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ferait... Mais quand je considère votre luxe, votre corruption, vos arts, vos grandes villes, votre éloignement des mœurs antiques et patriarchales, et, plus que tout, vos vingt-quatre millions d'hommes; quand je considère que la liberté peut avoir autant d'énergie dans une monarchie que dans une république, lorsqu'elle est ménagée par une sage constitution; quand je considère enfin que ni vous, ni moi, ne sommes plus les maîtres du parti que nous avons à prendre, puisque nous avons fait un serment, puisque nous avons fait le serment solennel de maintenir de tout notre pouvoir une constitution dont un des articles porte expressément qué le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du monarque; dès lors il n'est plus possible de délibérer; il faut absolument que nous ayons une monarchie, ou que tout ce qui existe encore de bons Français aille mourir avec moi sous ses ruines (1).

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M. Desmeuniers réfute M. le comte de Montlausier : ce dernier s'échauffe, et veut que l'orateur soit rappelé à l'ordre, surtout au moment où M. Desmeuniers propose de substituer au mot sanctionnés, dans un article de la loi, ceux-ci : acceptés ou approuvés par le roi; mais les cris à l'ordre de M. de Montlausier sont étouffés sous les applaudissemens donnés à M. Desmeuniers. La délibération continue, et les amendemens se succèdent. M. de Mirabeau paraît à la tribune.

M. le comte de Mirabeau. (Séance du 23.)

« Messieurs, tous les amendemens proposés me paraissent tenir à une confusion d'idées que j'ai combattue hier. Et

(1) M. de Montlausier fit imprimer, puis réimprimer son discours en l'augmentant des deux tiers au moins. Voici le début de cette seconde partie :

De toute part on me demande si c'est moi qui ai fait imprimer » telle qu'elle est, mon opinion sur la régénération du pouvoir exé› cutif : oui, c'est moi. Vous avez trouvé ces vérités dures; il faudra › bien que vous en entendiez encore : oui, je veux la dire la vérité, je veux la dire tout entière, je veux la dire tout mon saoul !........ »

d'abord je demande si le pouvoir exécutif a besoin des moyens qui ne sont pas en ce moment en sa puissance; je demande comment il en a usé jusqu'à présent; je demande si l'Assemblée aurait désavoué des proclamations utiles à la tranquillité publique; je demande davantage, je demande si les municipalités sont inutiles dans l'organisation sociale : ceux qui ont avancé toutes les assertions qui tendraient à le faire penser croient-ils donc que nous sommes au temps des Thésée et des Hercule, où un seul homme domptait les nations et les monstres? Avons-nous pu croire que le roi tout seul ferait mouvoir le pouvoir exécutif? Nous aurions fait le sublime du despotisme. Eh! que sont les municipalités? Des agens du pouvoir exécutif. Lorsque nous déterminons leurs fonctions ne travaillons-nous pas pour le pouvoir exécutif? A-t-on dit qu'il n'était pas temps d'organiser le pouvoir exécutif? Non; nul de nous n'a dit cette absurdité : j'ai dit que le pouvoir exécutif est le dernier résultat de l'organisation sociale; j'ai dit

que nous ne faisons rien pour la constitution qui ne soit pour le pouvoir exécutif. Voici le dilemme que je propose : ou l'on dira que nous travaillons contre le pouvoir éxécutif, et dans ce cas qu'on nous indique un décret qui le prouve; l'Assemblée sera reconnaissante, et réformera ce décret : ou l'on nous demandera d'achever sur le champ le pouvoir exécutif, et dans ce second cas qu'on nous indique un décret qui puisse être rendu notamment à cet égard. Vous avez tous entendu parler de ces sauvages qui, confondant dans leurs têtes les idées théologiques, disent, quand une montre ne va pas, qu'elle est morte; quand elle va, qu'elle a une âme; et cependant elle n'est pas morte, et cependant elle n'a point d'âme. Le résultat de l'organisation sociale, le pouvoir exécutif, ne peut être complet que quand la constitution sera achevée; tous les rouages doivent être disposés, toutes les pièces doivent s'engréner pour que la machine puisse être mise en mouvement. Le roi a professé lui-même cette théorie; il a dit : En achevant votre ouvrage vous vous occuperez sans doute avec candeur, non pas de la création du pouvoir exécutif, il aurait dit une absurdité, mais de l'affermissement du pouvoir exécutif.... Que ce mot, pouvoir exécutif, qui doit être

le symbole de la paix sociale, ne soit plus le cri de ralliement des mécontens; que ce mot ne soit plus la base de toutes les défiances, de tous les reproches. Nous ne ferons rien de bon dans l'ordre social qui ne tourne au profit du pouvoir exécutif : vouloir que la chose soit faite avant que de l'être, c'est vouloir que la montre aille avant que d'être montée. Cette idée ne fait pas beaucoup d'honneur à la justesse de l'esprit de ceux qui l'ont conçue, si elle en fait à leurs intentions.

» Des observations sur la responsabilité des ministres appartiennent à cette matière comme à toutes les matières environnantes. Les ministres, avec un peu de candeur (si la candeur pouvait exister dans le cœur des ministres ), n'auraient pas fait un obstacle de cette loi salutaire. Nous hésitons, nous marchons à pas lents depuis quelques semaines, parce que ce dogme terrible de la responsabilité effraie les ministres. Je ne dirai pas les raisons de cet effroi, quoique, si j'étais malin, j'eusse quelque plaisir à les développer; j'en dirais une, selon moi la principale, qui est fondée, qu'ils me pardonnent cette expression, sur leur ignorance : ils n'ont pas encore pu se figurer que nous n'avons pu ni voulu parler de la responsabilité du succès, mais de l'emploi des moyens. Tout homme qui se respecte ne peut pas dire qu'il voudrait se soustraire à cette responsabilité. Dans tous les tiraillemens entre l'autorité nationale et l'administration il est entré de cette craintè de la responsabilité du succès.

>> Je conclus à rejeter les amendemens qui portent sur cette idée, que le pouvoir exécutif n'a pas en ce moment tous les moyens qu'en ce moment on ne peut pas lui donner. Quand votre constitution sera faite, le pouvoir exécutif, par cela même, sera fait; tous les amendemens qui tendraient à donner des moyens excentriques, des moyens hors de la constitution, doivent être absolument écartés. »

Le décret (1) fut enfin rendu le 25 février, et l'on sait

(1) Voici les principales dispositions de ce décret :

Art. 3. Les officiers municipaux emploieront tous les moyens que la confiance publique met à leur disposition pour la protection efficace des propriétés publiques, particulières, et des personnes, et pour pré

qu'il n'eut point pour base les principes de MM. de Cazalės et de Montlausier.

Afin de ne plus laisser d'incertitude au peuple sur les droits qu'il avait recouvrés, M. de la Fayette avait, dans plusieurs motions, demandé avec instance qu'on s'occupât de la loi particulière sur les effets de la destruction du régime féodal : dès le lendemain l'Assemblée entama cette discussion, d'après les savans rapports de M. Merlin, que nous nous dispenserons de rapporter, étant aujourd'hui sans objet; et c'est de ce jour, 24 février 1790, que l'abolition de toutes distinctions honorifiques fut définitivement proclamée.

ABOLITION DES LETTRES DE CACHET.

Un décret du 2 janvier 1790, adopté sur la proposition de M. de Castellane, membre du comité des lettres de cachet, avait ordonné à tous gouverneurs, commandans de prisons d'Etat, et supérieurs de maisons religieuses, de soumettre à l'Assemblée l'état certifié véritable de tous les individus confiés à leur garde, soit par lettres de cachet ou par ordre quelconque des agens du pouvoir exécutif, avec les noms, l'âge des prisonniers, et les causes avouées de leur détention. Par le même décret l'Assemblée avait chargé ses commissaires de lui proposer le plus tôt possible les moyens de vider promptement toutes les prisons illégales et de faire cesser toutes les détentions arbitraires,

venir et dissiper tous les obstacles qui seraient apportés à la perception des impôts; si la sûreté des personnes, des propriétés, et la perception des impôts étaient mise en danger par des attroupemens séditieux, ils feront publier la loi martiale.

Art. 4. Toutes les municipalités se prêteront mutuellement mainforte, à leur réquisition respective; quand elles s'y refuseront elles seront responsables des suites du refus.

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Art. 5. Lorsqu'il aura été causé quelque dommage par un attroupement la commune en répondra, si elle a été requise et si elle a pu l'empêcher, sauf le recours contre les auteurs de l'attroupement; et la responsabilité sera jugée par les tribunaux des lieux, sur la réquisition du directoire de district. »

en prenant cependant les précautions que réclamait la sûreté publique. Conformément à ces vues, M. de Castellane, au nom du comité des lettres de cachet, avait fait à l'Assemblée le rapport ci-après, suivi d'un projet de décret, dans la séance du 20 février suivant.

Rapport par M. de Castellane.

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<< Messieurs, c'est avec une grande répugnance que nous nous sommes vus forcés de retarder si longtemps à vous proposer de rendre la liberté aux victimes du pouvoir arbitraire. qui gémissent encore dans les fers; mais telles étaient les funestes conséquences du despotisme ministériel, qu'une partie des maux qu'il avait produits devait se faire sentir dans les miers jours de la liberté. Les innocens et les coupables, ceux qui ont conservé l'usage de la raison et ceux qui l'ont perdu, se trouvant confondus ensemble dans les lieux de douleur que vous allez détruire, la sûreté que vous devez à la nation entière vous a fait une loi d'apporter quelques précautions à l'entière suppression des prisons illégales. Vous avez remarqué que parmi ceux qu'elles renfermaient quelques-uns étaient déjà condamnés; que d'autres étaient prévenus de crimes, et vous avez reconnu l'impuissance où vous étiez de vous livrer à l'instant même aux sentimens d'humanité qui vous pressaient de ne point retarder un jour à faire jouir ceux qui avaient le plus souffert de l'ancien ordre de choses de tous les droits dont la constitution nouvelle doit leur assurer l'exercice.

» Guidé par les mêmes motifs, votre comité a pensé qu'il fallait diviser en quatre classes les prisonniers illégalement détenus.

» Il a placé dans la première ceux qui, n'étant juridiquement accusés d'aucun crime, doivent être rendus à la société; dans la seconde ceux qui ont perdu l'usage de la raison; la troisième est composée des individus condamnés en dernier ressort, et enfermés par commutation de peine; la quatrième enfin comprend ceux qui sont décrétés.

» La justice rigoureuse semblerait exiger que ceux qui composent la première classe fussent incontinent remis en liberté; cependant, messieurs, leur propre intérêt et celui

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