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encore ! N'est-il pas extraordinaire que cette dette, qui est placée sous la garantie de la loyauté nationale, ne soit pas encore connue! Si vous la laissez dans cette indétermination, messieurs, on peut la faire croître d'une manière indéfinie, et la nation aura beau être loyale, elle ne sera jamais assez riche pour la payer. Occupons-nous donc à connaître, à fixer la dette; occupons-nous surtout du soulagement du peuple; que les impôts portent sur le superflu, et non pas sur le nécessaire; qu'ils soient payés par ce luxe si funeste aux bonnes mœurs, et d'un si dangereux exemple pour le peuple qu'il dévore.

» Il est temps enfin que ce peuple soit pour quelque chose dans nos décrets. Le peuple de Paris est surtout bien digne de pitié: il ne vit que de ses capitaux ou de son commerce ses capitaux sont sans produit, puisque les rentes sur l'hôtel-de-ville sont suspendues; son commerce est nul, puisque les gens riches ou s'éloignent de Paris ou resserrent leurs richesses.

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>> Sans doute les classes privilégiées ont déjà fait de grands sacrifices; ce n'est pas assez pour le peuple. Je demande qu'on abolisse dès ce moment tous les droits qui se perçoivent aux barrières sur les consommations communes. Je ne propose pas de faire ce qui est arrivé si souvent, c'est à dire de détruire sans remplacer.... (Murmures.) Je propose au contraire de remplacer sur le champ la perception abolie par un impôt sur le luxe, »

(Plusieurs voix interrompent l'orateur pour le rappeler à la question; il reprend :)

Je ne crois pas que ces réflexions soient étrangères à la question. Personne sans doute ne prendra la défense du luxe; il doit enfin devenir utile au patriotisme, après n'avoir servi qu'à la dépravation des mœurs.

» Je demande 1° qu'il soit établi un comité pour rechercher et pour faire connaître toute la dette de la nation, sous quelque dénomination qu'elle soit désignée ou déguisée; 2o que les impositions sur les commestibles communs à l'entrée des villes, ainsi que le droit des aides dans tout le royaume, soient

supprimés; 3° que le système d'impositions à établir soit tel que les impôts portent surtout sur les objets et sur les jouissances du luxe.»

M. l'abbé Maury parlait encore, et déjà plusieurs membres témoignaient l'impatient désir de lui répondre; M. l'abbé de la Salcette parvint le premier à faire entendre la proposition qui suit :

«

Puisque M. l'abbé Maury a tant de haine pour le luxe, je consens à le proscrire avec lui.... Aucun luxe sans doute ne peut être aussi scandaleux que le luxe des ecclésiastiques; aucun n'insulte autant à la misère publique. Pour entrer dans toutes les vues de M. l'abbé Maury (1) je fais donc la motion que nul ecclésiastique ne puisse avoir désormais plus de mille écus de revenu, et que le surplus des revenus de chaque domaine ecclésiastique soit versé dans le trésor national, au soulagement des impositions du peuple. »

Des applaudissemens presque unanimes couvrirent les dernières paroles de M. l'abbé de la Salcette; sa proposition avait fait éclater une joie semblable à celle qui anima l'Assemblée dans la fameuse nuit du 4 août 1789, et peu s'en' fallut que cette motion ne fût sur le champ tranformée en un décret qui eût dès lors condamné le clergé à ne pouvoir plus se faire respecter que par ses vertus. Ce fut M. Regnault de Saint-Jean-d'Angely qui arrêta l'impétuosité de ce mouvement en faisant observer le danger de l'enthousiasme dans une délibération dont l'influence pouvait avoir la plus grande étendue. L'Assemblée ajourna la motion de M. de la Salcette; celle de M. l'abbé Maury, restée l'objet de la discussion, fut alors combattue par un grand nombre d'orateurs, qui tour à tour employèrent la force du raisonnement ou le trait non moins puissant d'une piquante ironie.

(1) Rappelons ici une circonstance qui dans cette discussion jetait une sorte de défaveur sur les vues philantropiques de M. l'abbé Maury, en même temps qu'elle justifiait la motion de M. de la Salcette. Deux jours auparavant, dans la séance du 16, à l'occasion d'un délai demandé et obtenu pour la déclaration des biens ecclésiastiques, M. l'abbé Maury avait fait à l'Assemblée l'aveu qu'il possédait huit cents fermes.

M. Blin s'attacha à réunir en peu de mots les plus solides argumens élevés contre l'impôt sur le luxe, et M. le comte Charles de Lameth parut s'être chargé plus particulièrement de diriger les traits de l'épigramme, dont M. l'abbé Maury chercha en vain à déguiser les blessures, soit en riant, soit en battant des mains avec les autres députés. (1)

M. Blin.

« M. l'abbé Maury vous propose, messieurs, de décréter sur le champ la suppression d'un impôt considérable; il veut soulager le peuple, et, par une contradiction bien étrange, il vous engage à créer des octrois dans les villes; il veut qu'on taxe le luxe, et le salut du peuple est l'objet de ce désir! II n'a donc pas vu qu'il réduit ainsi deux cent mille hommes à n'avoir pas de pain! Cet impôt sur le luxe, qui ne lui paraît attaquer que les riches, frappe surtout le peuple dans tous ses moyens de travail, d'industrie et de subsistance; malgré son apparence de moralité, aucun impôt n'est plus immoral, puisqu'aucun ne viole autant la liberté, la propriété, et tous les rapports qui lient le pauvre au riche pour le bonheur de

tous deux.

» Il est aisé de prouver que cet impôt miséricordieux du luxe mettrait sans pain le quart du royaume. Je vais présenter un seul exemple à l'appui de mon opinion. Une livre de lin vaut quinze ou vingt sols: sous des mains industrieuses elle devient coupon de dentelle, et sa valeur est de 800 livres; ce changement a fait vivre vingt-cinq ouvriers pendant six mois. >>

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M. le comte Charles de Lameth.

« J'ai entendu avec le plus vif intérêt, mais sans surprise, la motion philantropique de M. l'abbé Maury....

(M. l'abbé Maury se lève pour interrompre l'orateur, qui n'en continue pas moins son discours :)

(1) C'était une habitude de M. l'abbé Maury. Le 22 du même mois de janvier, au moment où l'on prononçait contre lui un décret de censure, motivé sur une de ces apostrophes injurieuses qu'il adressait fréquemment à l'Assemblée, M. l'abbé Maury rendit les applaudissemens una→ nimes en battant des mains avec tout le monde.

» Embarrassé du nombre des motions et des orateurs, je ne puis désigner celui dont il s'agit que par son nom.

» Il faut bien que je lui rappelle, avec Montesquieu, que la vertu même a besoin de limites; qu'en voulant attaquer le luxe qui corrompt les mœurs, on ne peut oublier que nous ne cherchons point à constituer une nation nouvelle, mais à régénérer une nation dont le luxe fait la richesse, et pour laquelle le luxe est un besoin; une nation qui, comme les rois, est condamnée à la magnificence.

» Je ferai observer en passant qu'il est plus aisé d'égarer le peuple que de le secourir; que l'honneur de la popularité ne s'acquiert ni dans une ni dans deux séances : je ferai observer que le préopinant se trompe souvent sur l'esprit des décrets de l'Assemblée, et je rappellerai en peu de mots une erreur de cette nature, dont la circonstance actuelle renouvelle le souvenir. Un jour M. l'abbé Maury a réclamé avec force en faveur des domestiques; il a dit qu'on les séparait des autres citoyens: il n'a pas voulu voir que l'Assemblée, en les privant d'être électeurs ou éligibles, a craint seulement l'influence dangereuse de celui qui commande sur ceux qui doivent obéir, et qu'elle a redouté ce que pourrait faire dans les élections un homme qui aurait vingt domestiques... Dans un moment où le peuple a besoin de repos ne faut point chercher à l'agiter.

il

» Renoncer à la faculté de secourir le peuple c'est enlever un plaisir au cœur bienfaisant de M. l'abbé Maury. Ne pouvant donc faire croire sans danger au peuple que nous pou vons, si nous le voulons, le soulager des impôts qui l'obsèdent, cherchons un autre moyen. La motion de M. de la Salcette ne peut pas nous l'offrir, car elle produirait un changement trop fort pour des prélats qui ont un million, 800,000 livres, 500,000 livres de rentes; nous voulons, s'il est possible, faire le bonheur de tous, en ne faisant le malheur de personne. On peut offrir à M. l'abbé Maury, et à tous les ecclésiastiques dont il est l'organe, une facilité pour remplir leurs vues bienfaisantes : que le clergé, au lieu de payer pour sa contribution patriotique le quart de son revenu, en donne la moitié; ce second quart sera versé dans la caisse des dépar

temens, et employé directement à secourir les indigens. Mais il est impossible de supprimer les impôts sans les remplacer, et l'on a prouvé que le remplacement proposé par M. l'abbé Maury était plus nuisible au peuple que les impôts

mêmes. >>

M. l'abbé Maury, convaincu en secret sans doute, ne voulut point cependant laisser trop d'avantage à ses adversaires (il désignait ainsi les orateurs qui combattaient ses opinions); il retira sa motion, mais en déclarant qu'on l'avait mal compris, qu'il n'avait pas précisément proposé un impôt sur le luxe... Un murmure qui s'éleva fit connaître que ses adversaires avaient plus de mémoire que lui. Du reste l'Assemblée adopta la motion de M. le marquis de Lancosme, en créant un comité des impositions, dont nous ferons plus tard connaître les principaux travaux.

ÉMISSION DES ASSIGNATS-MONNAIE.

Rapport fait au nom du comité des Finances par M. Anson. (Séance du 9 avril 1790.)

« Messieurs, par votre décret du 26 février dernier vous avez demandé au premier ministre des finances l'état des besoins de l'année présente et des moyens d'y pourvoir.

» Le premier ministre des finances s'est conformé à ce décret; il vous a adressé un mémoire très-détaillé qui vous a été lu le 6 du mois dernier; il présente le tableau de la situation des revenus en 1790, et des ressources que le ministre vous propose pour suppléer à leur déficit. Votre comité des finances, chargé de l'examen de ce mémoire, vous en a rendu compte le 12, et, après vous avoir exposé ses vucs, un peu différentes de celles du premier ministre des finances, il vous a soumis un projet de décret.

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Quelques articles de ce projet avaient rapport aux assignats sur les biens domaniaux et ecclésiastiques, ainsi qu'à la vente de ces biens. Votre décret postérieur du 17 ayant décidé que celte vente serait faite aux municipalités du royaume, et celle de Paris ayant présenté un plan qui avait paru mériter votre attention, il était naturel de l'examiner avant de

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