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une députation du district Saint-Honoré se rendit chez les parens des condamnés pour leur porter, au nom de leurs concitoyens, les assurances les plus touchantes d'intérêt, d'union, de secours, enfin de tous les sentimens que mérite la vertu outragée par les préventions. Le 25 la même députation rendit compte à l'Assemblée de cette honorable démarche, et M. Target, président, lui fit la réponse suivante :

« Messieurs, il n'appartient qu'à des actions aussi nobles que la vôtre d'ajouter au zèle dont l'Assemblée nationale est animée pour les progrès de la vertu, du véritable honneur et des mœurs patriotiques. J'oserai dire en son nom que vous avez déployé plus de puissance qu'elle-même : elle a fait la loi; l'instant d'après vous donnez l'exemple, et tout le monde sait combien, dans les matières qui tiennent à l'opinion, les exemples sont au-dessus des lois. >>

ORGANISATION DU POUVOIR JUDICIAIRE.

Discours de M. Thouret en ouvrant la discussion sur la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire. (24 Mars 1790.)

Le 17 août 1789 le comité de constitution, par l'organe de M. Bergasse, avait soumis à l'Assemblée un premier projet d'organisation du pouvoir judiciaire; le 22 décembre suivant M. Thouret, au nom du même comité, proposa un second projet; l'Assemblée nationale, par son décret du 3 novembre 1789, avait en outre ordonné que les parlemens resteraient en vacances jusqu'à l'époque où elle s'occuperait de la nouvelle organisation judiciaire. (Voyez notre premier volume, pages 369 et suivantes.) Cette grande et importante discussion, qui dès le premier jour décida de tous les tribunaux alors existans en France, s'ouvrit le 24 mars 1790, par le discours ci-après de M. Thouret :

«

Messieurs, la matière dont vous venez d'ouvrir la discussion offre un grand intérêt à vos délibérations : le pouvoir judiciaire est celui des pouvoirs publics dont l'exercice habituel aura le plus d'influence sur le bonheur des particuliers, sur le progrès de l'esprit public, sur le maintien de l'ordre

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politique et sur la stabilité de la constitution. Après ce que vous avez fait votre devoir est devenu plus impérieux sur ce qui vous reste à faire : c'est lorsqu'on est parvenu au milieu d'une longue et difficile carrière que le courage et la vigilance doivent se ranimer pour atteindre le but.

» Le vœu de la France s'est fait entendre : la réforme de la justice et des tribunaux est un de ses premiers besoins, et la confiance publique dans le succès de la régénération va s'accroître ou s'affaiblir, selon que le pouvoir judiciaire sera bien ou mal organisé.

» Cette matière, qui au premier coup d'œil présente un champ si vaste, se réduit cependant par l'analise à quelques points principaux dont la décision abrégerait beaucoup le

travail.

» Le comité vous a proposé, par le premier titre de son projet, de décréter les maximes constitutionnelles par lesquelles le pouvoir judiciaire doit être défini, organisé et exercé : le motif qui l'y a porté est le même qui vous a déterminés à placer à la tête de la constitution le titre DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN. L'exercice du pouvoir judiciaire a été si étrangement dénaturé en France, qu'il est devenu nécessaire non seulement d'en rechercher les vrais principes, mais de les tenir sans cesse présens à tous les esprits, et de préserver à l'avenir les juges, les administrateurs et la nation elle-même des fausses opinions dont elle a été victime jusqu'ici. En décrétant d'abord les maximes constitutionnelles vous remplirez ce grand objet d'utilité publique, et vous acquerrez pour vous-mêmes un moyen sûr de reconnaître, dans la suite de la discussion, les propositions que vous devez admettre ou que vous pourrez examiner, de celles qui ne mériteraient pas même

Votre examen.

» Le plus bizarre et le plus malfaisant de tous les abus qui ont corrompu l'exercice du pouvoir judiciaire était que des corps et de simples particuliers possédassent patrimonialement, comme on le disait, le droit de faire rendre la justice en leur nom; que d'autres particuliers pussent acquérir à titre d'HέRÉDITÉ OU D'ACHAT le droit de juger leurs concitoyens, et que les justiciables fussent obligés de payer les juges pour obtenir

un acte de justice. Le comité vous propose, par les cinq premiers articles du titre 1er de son projet, de consacrer comme maximes inaltérables que la justice ne peut être rendue qu'au nom da roi; que les juges doivent être élus par les justiciables et institués par le roi; qu'aucun office de judicature ne pourra être vénal, et que la justice sera rendue gratuitement.

» Le second abus qui a dénaturé le pouvoir judiciaire en France, était la confusion établie dans les mains de ses dépositaires des fonctions qui lui sont propres avec les fonctions incompatibles et incommunicables des autres pouvoirs publics : émule de la puissance législative, il révisait, modifiait ou rejctait les lois; rival du pouvoir administratif, il en troublait les opérations, en arrêtait le mouvement, et eu inquiétait les agens. >> N'examinons pas quelles furent à la naissance de ce désordre politique les circonstances qui en firent tolérer l'introduction, ni s'il fut sage de ne donner aux droits de la nation d'autre sauvegarde contre l'autorité arbitraire du gouvernement que l'autorité aristocratique des corporations judiciaires, dont l'intérêt devait être alternativement tantôt de s'élever au nom du peuple au-dessus du gouvernement, et tantôt de s'unir au gouvernement contre la liberté du peuple; ne cherchons pas encore à vérifier, par la balance des biens et des maux publics que cette fausse spéculation a produits, si la violation des vrais principes a été rachetée par une suffisante compensation d'avantages réels: disons qu'un tel désordre est intolérable dans une bonne constitution, et que la nôtre fait disparaître pour l'avenir les motifs qui ont pu le faire supporter précédemment ; disons qu'une nation qui exerce la puissance législative par un corps permanent de représentans ne peut pas laisser aux tribunaux exécuteurs de ses lois, et soumis à leur autorité, la faculté de réviser ces lois; disons enfin que, quand cette nation élit ses administrateurs, les ministres de la justice distributive ne doivent point se mêler de l'administration dont le soin ne leur est pas confié. Le comité a consigné ces principes dans les art. 6, 7, 8 el 9 du titre 1er de son projet : ils établissent l'entière subordination des cours de justice à la puissance législative, et séparent très-explicitement le pouvoir judiciaire du pouvoir d'administrer.

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