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M. l'abbé Grégoire, un décret par lequel le président fut chargé d'écrire aux municipalités pour témoigner combien l'Assemblée était affectée de ces désordres, dont la continuation nécessiterait le recours à toutes les forces du pouvoir exécutif.

C'est alors que, pour mieux remplir l'intention du décret, M. Lanjuinais proposa de faire une Adresse au peuple français, dans laquelle on l'éclairerait sur ses véritables intérêts, en même temps qu'on l'instruirait de l'union intime du roi avec l'Assemblée. On accueillit cette proposition, et le comité de constitution fut chargé de la rédaction de l'Adresse, qu'il soumit à l'Assemblée dès le lendemain, par l'organe de M. l'évêque d'Autun.

Cette Adresse, modèle de dignité, sage et forte en principes, élégante et riche de style, fut adoptée après deux lectures, et également applaudie de l'Assemblée et de la France:

L'Assemblée nationale aux Français.

11 février 1790.

« L'Assemblée nationale, s'avançant dans la carrière de ses travaux, reçoit de toutes parts les félicitations des provinces, des villes, des communautés, les témoignages de la joie publique, les acclamations de la reconnaissance; mais elle entend aussi les murmures, les clameurs de ceux que blessent ou qu'affligent les coups portés à tant d'abus, à tant d'inté rêts, à tant de préjugés. En s'occupant du bonheur de tous, elle s'inquiète des maux particuliers; elle pardonne à la prévention, à l'aigreur, à l'injustice; mais elle regarde comme un de ses devoirs de vous prémunir contre les influences de la calomnie, et de détruire les vaines terreurs dont on chercherait à vous surprendre. Eh! que n'a-t-on pas tenté pour vous égarer, pour ébranler votre confiance! On a feint d'ignorer quel bien avait fait l'Assemblée nationale; nous allons vous le rappeler on a élevé des difficultés contre ce qu'elle a fait; nous allons y répondre : on a répandu des doutes, on a fait naître des inquiétudes sur ce qu'elle fera; nous allons vous l'apprendre.

» Qu'a fait l'Assemblée? Elle a tracé d'une main ferme, au milieu des orages, les principes de la constitution qui assure à jamais votre liberté.

» Les droits des hommes étaient méconnus, insultés depuis des siècles: ils ont été rétablis pour l'humanité entière, dans cette déclaration qui sera à jamais le cri de ralliement contre les oppresseurs, et la loi des législateurs eux-mêmes.

» La nation avait perdu le droit de décréter et les lois et les impôts ce droit lui a été restitué, et en même temps ont été consacrés les vrais principes de la monarchie, l'inviolabilité du chef auguste de la nation, et l'hérédité du trône dans une famille si chère à tous les Français.

» Nous n'avions que des Etats généraux : vous avez maintenant une Assemblée nationale, et elle ne peut plus vous être ravie.

» Des ordres, nécessairement divisés, et asservis à d'antiques prétentions, y dictaient les décrets, et pouvaient y arrêter l'essor de la volonté nationale: ces ordres n'existent plus; tout a disparu devant l'honorable qualité de citoyen.

>> Tout étant devenu citoyen, il vous fallait des défenseurs citoyens; et au premier signal on a vu cette garde nationale qui, rassemblée par le patriotisme, commandée par l'honneur, partout maintient ou ramène l'ordre, et veille avec un zèle infatigable à la sûreté de chacun pour l'intérêt de tous.

» Des priviléges sans nombre, ennemis irréconciliables de tout bien, composaient tout notre droit public: ils sont détruits, et à la voix de votre Assemblée les provinces les plus jalouses des leurs ont applaudi à leur chute; elles ont senti ́qu'elles s'enrichissaient de leur perte.

» Une féodalité vexatoire, si puissante encore dans ses derniers débris, couvrait la France entière: elle a disparu

sans retour.

» Vous étiez soumis dans les provinces au régime d'une administration inquiétante vous en êtes affranchis.

» Des ordres arbitraires attentaient à la liberté des citoyens : ils sont anéantis.

» Vous vouliez une organisation complète des municipalités: elle vient de vous être donnée, et la création de tous

ces corps formés par vos suffrages présente en ce moment dans toute la France le spectacle le plus imposant.

» En même temps l'Assemblée nationale a consommé l'ouvrage de la nouvelle division du royaume, qui seule pouvait effacer jusqu'aux dernières traces des anciens préjugés, substituer à l'amour-propre de province l'amour véritable de la patrie, asseoir les bases d'une bonne représentation, et fixer à la fois les droits de chaque homme et de chaque canton en raison de leur rapport avec la chose publique; problème difficile dont la solution était restée inconnue jusqu'à nos jours.

» Dès longtemps vous désiriez l'abolition de la vénalité des charges de magistrature: elle a été prononcée.

» Vous éprouviez le besoin d'une réforme, du moins provisoire, des principaux vices du code criminel: elle a été décrétée, en attendant une réforme générale.

» De toutes les parties du royaume nous ont été adressées des plaintes, des demandes, des réclamations: nous y ayons satisfait autant qu'il était en notre pouvoir.

» La multitude des engagemens publics effrayait : nous avons consacré les principes sur la foi qui leur est due.

Vous redoutiez le pouvoir des ministres : nous leur avons imposé la loi rassurante de la responsabilité.

L'impôt de la gabelle vous était odieux nous l'avons adouci d'abord, et nous vous en avons promis l'entière destruction; car il ne nous suffit pas que les impôts soient indispensables pour les besoins publics; il faut encore qu'ils soient justifiés par leur égalité, leur sagesse, leur douceur.

» Des pensions immodérées, prodiguées souvent à l'insu de votre roi, vous ravissaient le fruit de vos labeurs : nous avons jeté sur elles un premier regard sévère, et nous allons les renfermer dans les limites étroites d'une stricte justice.

» Enfin les finances demandaient d'immenses réformes : secondés par le ministre qui a obtenu votre confiance, nous y avons travaillé sans relâche, et bientôt vous allez en jouir.

» Voilà notre ouvrage, Français! ou plutôt voilà le vôtre, car nous ne sommes que vos organes, et c'est vous qui nous avez éclairés, encouragés, soutenus dans nos travaux. Quelle

époque que celle à laquelle nous sommes enfin parvenus! Quel honorable héritage vous allez transmettre à votre postérité! Elevés au rang de citoyens, admissibles à tous les emplois, censeurs éclairés de l'administration quand vous n'en serez pas les dépositaires, sûrs que tout se fait et par vous et pour vous, égaux devant la loi, libres d'agir, de parler, d'écrire, ne devant jamais compte aux hommes, toujours à la volonté commune, quelle plus belle condition! Pourrait-il être encore un seul citoyen, vraiment digne de ce nom, qui osât tourner ses regards en arrière, qui voulût relever les débris dont nous sommes environnés, pour en recomposer l'ancien édifice!

» Et pourtant que n'a-t-on pas dit, que n'a-t-on pas fait pour affaiblir en vous l'impression naturelle que tant de biens doivent produire !

» Nous avons tout détruit, a-t-on dit : c'est qu'il fallait tout reconstruire. Et qu'y a-t-il donc tant à regretter! Veut-on le savoir? Que sur tous les objets réformés ou détruits on interroge les hommes qui n'en profitaient pás; qu'on interroge même la bonne foi des hommes qui en profitaient; qu'on écarte ceux-là qui, pour ennoblir les affections de l'intérêt personnel, prennent aujourd'hui pour objet de leur commisération le sort de ceux qui dans d'autres temps leur furent si indifférens, et l'on verra si la réforme de chacun de ces objets ne réunit pas tous les suffrages faits pour être comptés.

» Nous avons agi avec trop de précipitation.... Et tant d'autres nous ont reproché d'agir avec trop de lenteur!.... Trop de précipitation! Ignore-t-on que c'est en altaquant, en renversant tous les abus à la fois qu'on peut espérer de s'en voir délivré sans retour; qu'alors, et alors seulement, chacun se trouve intéressé à l'établissement de l'ordre; que les réformes lentes et partielles ont toujours fini par ne rien réformer; enfin que l'abus que l'on conserve devient l'appui et bientôt le restaurateur de tous ceux qu'on croyait avoir détruits?

» Nos assemblées sont tumultueuses.... Et qu'importe, si les décrets qui en émanent sont sages? Nous sommes au reste

loin de vouloir présenter à votre admiration les détails de tous nos débats plus d'une fois nous en avons été affligés nous-mêmes; mais nous avons senti en même temps qu'il était trop injuste de chercher à s'en prévaloir, et qu'après tout cette impétuosité était l'effet presque inévitable du premier combat qui se soit peut-être jamais livré entre tous les principes et toutes les erreurs.

» On nous accuse d'avoir aspiré à une perfection chimėrique.... Reproche bizarre, qui n'est, on le voit bien, qu'un vœu mal déguisé pour la perpétuité des abus. L'Assemblée nationale ne s'est point arrêtée à ces motifs servilement intéressés ou pusillanimes; elle a eu le courage ou plutôt la raison de croire que les idées utiles, nécessaires au genre humain, n'étaient pas exclusivement destinées à orner les pages d'un livre, et que l'Etre suprême, en donnant à l'homme la perfectibilité, apanage particulier de sa nature, ne lui avait pas défendu de l'appliquer à l'ordre social, devenu le plus universel de ses intérêts, et presque le premier de ses besoins.

» Il est impossible, a-t-on dit, de régénérer une nation vieille et corrompue... Qu'on apprenne qu'il n'y a de corrompu que ceux qui veulent perpétuer des abus corrupteurs, et qu'une nation se rajeunit le jour où elle a résolu de renaître à la liberté. Voyez la génération nonvelle; comme déjà son cœur palpite de joie et d'espérance! comme ses sentimens sont purs, nobles, patriotiques! avec quel enthousiasme on la voit chaque jour briguer l'honneur d'être admise à prêter le serment du citoyen! Mais pourquoi répondre à un aussi misérable reproche! L'Assemblée nationale seraitelle donc réduite à s'excuser de n'avoir pas désespéré du peuple français ?

» On n'a encore rien fait pour le peuple, a-t-on osé dire... Et c'est sa cause qui triomphe partout! Rien fait pour le peuple!... Et chaque abus que l'on a détruit ne lui prépare-t-il pas, ne lui assure-t-il pas un soulagement? Etait-il un seul abus qui ne pesât sur le peuple?

» Il ne se plaignait pas.... C'est que l'excès de ses maux étouffait ses plaintes. Maintenant il est malheureux.... Dites

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