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liser ce projet, et d'examiner ses défauts de détail; je considère cette loi sous un seul point de vue. Est-elle propre à ramener la tranquillité publique, ou bien a-t-elle une tendance directement opposée au but que ses rédacteurs se sont proposé? Dans ma manière de voir elle est propre à faire naître l'anarchie, et voici comment je raisonne. Le comité accorde aux officiers de justice, comme aux officiers municipaux, le droit de requérir le secours des troupes : rien ne me semble plus vicieux, car si la liberté publique exige que les pouvoirs ne soient pas concentrés dans une même main, la même liberté exige que des puissances homogènes ne soient point réparties dans des mains différentes. Vous reconnaissez ce principe, et la loi proposée s'en écarte essentiellement. Eh! n'est-ce pas s'en écarter en effet que de remettre entre les mains des officiers de justice le pouvoir de requérir la force armée? L'officier de justice ne peut recourir à la force armée que pour protéger l'exécution de ses jugemens dans les cas de troubles il n'a pas jugé, et là où s'arrêtent les fonctions du juge, là aussi s'arrête le droit que lui accorde la loi de requérir le secours des troupes; s'il va plus loin, il empiète sur le pouvoir municipal. La nouvelle constitution vient d'établir de nouvelles municipalités, et comme on doit présumer que les nouveaux officiers municipaux seront attachés aux nouveaux principes, on peut craindre que les officiers de justice qui ne sont pas établis dans le nouvel ordre sont encore attachés à l'ancien état. Accorder aux uns et aux autres la disposition du même pouvoir, c'est mettre la même forceentre les mains de deux puissances rivales. Vous concevez aisément les dangers qui peuvent résulter de cette rivalité. Je conclus de ces observations que les officiers de justice ne peuvent pas, dans les cas de troubles, avoir le droit de requérir la force armée.

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» Je passe à un second objet. Selon votre comité, dans le cas où les officiers municipaux refuseraient de requérir la force armée, quatre notables peuvent faire cette réquisition. Mais a-t-on bien réfléchi aux conséquences de cet article? Dans les momens d'attroupemens ou de troubles le conseil municipal s'assemblera; il sera composé des officiers munici

paux et des notables; s'il résulte de la délibération qu'il ne faut pas requérir la force armée, et que quatre notables, demandant cette réquisition, soient autorisés à la faire euxmêmes, assurément c'est accorder à la minorité l'empire sur la majorité : les dangers de cet empire sont faciles à concevoir. Si au contraire les notables se soumettent à la délibération du conseil municipal, votre comité autorise, à leur défaut, huit citoyens éligibles à requérir la force armée. Il suffit de réfléchir un instant à cette proposition pour la rejeter immédiatement. Une assemblée peut être nombreuse sans être criminelle; huit citoyens peuvent, par des intérêts particuliers, désapprouver les motifs de cette assemblée, et de là deux inconvéniens. Si la force armée requise par les huit citoyens éligibles obéit à cette réquisition, pensez-vous que l'attroupement soit disposé à se dissiper? Si, aux termes du projet de loi, les officiers municipaux ordonnent aux troupes de se retirer et que les troupes n'obéissent pas, l'autorité municipale est compromise, et ce refus fait couler des torrens de

sang.

»ll est donc évident que la loi qui vous est proposée pour assurer la paix peut occasionner le désordre; il est donc évident qu'elle affaiblit les moyens confiés à la municipalité au lieu de les fortifier. Le comité ne s'est point attaché, comme il l'aurait dù, à la responsabilité des officiers municipaux. Il prononce deux peines vagues et insuffisantes : les officiers municipaux qui n'arrêteront pas les troubles par les moyens qui leur sont confiés en seront quittes pour la perte de leur emploi et l'interdiction de toute fonction d'administration publique.

» Il est un seul cas où les notables et les citoyens peuvent requérir la force publique; c'est celui où les officiers municipaux seraient environnés dans l'Hôtel-de-Ville et privés de leur liberté; alors les officiers municipaux se trouvent dans l'impossibilité physique d'user des moyens qui sont à leur disposition, et cette impossibilité ne peut donner lieu à aucune, peine.

» Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin; ces seules observations me semblent prouver assez combien

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est insuffisante et dangereuse la loi proposée, et je conclus à ce que votre comité soit invité à s'occuper de nouveau de cet objet. »

M. Chapellier prit la parole après M. Barnave, non pour défendre le projet attaqué, mais pour en lire un autre, qu'il avait également fait approuver par le comité de constitution, dont il était membre. Ce second projet, ayant obtenu la priorité, devint aussitôt l'objet de la dis

cussion.

M. de la Fayette.

« Les troubles excités dans les provinces ont alarmé votre patriotisme, votre justice, votre humanité. Je comptais parler sur le projet de loi qui vous a été proposé; mais le comité de constitution en présente un autre; plusieurs modifications ont été proposées; je me contenterai de dire que la révolution étant faite, il ne s'agit plus que d'établir la constitution. Pour la révolution il a fallu des désordres, car l'ordre ancien n'était que servitude, et dans ce cas l'insurrection est le plus saint des devoirs; mais pour la constitution il faut que l'ordre nouveau s'affermisse, que le calme renaisse, que les lois soient respectées, que les personnes soient en sûreté; il faut faire aimer la constitution nouvelle, il faut que la puissance publique prenne de la force et de l'énergie.

» J'attends la discussion de lundi, en espérant qu'elle sera la dernière, car le mal est pressant; et je crois que tous les membres qui ont fait des projets doivent les publier, ou les faire connaître au comité de constitution.

» Je ferai observer en outre que l'une des dispositions les plus propres à ramener le calme est un prompt rapport de la décision du comité féodal, notamment sur les articles qui annullent toute transaction formée. »

M. de Cazalès (1).

« Il faut protéger, assurer les propriétés et la vie des citoyens si la société négligeait ou était impuissante à rem

:

(1) Une impatiente inquiétude s'empara des esprits aussitôt que

plir ce devoir sacré, les hommes se trouveraient bientôt ramenés à leur état primitif'; il n'y aurait plus de patrie.

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Depuis six mois un grand nombre de citoyens a été attaqué; les propriétés ont été violées; elles le sont aujourd'hui; elles le seront peut-être encore. Pensez-vous que les propriétaires puissent le supporter plus longtemps? Non, sans doute; ils s'armeront pour leur défense, et de là la guerre la plus destructive de toutes les sociétés civiles, la guerre de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. Sans doute il est instant de parer à tous ces maux, et le projet de loi qui vient de vous être présenté par votre comité est peut-être propre à défendre les villes; mais il est sans force pour la sûreté des campagnes; en général même je ne pense pas que l'effet qu'il peut avoir soit assez prompt pour le moment dans lequel nous nous trouvons.

>> Profitons des exemples de nos voisins; voyons si la constitution anglaise ne nous offre pas des remèdes plus sûrs contreles insurrections et les émeutes; voyons quelle est la conduite de cette nation qui a le plus opposé de barrières au despotisme du trône, de cette nation qui a le mieux assuré la tranquillité civile.

» En Angleterre on a établi contre les séditieux le bill de mutinerie, qui, à très peu de chose près, est notre loi martiale. Mais quand les provinces sont ravagées, quand l'insurrection est générale, le corps législatif emploie de plus grands moyens; alors il a recours au pouvoir exécutif, il lui donne, par un acte parlementaire et pour un temps limité, le

M. de Cazalès parut à la tribune. En voici le motif: Trois jours auparavant, dans la séance du 17, M. de Cazalès avait encouru le mécontentement et la désapprobation de l'Assemblée en demandant le renouvellement de la législature; il prétendait que les membres actuels, aigris l'un contre l'autre, ne pouvaient plus délibérer avec sagesse, avec calme; que d'ailleurs l'Assemblée avait outrepassé ses pouvoirs, etc. Cette motion, faite dans le tumulte, et regardée comme un outrage, provoqua une scène d'exaltation et porta un grand nombre de députés à renouveler le serment de ne se séparer qu'après avoir donné une constitution à la France.

droit d'employer tous les moyens qui lui paraîtront convenables pour ramener le calme et la paix, et dans ce cas les ministres ne sont responsables que de l'exécution des ordres du roi.

» Tel est le moyen que je veux proposer en France. Je sais bien qu'on me dira que c'est s'exposer au risque de donner trop de force au pouvoir exécutif : je ne répondrai à cette objection qu'en interrogeant la bonne foi de l'Assemblée; je demanderai si elle ne croit pas que la bonté du roi, que l'opinion générale, que les forces citoyennes ne puissent et ne doivent faire évanouir ces alarmes, surtout lorsqu'on voudra bien observer que ce pouvoir ne sera accordé au roi que pour un temps limité, pour un temps court. Non, messieurs, la constitution n'a plus rien à craindre que de nous-mêmes; il n'y a que l'exagération des principes, il n'y a que la ligue de la folie et de la mauvaise foi qui puisse y porter quelque atteinte. Hâtons-nous d'affermir le grand œuvre de la liberté! Que les ennemis de la constitution, qui, n'en doutez pas, sont les instigateurs des désordres, soient forcés à perdre l'espérance de détruire notre ouvrage!

» Je me résume, et j'ai l'honneur de vous proposer de charger le roi de prendre les mesures qu'il croira les plus propres à assurer la tranquillité publique. Je vous propose enfin d'investir le roi, pour trois mois seulement, de toute la plénitude de la puissance exécutive.

» Le reste de la loi qui vous a été proposée par votre comité me paraît parfaitement bon; mais je répète que la loi dans son ensemble ne suffit point pour les circonstances malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons. »

M. le comte de Mirabeau.

« Je ferai observer à M. de Cazalès qu'il est hors de la question; car en effet il discute celle de savoir si l'on accordera ou si l'on n'accordera point au roi la dictature, si la France a besoin ou n'a pas besoin de dictature.

» Si l'Assemblée consent à ce que cette question soit à l'ordre du jour, je demanderai la parole. »

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