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puissance. Les chrétiens, dit saint Augustin, leur obéissaient dans le temps, à cause du Dieu de l'éternité '.

!

XXIV. Nous ne vous avons exposé, M. T. C. F., qu'une partie des impiétés contenues dans ce traité de l'Éducation, ouvrage également digne des anathèmes de l'Église et de la sévérité des lois. Et que faut-il de plus pour vous en inspirer une juste horreur? Malheur à vous, malheur à la société, si vos enfants étaient élevés d'après les principes de l'auteur d'Émile! Comme il n'y a que la religion qui nous ait appris à connaître l'homme, sa grandeur, sa misère, sa destinée future, il n'appartient aussi qu'à elle seule de former sa raison, de perfectionner ses mœurs, de lui procurer un bonheur solide dans cette vie et dans l'autre. Nous savons, M. T. C. F., combien une éducation vraiment chrétienne est délicate et laborieuse : que de lumière et de prudence n'exiget-elle pas quel admirable mélange de douceur et de fermeté! quelle sagacité pour se proportionner à la différence des conditions, des âges, des tempéraments et des caractères, sans s'écarter jamais en rien des règles du devoir ! quel zèle et quelle patience pour faire fructifier dans de jeunes cœurs le germe précieux de l'innocence, pour en déraciner, autant qu'il est possible, ces penchants vicieux qui sont les tristes effets de notre corruption héréditaire! en un mot, pour leur apprendre, suivant la morale de saint Paul, à vivre en ce monde avec tempérance, selon la justice et avec piété, en attendant la beatitude que nous espérons 2! Nous disons donc à tous ceux qui sont chargés du soin, également pénible et honorable, d'élever la jeunesse : Plantez et arrosez, dans la ferme espérance que le Seigneur, secondant votre travail, donnera l'accroissement; insistez à temps et à contre-temps selon le conseil du même apôtre; usez de réprimande, d'exhortation, paroles sévères, sans perdre patience et sans cesser d'instruire3. Surtout, joignez l'exemple à l'instruction: l'instruction sans l'exemple est un opprobre pour celui qui la donne, et un sujet de

de

Subditi erant propter Dominum æternum, etiam domino temporali. AUG., Enarrat. in psal. 124.

2 Erudiens nos, ut, abnegantes impietatem et sæcularia desideria, sobrie, et juste, et pie vivamus in hoc sæculo, expectantes beatam spem. Tit., cap. II, v. 12, 15.

3 Insta opportune, importune; argue, obsecra, increpa in omni patientia et doctrina. II. Timot., cap. IV, v. 4, 2.

scandale pour celui qui la reçoit. Que le pieux et charitable Tobie soit votre modèle: Recommandez avec soin à vos enfants de faire des œuvres de justice et des aumônes, de se souvenir de Dieu, et de le benir en tout temps dans la vérité et de toutes leurs forces'; et votre postérité, comme celle de ce saint patriarche, sera aimée de Dieu et des hommes 2.

XXV. Mais en quel temps l'éducation doit-elle commencer ? Dès les premiers rayons de l'intelligence: et ces rayons sont quelquefois prématurés. Formez l'enfant à l'entrée de sa voie, dit le Sage; dans sa vieillesse même il ne s'en écartera point 3, Tel est en effet le cours ordinaire de la vie humaine : au milieu du délire des passions et dans le sein du libertinage, les principes d'une éducation chrétienne sont une lumière qui se ranime par intervalle, pour découvrir au pécheur toute l'horreur de l'abîme où il est plongé, et lui en montrer les issues. Combien, encore une fois, qui, après les écarts d'une jeunesse licencieuse, sont rentrés, par l'impression de cette lumière, dans les routes de la sagesse, et ont honoré par des vertus tardives, mais sincères, l'humanité, la patrie et la religion!

XXVI. Il nous reste en finissant, M. T. C. F., à vous conjurer, par les entrailles de la miséricorde de Dieu, de vous attacher inviolablement à cette religion sainte dans laquelle vous avez eu le bonheur d'être élevés; de vous soutenir contre le débordement d'une philosophie insensée, qui ne se propose rien moins que d'envahir l'héritage de Jésus-Christ; de rendre ses promesses vaines, et de le mettre au rang de ces fondateurs de religion dont la doctrine frivole ou pernicieuse a prouvé l'imposture. La foi n'est méprisée, abandonnée, insultée, que par ceux qui ne la connaissent pas, ou dont elle gène les désordres. Mais les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. L'Église chrétienne et catholique est le commencement de l'empire éternel de Jésus

1 Filiis vestris mandate ut faciant justitias et eleemosynas, ut sint memores Dei et benedicant eum in omni tempore, in veritate et in tota virtute sua. Tob., cap. XIV, v. tt.

2 Omnis autem cognatio ejus, et omnis generatio ejus in bona vita et in sancta conversatione permansit, ita ut accepti essent tam Deo quam hominibus et cunctis habitatoribus in terra. Ibid., v. 17.

3 Adolescens juxta viam suam, etiam cum senuerit non recedel ab ea. Prov., cap. XXII, v. 6.

Christ. Rien de plus fort qu'elle, s'écrie saint Jean Damascène ; c'est un rocher que les flots ne renversent point; c'est une montagne que rien ne peut détruire 1.

XXVII. A ces causes, vu le livre qui a pour titre, Ėmile ou de l'Éducation, par J. J. Rousseau, citoyen de Genève, à Amsterdam, chez Jean Néaulme, libraire, 1762; après avoir pris l'avis de plusieurs personnes distinguées par leur piété et par leur savoir, le saint nom de Dieu invoqué, nous condamnons ledit livre comme contenant une doctrine abominable, propre à renverser la loi naturelle et à détruire les fondements de la religion chrétienne; établissant des maximes contraires à la morale évangélique; tendant à troubler la paix des États, à révolter les sujets contre l'autorité de leur souverain; comme contenant un très-grand nombre de propositions respectivement fausses, scandaleuses, pleines de haines contre l'Église et ses ministres, dérogeantes au respect dù à l'Écriture sainte et à la tradition de l'Église, erronées, impies, blasphématoires et hérétiques. En conséquence, nous défendons trèsexpressément à toutes personnes de notre diocèse de lire ou retenir ledit livre, sous les peines de droit. Et sera notre présent mandement lu au prône des messes paroissiales des églises de la ville, faubourgs et diocèse de Paris; publié et affiché partout où besoin sera. Donné à Paris, en notre palais archiepiscopal, le vingtième jour d'août mil sept cent soixante-deux.

Par Monseigneur,

Signė † CHRISTOPHE,

archevêque de Paris.

DE LA TOUCHE.

'Nihil Ecclesia valentius, rupe fortior est... Semper viget. Cur eam Scriptura montem appellavit? utique quia everti non potest. Damasc., tome II, pages 462, 463.

CITOYEN DE GENÈVE,

A CHRISTOPHE DE BEAUMONT,

ARCHEVÊQUE DE PARIS, DUC DE SAINT-CLOUD, PAIR DE FRANCE, COMMANDEUR DE L'ORDRE DU SAINT-ESPRIT, PROVISEUR DE SORBONNE, ETC.

Da veniam si quid liberius dixi, non ad contumeliam tuam, sed ad defensionem meam. Præsumsi enim de gravitate et prudentia tua, quia potes considerare quantam mihi respondendi necessitatem imposueris.

AUG., epist. 238, ad Pascent.

Pourquoi faut-il, monseigneur, que j'aie quelque chose à vous dire? Quelle langue commune pouvons-nous parler? comment pouvons-nous nous entendre? et qu'y a-t-il entre vous et moi?

Cependant il faut vous répondre; c'est vous-même qui m'y forcez. Si vous n'eussiez attaqué que mon livre, je vous aurais laissé dire mais vous attaquez aussi ma personne; et plus vous avez d'autorité parmi les hommes, moins il m'est permis de me taire quand vous voulez me déshonorer.

Je ne puis m'empêcher, en commençant cette lettre, de réflé chir sur les bizarreries de ma destinée : elle en a qui n'ont été que pour moi.

J'étais né avec quelque talent; le public l'a jugé ainsi : cependant j'ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchais point à sortir. Si je l'avais cherché, cela même eût été une bizarrerie, que durant tout le feu du premier âge je n'eusse pu réussir, et que j'eusse trop réussi dans la suite quand ce feu commençait à passer. J'approchais de ma quarantième année, et j'avais, au lieu d'une fortune que j'ai toujours méprisée, et d'un nom qu'on m'a fait payer si cher, le repos et des amis, les deux seuls biens dont mon cœur soit avide. Une misérable question d'académie, m'agitant l'esprit malgré moi, me jeta dans un métier pour lequel je n'étais point fait un succès inattendu

m'y montra des attraits qui me séduisirent. Des foules d'adversaires m'attaquèrent sans m'entendre, avec une étourderie qui me donna de l'humeur, et avec un orgueil qui m'en inspira peutêtre. Je me défendis, et, de dispute en dispute, je me sentis engagé dans la carrière, presque sans y avoir pensé. Je me trouvai devenu pour ainsi dire auteur à l'âge où l'on cesse de l'être, et homme de lettres par mon mépris même pour cet état. Dès là je fus dans le public quelque chose; mais aussi le repos et les amis disparurent. Quels maux ne souffris-je point avant de prendre une assiette plus fixe et des attachements plus heureux ! Il fallut dévorer mes peines; il fallut qu'un peu de réputation me tint lieu de tout. Si c'est un dédommagement pour ceux qui sont toujours loin d'eux-mêmes, ce n'en fut jamais un pour moi.

Si j'eusse un moment compté sur un bien si frivole, que j'aurais été promptement désabusé! Quelle inconstance perpétuelle n'ai-je pas éprouvée dans les jugements du public sur mon compte! J'étais trop loin de lui; ne me jugeant que sur le caprice ou l'intérêt de ceux qui le mènent, à peine deux jours de suite avait-il pour moi les mêmes yeux. Tantôt j'étais un homme noir, et tantôt un ange de lumière. Je me suis vu dans la même année vanté, fété, recherché, même à la cour, puis insulté, menacé, détesté, maudit: les soirs on m'attendait pour m'assassiner dans les rues; les matins on m'annonçait une lettre de cachet. Le bien et le mal coulaient à peu près de la même source; le tout me venait pour des chansons.

J'ai écrit sur divers sujets, mais toujours dans les mêmes principes; toujours la même morale, la même croyance, les mêmes maximes, et, si l'on veut, les mêmes opinions. Cependant on a porté des jugements opposés de mes livres, ou plutôt de l'auteur de mes livres, parce qu'on m'a jugé sur les matières que j'ai traitées, bien plus que sur mes sentiments. Après mon premier Discours, j'étais un homme à paradoxes, qui se faisait un jeu de prouver ce qu'il ne pensait pas : après ma Lettre sur la Mu sique française, j'étais l'ennemi déclaré de la nation; il s'en fallait peu qu'on ne m'y traitât en conspirateur; on eut dit que le sort de la monarchie était attaché à la gloire de l'Opéra : après mon Discours sur l'Inégalité, j'étais athée et misanthrope : après la Lettre à M. d'Alembert, j'étais le défenseur de la morale chré

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