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tion des maisons qui seront conservées. Votre comité a pensé que le moment était venu d'attaquer la répartition trop inégale des revenus ecclésiastiques, et qu'il fallait fixer à chaque maison le même revenu, à raison d'une somme déterminée pour chaque religieux qui l'habitera. Ainsi disparaîtra ce révoltant contraste qui offre quelques ordres environnés de tout le faste de l'opulence, et qui voue les autres à la honte d'une mendicité que vous aurez la gloire de détruire.

» Il a paru aussi à votre comité également prudent et économique de charger chaque maison de tous les frais relatifs au culte et des réparations de ses bâtimens. C'est en considération de cette double obligation que nous croyons devoir vous proposer d'assurer aux maisons conservées 800 livres pour chaque religieux.

» Mais comment leur fournirez-vous ce revenu? Leur assignerez-vous des fonds? les paierez-vous en argent?

» Cette question, très-importante, se trouve intimement liée à celle de l'administration future de tous les biens du clergé vous n'avez pas encore décidé, messieurs, si vous laisserez toujours aux ecclésiastiques l'administration qu'ils ont eue jusqu'à ce moment, ou si vous vous déterminerez à ne fournir que des salaires pécuniaires aux ministres du culte.

» Un objet, si grave a dû nécessairement occuper votre comité, et je ne dois pas dissimuler que les avis y sont partagés. Nous ne pouvons donc que vous proposer de suspendre encore pour quelques momens votre décret sur l'administration des biens des religieux; ils subiront la loi qu'il vous plaira de donner à tous les autres biens du clergé.

» Vous connaissez, actuellement, messieurs, les motifs qui ont dicté à votre comité les articles qu'il croit devoir vous soumettre : ma dernière mission est de vous en donner lecture; heureux si votre comité peut se flatter d'avoir rempli vos intentions, et d'avoir justifié la confiance dont vous l'avez honoré!» (Suivait le projet.)

DISCUSSION. (Séance du 12.)

Les débats trop généraux qui suivirent la lecture de ce

rapport amenèrent l'Assemblée à adopter d'abord un mode de discussion établi sur ces trois questions:

« 1°. Abolira-t-on les ordres religieux?

» 2°. Quel sort fera-t-on aux religieux qui ne voudront pas rester dans les maisons et dans l'habit de leur ordre? » 3°. Quel sort fera-t-on à ceux qui voudront rester dans les maisons et dans l'habit de leur ordre?

Ces questions posées, le premier orateur qui obtint la parole fut M. le duc de la Rochefoucauld:

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Il y a longtemps, messieurs, que l'opinion publique en France a décidé la question soumise en ce moment à nos délibérations; il y a longtemps qu'elle demande la suppression des ordres religieux. Quand vous avez mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation vous avez entendu autour de vous un applaudissement universel; quand vous avez suspendu provisoirement l'émission des vœux, du fond des cloîtres et du milieu du monde se sont élevées vers vous des voix reconnaissantes: en supprimant les ordres religieux vous ne ferez qu'achever un ouvrage dont le plan a été tracé déjà dans vos précédens décrets, et pour lesquels vous avez reçu ces remerciemens des hommes, la véritable sanction des lois.

» Je ne conteste pas les services qu'ont pu rendre les ordres religieux à l'agriculture, lorsqu'il n'y avait que des déserts; aux lettres, lorsque l'ignorance était universelle; à la religion, lorsqu'elle était la seule morale des peuples de l'Europe, ivres de la fureur des guerres. Mais tout est changé avec les siècles: la religion, défendue par des écrivains immortels dont l'éloquence étonne la logique la plus exacte et la philosophie la plus hardie, n'a plus besoin que de ces vertus actives et pratiques que déploie le clergé séculier dans le service du culte; les lettres, dont le goût s'est répandu dans toutes les classes de la société, ne peuvent plus faire de progrès que par les sciences naturelles, dont les cloîtres ne peuvent pas être de bonnes écoles; l'agriculture enfin, qui a couvert de riches productions le sol d'un si bel empire, pourra être perfec

tionnée encore si les vastes domaines réunis dans les mains d'un seul abbé ou dans une seule maison religieuse sont divisés par petites portions entre les mains d'un grand nombre de pères de famille qui travailleront pour leurs enfans.

» Ainsi donc je conclus, avec l'opinion publique, à ce que les ordres religieux soient abolis, et cette abolition doit être entière, en conservant cependant à ceux qui le désireront la liberté de vivre dans les monastères. »

M. l'abbé Grégoire.

« Je commence par ma profession de foi je ne crois pas qu'on doive abolir en entier les établissemens religieux; le culte, les sciences et l'agriculture demandent que quelques-uns soient conservés. Il n'y a pas assez de prêtres séculiers; il est nécessaire de se ménager des troupes auxiliaires. Les moines, dit-on, ne sont pas nécessaires à l'agriculture oui; mais ils lui sont utiles. Je conviens, quant à l'éducation, qu'il n'est point indispensable de les charger encore d'y concourir. Lorsqu'ils auront été élevés dans les principes de notre constitution ils pourront être plus propres à ces sortes de fonctions que des citoyens libres, que des prêtres séculiers. Relativement aux sciences, en voyant ce qu'ils ont été, on verra ce qu'ils peuvent être : les abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève rendent cha que jour aux lettres des services importans; elles sont remplies de savans distingués; on y continue en ce moment la Gallia christiana, etc. Sous tous ces rapports, il serait impolitique et dangereux de supprimer en entier les établisse◄ mens ecclésiastiques. »

M. Pétion de Villeneuve.

« C'est un principe constant que tous les corps étant faits par la société, la société peut les détruire s'ils sont inutiles, s'ils sont nuisibles. Voyons si les religieux sont utiles, s'ils ne sont pas nuisibles.

» Autrefois les religieux priaient et travaillaient; aujourd'hui ils ne travaillent plus : ce sont des bras ravis à l'agriculture,

des richesses enlevées à la société. Ainsi les moines sont nuisibles individuellement; ils sont dangereux comme corps.

» Si l'Espagne, antrefois si peuplée, est actuellement déserte et apauvrie, elle le doit entièrement à l'établissement des monastères : si l'Angleterre est florissante, elle le doit en partie à l'abolition des ordres religieux.

» On vous a dit, messieurs, que les ordres religieux consomment sur les lieux les fruits que chaque lieu fait naître; que des charités abondantes nourrissent autour d'eux les campagnes et les villages : moi je vous assure au contraire que les maisons religieuses un peu riches achètent dans les villes toutes leurs grandes provisions; que les ouvriers des villes font leurs plus importans travaux, et que par conséquent c'est dans les villes, et non dans les campagnes, que les maisons religieuses dépensent leur fortune.

» La nation pourrait-elle donner quelque regret à ces distributions de quelques alimens faites devant les portes des couvens, et qui accoutument les peuples à se nourrir du vil pain de l'aumône! charité respectable sans doute dans son principe, mais dont les effets les plus connus sont de multiplier les fainéans et les fripons dans cette classe intéressante du peuple à qui l'on a fait encore plus de mal lorsqu'on a pu l'avilir que lorsqu'on l'a fait gémir sous le poids des tra

vaux.

» C'est par d'autres hommes que des moines, messieurs, que dans cette régénération des choses et des personnes vous féconderez les campagnes, que vous irez au secours de ceux qui les cultivent. La liberté et le goût de la vie agricole ne se sont jamais séparés: votre constitution, en attachant davantage le citoyen aux propriétés territoriales, fera refluer la population des villes dans les campagnes, et les riches y porteront, y verseront leurs fortunes. C'est de bonnes lois, et non de charités, qu'ont besoin les peuples, l'agriculture, les arts et le commerce. Quant à l'éducation, peut-on croire que vous conserverez à des maisons religieuses le soin précieux d'élever des citoyens ?

» Il faut donc détruire entièrement ces ordres; en cor server quelques-uns ce serait préparer la renaissance

tous. Rendez des hommes à la liberté, des citoyens à la société, des bras à l'agriculture et aux arts qui les redemandent; rendez à la circulation d'immenses propriétés qui restent dans une stagnation funeste, et vous ferez un bien inestimable à la nation. »

M. Dedeley d'Agier.

« Doit-on conserver les ordres religieux? Non; et pourquoi? 1° Parce que leur régime est continuellement en opposition avec les droits de l'homme; 2° parce qu'aucun avantage ne compense cette cruelle opposition.

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M. d'Agier n'ajouta pas un mot de plus ; il descendit de la tribune après avoir ainsi prononcé son opinion, qu'un écrivain du temps compare aux coups de hache de Phocion.

M. Cayla, général de l'ordre de Saint-Lazare.

« Je vais me servir d'une comparaison bien connue : les procédés qu'on cherche à vous inspirer contre les moines ressemblent assez à la conduite des sauvages de la Louisiane, qui coupent l'arbre pour en avoir les fruits. Ce procédé n'est ni le plus délicat, ni le plus sage, ni le plus digne de cette Assemblée. Les fautes de quelques-uns sont donc devenues les crimes de tous! On a cherché à exciter votre patriotisme en liant la destruction des ordres religieux à la régénération de l'Etat. Examinons l'effet de cette régénération, en commençant par la capitale. La ville de Paris a déjà fait tant de pertes, que vous devriez lui en épargner encore; cependant vous allez incessamment éloigner d'elle cent mille personnes attachées à la magistrature; vous voulez aujourd'hui la priver des communautés religieuses et de la foule des consommateurs que ces communautés renferment. Vous enlevez en général aux campagnes des consommateurs utiles. On dit que les biens des religieux ne feront que changer de mains; mais les mains des capitalistes ne sont ni généreuses ni bienfaisantes. On nous montre la fortune publique régénérée par les propriétés ecclésiastiques; l'âge d'or va renaître; le bonheur public va s'élever sur les ruines du clergé.... Mais si ce n'était là qu'un

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