles.

2 Morte à Versailles le 10 février 1752, portée à Saint-Denis le 16 et inhumée le 24.

La pieuse Reine de France, Marie Leckzinska, était souvent l'âme de ces petites réunions sans apparat. « Je suis persuadé, lui écrivait le roi Stanislas lors des fêtes bruyantes données à Fontainebleau, que la quantité de monde vous ennuie, et que vous voudriez être dans votre solitude de Versailles; mais songez donc que si le grand monde ne vous plaît pas, vous plaisez à tout l'univers. » La Reine ne se trouvait nulle part aussi bien que dans la société de son fils. De son côté, ce fils si cher avait pour sa mère la plus vive affection et le plus touchant respect. Il était sa joie dans le commerce habituel de la vie, son conseil dans quelques affaires, sa consolation dans tous ses soucis elle ne manquait aucune occasion de le dire elle-même. Elle avait l'habitude de se faire lire chaque matin l'histoire du saint du jour. Le 11 juin, comme elle écoutait la lecture de la vie de saint Barnabé, le Dauphin entra chez elle. « Bon! dit la Reine, voilà mon BarEt pourquoi donc, maman, me baptisez-vous de ce nom? C'est que Barnabé, reprend la Reine, signifie enfant de consolation. Alors que Barnabé soit mon nom, continua le prince, il m'est doux de le prendre avec ses charges.

nabé!

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A vingt et un ans, le Dauphin fut admis au conseil des dépêches, et à vingt-huit, dans les autres sections du conseil d'État.

Jeune encore, il y fit admirer une haute instruction. Quoique la position qui lui était faite dans une cour dépravée, et sous la dépendance directe de son père, fût extrêmement délicate et difficile, et ne lui permît guère de montrer ni les rares qualités dont il était doué, ni les talents réels qu'il avait acquis, néanmoins la fermeté de ses principes, son exactitude dans l'accomplissement de

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