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beau rêve! En demandant la fameuse déclaration des bénéfices, vous avez voulu connaître les ressources que le clergé peut offrir; hé bien, vous aurez achevé vos opérations avant que de vous être procuré ces premières bases. Après avoir pris sur les établissemens religieux les quatre cents millions que vous destinez à l'Etat, vous restera-t-il de quoi payer les pensions des moines? Vous prendrez alors sur le clergé; mais il faudra entretenir quarante-quatre mille curés, quarante-quatre mille vicaires; car, dussiez-vous en diminuer le nombre, les individus resteront, et pour s'en débarrasser on ne les enverrà pas à la lanterne. Il vous restera les frais du culte, les pauvres, les marguilliers, les sacristains, les chanoines. Pourrez-vous subvenir à tous ces besoins? Non; votre opération est donc impolitique.

» Elles vont donc être anéanties, ces institutions pieuses! Quel hommage à la religion, quel héroïsme de vertus présentent la Trappe et Sept-Fonds! Vous réserverez quelques maisons, dit-on, d'où les religieux pourront sortir au gré de leurs plaisirs ou de leurs besoins : des hommes vénérables iront-ils désormais habiter ces retraites, qui ne seront plus les asiles de la paix et de l'innocence?

» Bornez-vous à réduire toutes les maisons où il n'y aura pas vingt-cinq religieux; alors vous vous procurerez sans injustice les quatre cents millions que vous avez promis aux finances, et les sommes nécessaires à la régénération parfaite de l'Etat. »

M. Barnave.

« Le préopinant a voulu parler en faveur des religieux : je soutiens une thèse opposée à la sienne, et je parle aussi pour eux. Il ne s'est occupé que des chefs de quelques maisons religieuses opulentes, qui, ayant fait vœu d'obéissance et de pauvreté, jouissent de toutes les douceurs de l'indépendance et de la richesse: moi je songerai aux individus. Le préopinant s'est livré à des calculs dans lesquels il a glissé beaucoup d'erreurs : je ne m'arrêterai pas à cette nature de raisonnement. Il suffit que l'existence des moines soit incompatible avec les droits de l'homme, avec les besoins

de la société, nuisible à la religion, et inutile à tous les autres objets auxquels on a voulu la consacrer....... (Les murmures du côté droit de la salle interrompent l'orateur.) Je crois n'avoir pas besoin de démontrer l'incompatibilité des ordres religieux avec les droits de l'homme; il est très-certain qu'une profession qui prive les hommes des droits que vous avez reconnus est incompatible avec les droits...

(MM. l'abbé Maury, de Juigné, l'évêque de Nîmes, Dufraisse-Duchey, l'évêque d'Angoulême, etc., se livrent aux mouvemens les plus impétueux. On crie à l'ordre! aux voix ! Le calme rétabli, M. Barnave continue :)

» Ma proposition est juste; il suffit pour le prouver de rappeler ce premier article des droits de l'homme :

>> Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

» Les ordres religieux sont contraires à l'ordre public; soumis à des chefs indépendans, ils sont hors de la société; ils sont contraires à la société. Obligés à des devoirs que n'a pas prescrits la nature, que la nature réprouve, ne sontils pas, par la nature même, conduits à les violer? Le respect pour la religion n'est-il pas alors attaqué? C'est un trèsgrand mal politique. Quant à l'éducation publique, elle doit être faite par des hommes qui jouissent des droits de citoyen, qui les aiment pour les faire aimer. Tout homme qui ne peut subsister par son travail doit exister par la société; ainsi les secours à donner aux pauvres, aux malades, sont des devoirs de la société; des hommes étrangers à la société ne peuvent être chargés de remplir ces devoirs.

» Les ordres religieux sont donc incompatibles avec l'ordre social et le bonheur public; vous devez les détruire sans restriction. >>

M. de la Fare, évêque de Nancy.

« Je ne m'arrêterai pas à réfuter le préopinant, ni à attaquer les assertions hardies qu'il s'est permises et qu'il n'a pas prouvées. Il a offert des raisonnemens; je présenterai des calculs. Je suis loin de croire que vous vouliez entre

prendre de détruire la religion; mais il faut convenir que tout ce que vous avez fait jusqu'ici serait bien propre à assurer le succès d'une pareille entreprise.

» Je commence par le tableau de l'état actuel du clergé. Les dimes étaient déclarées rachetables; par une rédaction postérieure vous les avez abolies sans rachat. Vous aviez mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation avec les conditions expresses de consulter les provinces, et vous avez décrété la vente d'une partie de ces biens, valeur de quatre cents millions, sans entendre le clergé.

en

» Les calculateurs les plus exagérés portent à cent cinquante millions les revenus du clergé en retranchant de cette somme ce que produisaient les dîmes, les frais de réparations et de fondations, la perte résultant de la suppression des droits féodaux, le produit de deux cents millions de fonds territoriaux que vous vous êtes engagés à vendre, les frais du culte, ceux de l'administration des biens mis à la disposition de la nation, les pensions à faire aux religieux sécularisés, on trouve une dépense supérieure au revenu de seize millions.

>> On pense cependant que les pensions proposées par le comité sont trop modiques. Eussiez-vous de quoi payer ces pensions, seront-elles payées exactement? N'arrivera-t-il pas à ces religieux ce qu'éprouvent chaque jour les membres dispersés de cette société célèbre (les jésuites) à qui la France doit peut-être tous les grands hommes et toute la gloire du dernier siècle? Songez-vous encore aux effets funestes de l'administration publique à laquelle vous allez livrer les biens ecclésiastiques? Elle épuisera la terre, tyrannisera les campagnes; elle établira la plus odieuse aristo

cratie.

» On vous propose de rendre tous les religieux au siècle. Ainsi la volonté de l'homme pourra rompre des engagemens volontaires et sacrés; ainsi on pourra désormais briser tout engagement civil ou militaire; ainsi la religion, la politique et la morale seront attaquées : la religion, en autorisant l'apostasie; la morale, en introduisant le désordre dans le cloître et dans le siècle : dans le cloître personne ne voudra com

mander, parce que personne ne voudra obéir; dans le siècle, les passions se développeront d'autant plus, qu'elles auront été plus longtemps réprimées. Quels moyens pour la régénération des mœurs! Vous manquez à la politique; votre devoir était de diminuer les dépenses, et vous les augmentez. Vous portez le désordre dans les familles : les lois de l'hérédité seront violées si les religieux rendus au monde sont privés de leurs droits héréditaires; les familles seront désolées si vous rendez ces droits aux religieux.

»

Que direz-vous aux provinces? Que diront les citoyens qui nous ont envoyés, lorsque vous serez de retour près d'eux? Devenus sur leurs foyers nos maîtres et nos juges. que leur répondrez-vous, quand ils verront les fondations de leurs pères dissipées, la religion ébranlée, les ministres et les autels dépouillés, les cloîtres profanés, les campagnes frappées de stérilité par la suppression de ces établissemens religieux qui leur donnaient la vie, enfin les biens de l'église mis à l'encan!....

» Le plan du comité n'avait point de bases. Ordonnez à ceux qui ont fait une étude particulière des propriétés ecclésiastiques de vous présenter des plans possibles.

» C'est assez de ruiner; sortons de ces débris amoncelės; évitons ces remèdes empyriques qui promettent la vie et qui donnent la mort. Il ne s'agit pas d'évacuer les cloîtres; mais de remplir le trésor royal. Bientôt arrivera peut-être la catastrophe de nos finances; n'en accusera-t-on pas la masse incohérente de nos travaux?

»Je demande que, conformément au décret du 2 novembre, il ne soit rien statué sur les biens du clergé sans avoir pris les instructions des provinces, et qu'on s'occupe sans relâche d'organiser un nouveau système de finances. »

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M. Garat l'aîné. (Séance du 13.)

Lorsque dans une Assemblée si éclairée on parle de questions qui présentent tant d'aspects et de rapports, il faut, autant qu'on en est capable, les avoir approfondies dans tous leurs détails, mais il ne faut en présenter que les résultats.

» La religion gagnera-t-elle à la suppression des ordres religieux ?

» Oui, car en sortant des cloitres les religieux se dévoueront au service du culte : leur piété ne servait qu'à eux; elle servira à tout le monde.

» Les mœurs publiques y gagneront-elles ?

>> Convenons-en; leurs vertus restaient cachées à l'ombre de leurs autels solitaires, et leurs faiblesses, que la malignité faisait sortir de l'enceinte des cloîtres, étaient des sujets fréquens de scandale.

» L'éducation nationale y gagnera-t-elle ?

» Autrefois, je me plais à l'avouer, elle y eût beaucoup perdu; elle y gagnera beaucoup aujourd'hui. Il fallait autrefois élever les hommes à la soumission; il faut les élever aujourd'hui à la liberté. Le peu de lumières qu'il y avait autrefois parmi les hommes, il fallait le chercher dans l'obscurité des cloîtres; la lumière des esprits, plus abondante aujourd'hui, brille dans le vaste espace du monde; il faut la puiser là où elle est répandue.

» L'indigence n'y perdra-t-elle pas des charités?

>> Par orgueil ou par sensibilité, tout le monde aujourd'hui veut être ou paraître humain ; tout le monde recherche le bonheur où la gloire de la bienfaisance : j'en atteste ces dons patriotiques dont l'inépuisable source devient plus abondante chaque jour depuis qu'elle est ouverte ; j'en atteste ces nombreuses sociétés qui se forment de tous les côtés pour le soulagement de l'infortune, comme il s'en formait autrefois pour l'accroissement de la fortune des asso

ciés.

» D'ailleurs le sort des pauvres pourrait-il empirer lorsque celui d'une nation généreuse s'améliore!

» Les finances y gagneront-elles?

» C'est la dernière question qu'il faut faire, mais certainement c'est la plus facile à résoudre. M. l'évêque de Nancy a fait là-dessus des calculs effrayans; mais M. Dupont a fait d'autres calculs, et ceux-ci me rassurent.

» Les familles ne seront-elles pas effrayées de voir reparaître des membres sur lesquels elles ne comptaient plus!..

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