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de l'ordre public nous ont semblé se réunir pour commander à votre prudence un délai fixe, mais suffisant, soit pour laisser à leurs parens les moyens d'assurer leur subsistance, soit pour ne pas faire sortir en ce moment des maisons de force ceux qui, ayant été enfermés pour cause de police, privés, dans une saison morte, de la ressource d'un travail assuré, livreraient peut-être à des excès qui obligeraient à sévir contre eux d'une manière plus rigoureuse. C'est avec peine que nous avons adopté cette mesure, et nos regrets, à cet égard, sont loin d'être écartés par les soins que nous avons pris de nous concerter avec les ministres du roi, afin de délivrer d'avance tous ceux qui, ayant réclamé, nous ont paru susceptibles d'être élargis sans danger. Leur nombre est considérable, nous ne le dissimulerons pas; cependant, messieurs, une disposition générale peut seule rendre à tous les innocens que renferment les prisons d'Etat la justice qui leur est due : puissentils attendre avec patience l'époque que vous jugerez à propos de fixer! puisse leur captivité être adoucie par l'espoir certain d'une délivrance prochaine!

» Parmi ceux qui sont enfermés pour cause de démence il en est certainement plusieurs qui ne sont pas fous; les personnes qui sollicitaient autrefois des lettres de cachet appuyaient souvent leurs requêtes de motifs qui n'étaient pas conformes à la vérité; mais comme les particuliers qui se trouvaient sacrìfiés ou à leurs intérêts ou à leurs passions n'avaient aucun moyen de réclamation; comme on interceptait habituellement les lettres qu'ils écrivaient au secrétaire d'état, par qui l'ordre du roi avait été expédié, ainsi que le prouve la quantité de papiers de cette espèce trouvés dans les archives de la Bastille, il était impossible alors, il est encore difficile à présent de connaître avec exactitude le véritable état de santé de chacun des individus détenus pour cause de folie.

>> Cette connaissance préliminaire est cependant indispensable avant de prendre un parti à leur égard. Il nous a done paru, messieurs, que vous deviez charger les assemblées de district du soin de faire visiter par des médecins ceux qui sont privés de leur liberté sous prétexte de folie; mais comme il en est plusieurs qui, malgré des intervalles lucides, sont

hors d'état d'être livrés à eux-mêmes, nous avons cru nécessaire de fixer un espace de temps assez considérable pour donner les moyens de constater, par des visites multipliées, la véritable situation des personnes soumises à cet examen.

>> Vous aurez encore, messieurs, à vous occuper d'améliorer le sort des malheureux qui, ayant besoin d'une surveillance journalière, ne sauraient jouir de la liberté. Ils ont presque toujours, jusqu'à présent, été traités, dans les différentes maisons de force du royaume, avec une inhumanité qui, loin de guérir leur mal, n'était propre qu'à l'agraver. Persuadés que c'est par la douceur, et non par la férocité d'un régime barbare qu'il est possible de guérir ces infortunés, vous vous déterminerez probablement à assigner, soit sur les fonds des maisons de force déjà subsistantes, soit sur les biens ecclésiastiques, une portion de revenus suffisante pour assurer aux insensés les secours que leur état exige de la bienfaisance publique. Eh! combien cette disposition, si nécessaire dans tous les temps, n'est-elle pas encore une obligation plus sacrée pour nous, au moment où nous savons qu'une partie des fous actuellement existant dans les maisons de force ne le sont devenus que par la longue captivité et par les tourmens qu'ils ont soufferts, lorsque les lois étaient muettes et les ministres tout puissans!"

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donc, messieurs, que les mesures à pour la garde et le soulagement des fous doivent être l'objet d'un rapport particulier. Nous soumettrons aussi à votre discussion l'exposé d'un régime pour les maisons de correction, qui, nécessaires même chez un peuple libre, ne peuvent cependant ressembler à celles qui ont été établies sous un système d'oppression.

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Jusqu'à présent, messieurs, ce que nous avons eu l'honneur de vous proposer nous a paru d'accord avec les principes et les décrets de l'Assemblée nationale; mais en ce moment les difficultés augmentent; ce n'est plus l'innocence qu'il faut délivrer, ce ne sont plus des malades qu'il s'agit de faire examiner pour déterminer s'ils sont en état de recevoir de vous le bienfait de la liberté, ou si votre humanité doit se contenter de leur procurer des secours qui puissent

ou les guérir ou du moins rendre leur position supportable. Nous avons à remplir une tâche plus difficile: il s'agit de porter vos regards sur la troisième et la quatrième classe des prisonniers d'état ; il s'agit de vous intéresser pour ceux-mêmes qu'une accusation ou une condamnation légale ont déjà placés sous la main de la loi. L'Assemblée voudra sans doute tenir compte aux uns et aux autres de la punition irrégulière à laquelle ils ont été soumis; cependant nous n'avons pas cru qu'elle pût interdire aux premiers le recours à leurs juges naturels s'ils sont innocens ils ont droit à être publiquement déclarés tels; mais, s'ils étaient coupables, aurions-nous celui de les exempter de la réparation qu'ils pourraient devoir encore à la société? Quel parti l'Assemblée prendra-t-elle à l'égard de ceux qui sont déjà ou qui seront par la suite juridiquement convaincus de crimes? Quel guide la conduira entre une indulgence injuste et une sévérité déplacée? C'est ici que le désordre du gouvernement ancien pèse sur nous, et semble ne nous présenter que des écueils. Quelque parti que nous prenions, nous nous écarterons plus ou moins de la sévérité des principes; aussi n'est-ce qu'avec une extrême défiance de nous-mêmes que nous nous sommes déterminés à vous soumettre l'opinion à laquelle le comité s'est arrêté. Sûrs que vous n'aviez à prononcer que sur un fait particulier; sûrs qu'une pareille circonstance, dont les inconvéniens ne sauraient assurément vous être reprochés, ne pourra se reproduire dans la suite, nous avons raisonné ainsi :

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L'intention de l'Assemblée nationale n'est pas de priver la société de la réparation qui lui est due; cependant voudrait-elle envoyer à l'échafaud des misérables qui regrettent depuis vingt ans dans des cachots le supplice qu'ils avaient mérité peut-être, mais qui leur aurait été moins cruel? Elle ne dira pas à ces malheureux qu'un ministre avait sauvés par égard pour leurs familles : Après les tourmens que le despotisme vous a fait souffrir, la nation va replacer votre téte sous le glaive des lois, la liberté vous restitue à la mort. Cette idée révolterait l'humanité; vous vous contenterez donc de légitimer la commutation de peine de ceux qui étaient légalement condamnés à une peine afflictive et jugés en der

nier ressort, en leur laissant cependant la faculté qui lerr appartient de préférer la soumission au jugement qui avait été porté contre eux à la prison qui leur a été accordée comme un adoucissement, et qu'ils pourraient considérer sous un aspect différent.

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Quant à ceux qui sont simplement décrétés, nous avons pensé que vous ne pourriez leur refuser les moyens de constater leur innocence; mais les forcerez-vous à s'exposer au danger d'un jugement dont ils craindraient le résultat?

» Nous aurions bien voulu pouvoir les en dispenser; nous aurions désiré les soustraire entièrement aux atteintes des lois qui ont été insuffisantes pour les protéger; mais nous avons pensé qu'il était important à l'ordre public de faire prononcer sur l'innocence ou le crime de tous les décrétés, en même temps qu'il était juste d'user d'indulgence envers ceux qui seraient jugés coupables.

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D'après cela, nous nous sommes déterminés à vous proposer de statuer que les juges devant lesquels s'instruiront les causes des prisonniers d'état préalablement décrétés, se borneront à déclarer ou leur innocence ou le crime dont ils sont coupables; afin que, sur le compte qui lui en sera rendu, l'Assemblée nationale, de concert avec Sa Majesté, porte une loi qui réglera la peine à laquelle ils pourront être condamnés, ayant égard à la nature du délit, sans que cette peine puisse jamais excéder celle d'une détention de douze ans, en y comprenant le temps qu'ils ont déjà passé dans les prisons illégales.

» En adoptant les dispositions que nous allons lui proposer, l'Assemblée va faire disparaître les restes odieux de la tyrannie ministérielle; elle va réparer, autant qu'il est en elle, les malheurs qui en ont été la suite; encore quelques semaines, et aucun Français ne se plaindra plus qu'il existe des contradictions entre notre déclaration des droits, entre les principes de notre constitution et sa position personnelle. Nu! ne pourra plus dire : je suis libre de droit, et je languis dans les fers, et l'Assemblée nationale oublie de prononcer ma délivrance!

» Votre cómité a l'honneur de vous proposer.... (Suivait le projet de décret.)

Après la lecture de ce projet on en remit la discussion à un autre jour. Elle s'ouvrit le 27 février, mais se borna à une seconde lecture du projet. Reprise et suspendue le 13 mars, elle se termina enfin le 16, par un décret définitif qu'attendaient depuis longtemps de nombreuses victimes du despotisme et des vengeances ministérielles (1).

Les seuls mots lettres de cachet attristent l'âme et réveillent dans les esprits une juste indignation : les crimes du pouvoir arbitraire ne pouvaient trouver, parmi les partisans mêmes de l'ancien ordre de choses, des orateurs qui cherchassent à les justifier; abolir les lettres de cachet, et rendre à leurs victimes une justice aussi prompte qu'éclatante, tel était le vœu général : cet objet ne put donc offrir de discussion quant au fond... Qui aurait eu le honteux courage de s'opposer ouvertement à ce qu'on brisât les fers que portaient tant d'innocens! Il n'y eut en effet d'autre discussion que celle du décret article par article; mais on vit avec douleur que quelques membres du côté droit, en sollicitant des délais, des exceptions, saisirent encore l'occasion de donner à l'ancien régime quelques excuses, quelques regrets; et pour nous, qui voyons les choses et jamais les hommes, nous devons à la vérité de dire que ce fut

(1) Dans l'ancien régime on comptait à Paris trente-cinq Bastilles, ou prisons d'état, ignorées des magistrats et du monde entier ; elles contenaient plus de prisonniers (non jugés) que n'en renfermaient alors les prisous du Châtelet et de la Conciergerie ensemble. Un honorable membre de l'Assemblée nationale, M. Fréteau, cita un fait, appuyé de preuves authentiques, qui déposera éternellement contre ces temps de des-, potisme qu'on ne peut regretter sans folie ou sans cruauté. Un homme avait été renfermé tout nu dans un donjon, près de la barrière du Trône ; il y gémissait depuis trois ans ; on n'apprit sa détention que par une lettre qu'il jeta avec une pierre dans un jardin du voisinage. Le parlement s'intéressa à son sort; le ministère refusa justice; on eut recours au roi, qui ignorait ces criminelles détentions, et, en 1783, Louis XVI fit rendre à la liberté cet infortuné prisonnier, à qui il accorda en outre une pension de 400 livres.

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