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» Je ne puis vous entretenir des grands intérêts de l'État sans vous presser de vous occuper, d'une manière instante et définitive, de tout ce qui tient au rétablissement de l'ordre dans les finances, et à la tranquillité de la multitude innombrable de citoyens qui sont unis par quelque lien à la fortune publique.

» Il est temps d'apaiser toutes les inquiétudes; il est temps de rendre à ce royaume la force de crédit à laquelle il a droit de prétendre. Vous ne pouvez pas tout entreprendre à la fois; aussi je vous invite à réserver pour d'autres temps une partie des biens dont la réunion de vos lumières vous présente le tableau; mais quand vous aurez ajouté à ce que vous avez déjà fait un plan sage et raisonnable pour l'exercice de la justice, quand vous aurez assuré les bases d'un équilibre parfait entre les revenus et les dépenses de l'Etat ; enfin, quand vous aurez achevé l'ouvrage de la constitution, vous aurez acquis de grands droits à la reconnaissance publique; et, dans la continuation successive des assemblées nationales, continuation fondée dorénavant sur cette constitution même, il n'y aura plus qu'à ajouter d'année en année de nouveaux moyens de prospérité. Puisse cette journée, où - votre monarque vient s'unir à vous de la manière la plus franche et la plus intime, être une époque mémorable dans l'histoire de cet empire! Elle le sera, je l'espère, si mes vœux ardens, si mes instantes exhortations peuvent être un signal de paix et de rapprochement entre vous. Que ceux qui s'éloigneraient encore d'un esprit de concorde devenu si nécessaire me fassent le sacrifice de tous les souvenirs qui les affligent; je les paierai par ma reconnaissance et mon affection.

»Ne professons tous, à compter de ce jour, ne professons tous, je vous en donne l'exemple, qu'une seule opinion, qu'un seul intérêt, qu'une seule volonté, l'attachement à la constitution nouvelle, et le désir ardent de la paix, du bonheur et de la prospérité de la France! »

Des applaudissemens avaient interrompu plusieurs fois ce discours; lorsqu'il fut achevé il y en eut une explosion

générale. Le président suspendit ces marques de la satisfaction publique en adressant ainsi la parole au roi :

SIRE, l'Assemblée nationale voit avec la plus vive reconnaissance, mais sans étonnement, la conduite confiante et paternelle de Votre Majesté. Négligeant l'appareil et le faste du trône, vous avez senti, Sire, que pour convaincre tous les esprits et pour entraîner tous les cœurs il suffisait de vous montrer dans la simplicité de vos vertus; et lorsque Votre Majesté vient au milieu des représentans de la nation contracter avec eux l'engagement d'aimer, de maintenir et de défendre la constitution et les lois, je ne risquerai pas, Sire, d'affaiblir, en voulant les peindre, les témoignages de la gratitude, du respect et de l'amour que la France doit au patriotisme de son roi, mais j'en abandonne l'expression au sentiment sûr qui dans cette circonstance saura bien lui seul inspirer les Français. »>

Le roi se retira, salué de nouveau par les acclamations unanimes de l'Assemblée et des tribunes. Une nombreuse députation l'accompagna jusqu'au château.

L'Assemblée ayant repris ses délibérations, M. Goupil de Préfeln fit une motion qui réunit sur le champ tous les suffrages. M. Goupil de Préfeln pensait que le moment où la constitution venait de recevoir l'acceptation la plus solennelle du monarque était celui de prononcer le serment civique qui lie tout Français à cette constitution, On avait d'abord décidé que tous les députés feraient à la fois ce serment; mais M. le vicomte de Noailles fit observer qu'il serait en quelque sorte plus senti, plus sacré, plus religieux, si chaque député appelé par son nom le prononçait seul devant toute l'Assemblée. On adopta l'appel nominal, et le président proclama la formule ci-après :

« Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi, au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. »

M. Bureaux de Pusy, président, suivit en cette cir

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constance l'exemple donné par l'illustre Bailly dans la célèbre séance du Jeu de Paume:

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Messieurs, dit-il, vous savez combien est auguste et sainte la cérémonie qui va se faire ici. J'ai l'avantage de présider vos travaux : j'espère que vous ne me refuserez pas l'honneur de prêter le premier le serment civique.

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Après M. le président, tous les membres montèrent successivement à la tribune pour y prêter le même serment, qui se bornait à ces mots : Je le jure. Un seul des députés présens, M. l'évêque de Perpignan, parut vouloir y apporter quelque restriction: Oui ou non, monsieur, lui dit le président :- Hé bien, oui, je le jure, reprit M. l'évêque. Quant à M. l'abbé de Montesquiou, il provoqua les applaudissemens de l'Assemblée en ajoutant : « Et je promets de plus de donner l'exemple, et de concourir autant qu'il sera en moi à éteindre tout sentiment de division, s'il était vrai qu'il en existât encore dans cette Assemblée. » Lorsque vint le tour de MM. Bailly et de La Fayette un bouillant enthousiasme s'empara de tous les esprits, de tous les cœurs; les voûtes retentirent; on confondit le présent avec le passé pour leur témoigner les sentimens d'admiration et de reconnaissance que leur portait la France, et même le monde entier.

Les suppléans, les députés du commerce, les députés extraordinaires des villes et des communes, réclamérent et obtinrent l'honneur d'être admis à prêter le serment civique. Bientôt après hommes, femmes, enfans, qui rem-plissaient en foule les tribunes et les amphithéâtres, se levèrent pour prendre part à cette auguste et imposante cérémonie; l'Assemblée nationale consentit à recevoir le serment général, et des milliers de voix répétèrent en chœur ces mots : Je le jure!

Il ne manquait à ce beau spectacle que la présence du prince qui en était l'auteur : le roi, en venant encourager les travaux de l'Assemblée, en les marquant du sceau de son approbation, avait pour ainsi dire contracté un

pacte avec la révolution; il était juste qu'on lui fit con naître le mouvement national qui cimentait une aussi sublime alliance. A cet effet une députation se rendit le même jour auprès de S. M., à qui le président de l'Assemblée adressa le discours suivant :

« SIRE, nous venons offrir à Votre Majesté les premiers fruits de son patriotisme et de ses vertus.

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L'oubli de toutes les divisions, le concert de toutes les volontés, la réunion de tous les intérêts particuliers dans le seul intérêt public; le serment solennel prononcé par tous les représentans du peuple français d'être fidèles à la nation, à la loi, au roi, à la constitution; les citoyens en foule demandant leur association à ce pacte auguste et saint, tels sont, Sire, les heureux effets de votre présence à l'Assemblée nationale. Pourquoi faut-il que le cœur humain, juste et sensible de Votre Majesté ait été privé de ce spectacle attendrissant! Interprètes des vœux de la nation, nous devons l'être de sa reconnaissance : daignez, Sire, en recevoir le tribut avec bonté. L'amour et la confiance des peuples sont les vrais trésors des bons rois jouissez-en, Sire, et que ce juste hommage de vos contemporains vous soit le garant des bénédictions que la postérité réserve à votre mémoire. »

Réponse du roi.

« Le prix que vous attachez aux sentimens que je vous ai témoignés m'est un nouveau garant de la réunion de vos soins pour le bien de la patrie. J'espère que tous les bons citoyens, tous les vrais amis du peuple, se rallieront autour de moi pour consolider sa liberté et son bonheur : le serment que vous avez prêté après m'avoir entendu m'en donne l'assurance.

» Puissé cette heureuse conformité de nos principes et de nos sentimens assurer la gloire et la félicité de la plus grande et de la meilleure des nations! »

L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX FRANÇAIS.

Motifs de cette adresse.

Tandis que l'Assemblée, de concert avec le roi, s'occupait sans relâche de régénérer la France; tandis que le plus éclatant, le plus auguste hommage était rendu au nouvel ordre de choses, les ennemis de la constitution portaient le trouble dans les provinces, et cherchaient à faire haïr la liberté en rejetant sur elle leurs propres crimes. L'abolition des abus et des priviléges était toujours la source ou le prétexte de ces désordres. Depuis le décret du 4 août 1789 (1) les seigneurs avaient multiplié les exécutions, les vexations de toute espèce pour se faire payer les rentes arriérées; ils avaient encore exigé, avec plus de rigueur qu'auparavant, les corvées féodales et les assujétissemens les plus avilissans. Dans plusieurs endroits le peuple avait résisté, et des troupes de paysans armés opposaient à la tyrannie l'incendie et le ravage. Dans la séance du 9 février M. l'abbé Grégoire, au nom du comité des Rapports, rendit compte à l'Assemblée de ces douloureux événemens; il en trouvait les causes « 1° dans l'ignorance des paysans, qui par décrets de l'Assemblée nationale entendaient décrets de prise de corps; 2° dans la crainte que les décrets du 4 août ne fussent pas exécutés; 3° dans la fausse interprétation de ces décrets; 4° dans les erreurs où cherchaient à faire tomber les habitans des campagnes ceux qui préfèrent l'esclavage et l'anarchie à l'ordre et à la liberté; 5o enfin dans de faux décrets et de fausses lettres patentes perfidement montrés aux paysans. » La délibération s'ouvrit aussitôt sur les moyens à prendre pour ramener le calme. M. l'abbé Maury, souvent interrompu par des murmures d'improbation, conclut aux mesures les plus rigoureuses. MM. Grégoire et Lanjuinais, parlant toujours le langage de l'humanité, demandèrent avec instance qu'on employât de préférence les voies de conciliation et d'exhortation. Enfin l'Assemblée adopta, sur la proposition de

(1) Voyez tome I, page 69.

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