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nous aurons souvent l'occasion de citer, nous apprend, à la date du 20 mars 1779, que Madame Élisabeth se trouva fort incommodée l'avant-veille. « Elle eut, dit-elle, une très-forte fièvre pendant la nuit, et hier à trois heures et demie la rougeole a paru. Tu imagines bien que je ne l'ai pas quittée. Cette nuit a été très-bonne, elle a peu de fièvre ce soir, et les médecins assurent qu'il n'y a pas la plus petite inquiétude à avoir. Tu ne peux pas imaginer le chagrin que j'avois. Je suis parfaitement tranquille actuellement. "

C'est vers cette époque que la Reine commença à apprécier sa belle-sœur. Madame de Bombelles écrivait le 22 avril : « Madame Élisabeth est venue nous voir aujourd'hui; elle est revenue hier de Trianon. La Reine en est enchantée; elle dit à tout le monde qu'il n'y a rien de si aimable, qu'elle ne la connoissoit pas encore bien, mais qu'elle en avoit fait son amie, et que ce seroit pour toute sa vie. "

Madame Élisabeth n'avait point encore été vaccinée. Elle regarda comme un devoir de suivre l'exemple que ses tantes et ses frères avaient donné 1. Elle se rendit le 23 octobre à Choisy, où devait avoir lieu l'inoculation. Elle demanda que douze enfants pauvres du pays y fussent associés et reçussent les mêmes soins qu'elle-même. Son vœu fut écouté. Ce fut encore M. Goetz qui fit l'opération, et sur les sept filles et les cinq garçons que l'habile chirurgien y avait préparés, aucune n'eut à regretter d'avoir couru les mêmes chances que la sœur du Roi et d'avoir montré la même confiance qu'elle. Le succès fut complet *,

1 « C'est elle-même qui s'y est décidée et l'a désiré. Reine à Marie-Thérèse, du 14 octobre 1779.)

2 Journal de Louis XVI.

3 Madame de Bombelles écrivait de Choisy :

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(Lettre de la

« Madame Élisabeth a été inoculée en arrivant; elle a subi cette petite

et plus d'une de ces filles lui demeura reconnaissante. C'était par son exemple en effet qu'elles avaient été encouragées à se soumettre à l'inoculation, et ce fut ainsi qu'elles furent placées à l'abri d'un fléau qui, lorsqu'il ne prend pas la vie, altère ou détruit la santé.

L'année suivante, un grand malheur atteignit la Reine et par contre-coup toute la famille royale.

Dans la soirée du mercredi 6 décembre 1780, on apprit à Versailles la nouvelle de la mort de l'Impératrice-reine. Louis XVI, par l'entremise de M. de Chamilly, son premier valet de chambre, chargea l'abbé de Vermond d'apprendre avec ménagement ce triste événement à la Reine, le lendemain matin, et de l'avertir du moment où il entrerait chez elle, ayant l'intention de s'y rendre lui-même un quart d'heure après. Louis XVI s'y présenta à l'heure indiquée; on l'annonça; l'abbé sortit, et comme il se rangeait sur le passage du Roi, celui-ci lui dit ces mots, les seuls que pendant l'espace de dix-neuf ans il lui ait adressés de vive voix : « Je vous remercie, monsieur l'abbé, du service que vous venez de me rendre. »

La douleur de la Reine fut telle que Louis XVI avait pu la prévoir et la redouter. La cour prit spontanément, le jeudi 7, le deuil de respect, n'attendant pas que le Roi eût fixé le jour auquel le grand deuil de cour serait pris. Marie-Antoinette demeura enfermée pendant plusieurs jours dans ses cabinets, où elle ne laissa accès qu'aux membres

opération avec beaucoup de sang-froid : elle est charmée d'être pestiférée, et attend la petite vérole avec la plus grande impatience. » Et le 16 novembre suivant, Marie-Antoinette mandait de Versailles à l'Impératrice, sa mère : « Ma sœur Élisabeth est depuis un mois à Choisy pour son inoculation, qui a fort bien réussi. Elle reviendra ici le 23 de ce mois.» Voir; pour la marche de l'inoculation, la note VI à la fin du volume.

de la famille royale, à la princesse de Lamballe et à ma→

dame de Polignac.

L'Impératrice-reine de Hongrie et de Bohême avait cessé de vivre le 29 novembre, à l'âge de soixante-trois ans. Les détails qui arrivèrent bientôt de Vienne augmentèrent encore l'émotion qu'avait causée la première nouvelle de sa mort. Marie-Thérèse avait voulu connaître au juste le moment de sa fin. L'Empereur, son fils, s'évanouit en entendant l'arrêt prononcé par le premier médecin. L'Impératrice, avec une fermeté héroïque, le soutint, lui prodigua ses consolations, ses conseils, et lui dicta même des lettres destinées à tout régler dans l'Empire et à faciliter les débuts d'un règne. « Je meurs, dit-elle, avec le regret de n'avoir pu faire à mes peuples tout le bien que j'aurais désiré et de n'avoir pu détourner tout le mal qu'on leur a fait à mon insu. » Au milieu des événements divers qui avaient illustré son règne, cette grande princesse n'avait jamais abandonné les sentiments de l'humilité chrétienne. Le linceul et les vêtements qui devaient servir à l'ensevelir, faits entièrement de sa royale main, attendaient dans l'armoire d'un de ses cabinets cette heure inévitable, qu'elle avait toujours envisagée avec un esprit calme et résigné.

Ses obsèques eurent lieu à Vienne le dimanche 3 décembre. Son cercueil, après les cérémonies funèbres accomplies avec une pompe solennelle, fut descendu dans l'église des Capucins, auprès de celui de feu l'Empereur François Ier, en présence du grand maître de la cour impériale. Son cœur, renfermé dans une urne, fut déposé au couvent des Augustins déchaussés de Vienne; ses entrailles furent déposées dans l'église métropolitaine de Saint-Étienne.

Deux jours après, l'Empereur écrivait à son premier ministre le prince de Kaunitz :

à

« Jusqu'à présent je n'ai su qu'être fils obéissant, et voilà

peu près tout ce que je savois. Par le coup le plus mortel, je me trouve à la tête de mes États et chargé d'un fardeau que je reconnois être beaucoup au-dessus de mes forces. Ce qui me rassure, c'est la persuasion, mon prince, qu'en me continuant vos sages conseils et vos bons avis, je me trouverai essentiellement soulagé dans cette tâche difficile et importante; c'est pour vous en requérir de mon mieux que je vous adresse cette lettre.

» A Vienne, le 6 décembre 1780. »

La Reine ayant reçu de Vienne communication de cette lettre, dit au Roi : « En vérité, mon frère en agit avec le prince de Kaunitz absolument comme vous en avez agi envers M. de Maurepas. Sans doute il est bon que les souverains demandent le concours des hommes dévoués et capables, mais il ne faut pas qu'ils se défient entièrement d'eux-mêmes. »

La perte de l'Impératrice-reine était partout ressentie. Frédéric II écrivait à d'Alembert : « J'ai donné des larmes bien sincères à sa mort; elle a fait honneur à son sexe et au trône. Je lui ai fait la guerre, et je n'ai jamais été son ennemi. >>

S'il est beau de voir les grandes âmes toujours bien jugées par les grands hommes, il est touchant aussi de voir les vertus des mères passer comme un héritage aux enfants et devenir leur entretien le plus aimé. Marie-Antoinette se plaisait à parler de la bonté de sa mère (la bonté, dont Bossuet a dit que c'était le trait qui rapprochait le plus les souverains de Dieu), à citer des actes de charité dont elle avait

elle-même été témoin. « Combien ma mère valait mieux que nous! dit-elle un jour; ma mère, qui trouvait que le spectacle d'un seul pauvre suffisait pour déshonorer son règne! >> Une autre fois, s'étant attardée au lit plus longtemps que de coutume, elle s'écria: « Et ma mère qui se reprochait le temps qu'elle donnait au sommeil, disant que c'était autant de dérobé à ses peuples! »>

Le dimanche 22 avril 1781, après avoir assisté aux vêpres et au salut dans la chapelle du château, la cour avait quitté Versailles à sept heures pour aller souper et coucher à Marly. Elle demeura dans cette résidence jusqu'au 20 mai.

Madame Élisabeth, accompagnée de la comtesse Diane, vint à Versailles le 14, conduite surtout par le désir de voir madame de Bombelles. Celle-ci, prévenue de l'arrivée de sa princesse, vole aussitôt vers elle. Je vais laisser la parole à cette charmante femme. Comme personne ne connut mieux Madame Élisabeth, personne ne l'aima plus, personne ne sut mieux en parler. Qu'est-ce que le récit du passé, toujours un peu froid dans la bouche de l'historien, auprès de cette correspondance qui fait reparaître le passé lui-même avec les fraîches couleurs de la vie? Quelle femme, quelle mère, quelle amie que madame de Bombelles! Sa plume, tour à tour enjouée, attendrie, spirituelle, sérieuse, va évoquer pour nous la société des dernières années du dix-huitième siècle, société qui ne fut point sans reproche sans doute, mais qu'on a calomniée en généralisant le blâme porté sur ses idées et sur ses mœurs, ce qui est un déni de justice à tant de femmes aussi vertueuses que charmantes, en tête desquelles je placerai les amies de Madame Éli

sabeth.

Voici les lettres de madame de Bombelles à son mari :

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