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baisé la terre, elle se présenta à la porte de service : on lui remit une planche sur laquelle étaient les portions des sœurs. Elle les distribuait adroitement, lorsque tout à coup la planche s'incline et une portion tombe à terre. Son embarras fut au comble. Pour l'en tirer, l'auguste prieure lui dit : « Ma nièce, après » une telle gaucherie, la coupable doit baiser la » terre. » Aussitôt Madame Élisabeth se prosterna, puis elle continua le service sans aucun autre contretemps.

» C'était une vraie jouissance pour notre vénérée mère de voir les vertus de son auguste famille reproduites dans cette jeune princesse.

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Telle était cette vie si simple et cette destinée si mystérieuse, que Joseph de Maistre a dit, en parlant de la réversibilité des douleurs de l'innocence au profit des coupables:

« Ce fut de ce dogme, ce me semble, que les an» ciens firent dériver l'usage des sacrifices qu'ils pratiquèrent dans tout l'univers, et qu'ils jugeaient >> utiles non-seulement aux vivants, mais encore aux » morts.... Les dévouements, si fameux dans l'anti

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quité, tenaient encore au même dogme. Décius » avait la foi que le sacrifice de sa vie serait accepté » par la divinité, et qu'il pouvait faire équilibre à tous » les maux qui menaçaient sa patrie.

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» Le christianisme est venu consacrer ce dogme,

qui est infiniment naturel, quoiqu'il paraisse difficile

d'y arriver par le raisonnement.

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Ainsi, il peut y avoir eu dans le cœur de Louis XVI, » dans celui de la céleste Élisabeth, tel mouvement, » telle acceptation capable de sauver la France'. »

Voici une autorité plus haute encore que celle de Joseph de Maistre. L'auguste Pie VII était venu à Paris en 1804 pour sacrer l'empereur Napoléon. L'abbé Proyart, l'auteur de la lettre à la Prisonnière du Temple, que j'ai citée plus haut, vint mettre aux pieds du Souverain Pontife cette même Vie de Madame Louise de France qu'il avait offerte à la sœur de Louis XVI. Le Pape occupait aux Tuileries le pavillon de Flore, où avait résidé autrefois Madame Élisabeth. « J'habite ici l'appartement d'une autre »sainte, » lui dit Pie VII en recevant de la main de l'abbé Proyart la Vie de la grande carmélite; et il semble avoir ainsi béatifié d'un mot ces deux Filles de France; l'une, morte sur les hauteurs du Carmel; l'autre, sur les hauteurs de l'échafaud dont sa vertu fit un Calvaire.

B.

1 Soirées de Saint-Pétersbourg, Lyon, Pélagaud, Jesne et Crozet, grande rue Mercière, 36. Tome II, p. 146 et 147, IXe entretien.

INTRODUCTION

DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DE LOUIS XV.

23 MAI 1764.

10 MAI 1774.

Le Dauphin et la Dauphine, père et mère de Madame Élisabeth.

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nombreux enfants. Maladie du Dauphin, soins que lui prodigue la Dauphine. La reine Marie Leckzinska. Lettre du roi Stanislas. Mot de la Dauphine, réponse du Dauphin. Celui-ci admis au Conseil d'État. Intérieur du Dauphin et de la Dauphine au palais de Versailles. Chasse dans la plaine de Villepreux; M. de Chambors blessé à mort; le Dauphin, inconsolable, comble de bienfaits sa veuve et ses enfants. Il refait ses études, se livre à celle de l'histoire. Paroles du Prince à ce sujet. Son attachement pour le maréchal du Muy, pour M. de Lamotte, évêque d'Amiens. Séjour de la cour à Compiègne; conversation entre la Reine, l'évêque d'Amiens et le Dauphin. Les six sœurs du Dauphin encore vivantes. Il est question d'en envoyer cinq à Fontevrault; supercherie de la jeune Adélaïde pour ne point y aller. Retour des jeunes princesses après leur éducation. Leur célibat. Le Ciel semble bénir l'union du Dauphin et de la Dauphine. · Cinq fils et trois filles. Mort du duc de Bourgogne, l'aîné d'entre eux. Son Oraison funèbre. Dauphin s'occupe de l'éducation de ses autres enfants. M. de Choiseul, antagoniste du Dauphin. Leçon de morale donnée par celui-ci à ses enfants. Le Dauphin et la Dauphine viennent à Notre-Dame remercier Dieu de la naissance de Madame Élisabeth. physionomie du Dauphin.

Fontainebleau. Sa mort.

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Le

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Ce prince au camp de Compiègne, puis à Le duc de Berry, nouveau Dauphin. · tendues causes de la mort du Dauphin. — Funérailles de ce prince. qu'il avait de régner. Louis XV dans son conseil, dans les affaires d'État et dans sa famille. La Dauphine s'occupe de ses enfants, et fait pour le jeune Dauphin un plan d'études qu'elle soumet au Roi. prématurée de la Dauphine; regrets que cause sa perte. — Elle est inhumée dans la cathédrale de Sens, à côté de son époux. Bruits auxquels sa mort a donné lieu. Présentation à la cour de madame du Barry. Les ducs de Choiseul et de Richelieu. Mariage du jeune Dauphin et de Marie-Antoinette d'Autriche. Fêtes de Versailles; malheur arrivé dans celles de Paris. Le Dauphin et la Dauphine inconsolables. Susceptibilité d'amour-propre; l'inexorable étiquette. Intervention de la no

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blesse. Mariage de quatre princes de la famille royale.
au milieu de cette cour printanière.

publique. Le clergé.

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Aspect de la France.

Louis XV

Opinion

Remontrances faites au Roi du haut de la

chaire. Maladie de Louis XV; vœux pour sa guérison.
Dauphin à l'abbé Terray. Mort du Roi. Ses funérailles.
publique.

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Billet du

L'opinion

Avant d'entrer dans la vie de Madame Élisabeth, il convient de présenter le tableau de l'époque où Dieu la fit naître sans cette étude préalable, on ne comprendrait pas le temps où elle était destinée à vivre et à mourir. Une appréciation de la situation de la société française en 1764, des détails sur l'intérieur de la famille royale, et en particulier sur le père et la mère de Madame Élisabeth, tels sont les éléments nécessaires de cette étude préliminaire.

Louis, Dauphin de France, fils de Louis XV, né à Versailles en 1729, était doué des plus heureuses dispositions et d'une âme naturellement portée à la vertu. Il avait montré dès l'enfance tant d'ardeur et une assiduité si rare au travail, qu'il avait eu à cet égard autant besoin de frein que les autres ont besoin d'aiguillon. Sa douceur, son affabilité, l'élévation de ses sentiments, son asservissement au devoir en avait fait un prince accompli. La Reine, sa mère, disait : « Le Ciel ne m'a accordé qu'un fils, mais il me l'a donné tel que j'aurais pu le souhaiter: » En 1745, ce prince, qui n'avait pas atteint sa seizième année, accompagna à l'armée de Flandre le Roi son père et eut la gloire de prendre une part, sous ses yeux, à la bataille de Fontenoy. Des boulets avaient sillonné la terre à deux pas de lui. « Monsieur le Dauphin, lui cria le Roi, renvoyez-les à l'ennemi, je ne veux rien avoir à lui. » Le prince n'avait pas le temps de répondre, il se battait. Marié peu de mois avant cette campagne à l'infante Marie

Thérèse-Antoinette Raphaelle, fille de Philippe V, roi d'Espagne, il perdit, au milieu de l'année suivante, cet objet de ses plus tendres affections. Ce malheur le jeta dans un profond chagrin. Enfermé dans son appartement, il se déroba à toute consolation et s'isola de toute société. Mais la raison d'État, mais la prévoyance dynastique ne pouvaient permettre au fils unique du Roi de pleurer à loisir : elles avaient décidé que, malgré ses justes et douloureux regrets, M. le Dauphin passerait à de secondes noces; et sans plus le consulter on arrangea son mariage avec la fille de l'Électeur de Saxe, roi de Pologne'.

Cette jeune princesse avait de la religion, du savoir, un caractère très-distingué. Elle savait le latin et plusieurs langues vivantes. Elle donna dès son arrivée à la Cour des preuves de l'élévation de son esprit et de son cœur. Quand le Dauphin, la première nuit de ses noces, entra dans son appartement, toute sa douleur se réveilla à la vue de quelques meubles qui avaient été à l'usage de sa première femme. La Dauphine s'étant aperçue des efforts qu'il fai

1 Jeudi 9 février 1747, jour du mariage de M. le Dauphin, le corps de ville de Paris a donné pour fête au peuple de Paris cinq chars peints et dorés qui, depuis dix heures du matin jusqu'au soir, ont fait le tour des différents quartiers de Paris.

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Le premier représentoit le dieu Mars avec des guerriers; le second é toit rempli de musiciens; le tr. (sic) représentoit un vaisseau, qui sont les armes de la ville; le quatrièm., Bacchus sur un tonneau; et le cinquième, la déesse Cérès. Ils étoient tous attelés de huit chevaux assez bien ornés, avec des gens à pied qui les conduisoient. Tous les habille ments, dans chaque char, étoient de différentes couleurs, et en galons d'or ou d'argent. Le tout faisoit un coup d'œil assez réjouissant et assez magnifique, quoique tout en clinquant; mais les figures dans les chars étoient très-mal exécutées. Dans certaines places, ceux qui étoient dans les chars jetoient au peuple des morceaux de cervelas, du pain, des biscuits et des oranges. Il y avoit dans ces places des tonneaux de vin pour le peuple, et le soir toute la ville a été illuminée. (E. J. F. Barbier, Journal hist. du règne de Louis XV, t. III, p. 5.)

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