Page images
PDF
EPUB

LIVRE III.

DU POUVOIR JUDICIAIRE.

LÉGISLATION CIVILE ET CRIMINELLE.

DES DÉLITS QUI PEUVENT SE COMMETTRE PAR LA VOIE DE L'IMPRESSION.

Discours de M. l'abbé Syeyes.

-

Projet de loi.

La liberté de la presse était garantie par la déclaration des droits; elle ne pouvait donc être contestée, ni devenir, quant au fond, l'objet d'une discussion constitutionnelle; aussi ne reconnaissait-on généralement que le besoin d'une loi qui en réprimât les abus. Toutefois l'Assemblée nationale, qui ne mit pas en doute un seul instant le respect dú au droit naturel qu'a tout homme de publier ses pensées, n'accueillait qu'avec une sage défiance les plaintes qui lui dénonçaient les excès de cette liberté, les motions qui tendaient à en restreindre la jouissance : une mesure prise contre les écrits coupables pouvait, dirigée par des mains perfides, être étendue aux écrits patriotiques. Ce religieux attachement aux principes se manifesta surtout dans la séance du 12 janvier 1790. De nombreux libelles attentatoires à la dignité des représentans de la nation venaient d'être signalés à l'Assemblée : quelques débats s'élèvent, quelques propositions sont faites; entre autres projets de décrets déposés sur le bureau, et dont un secrétaire fait lecture, l'un est rédigé en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il sera nommé un comité de quatre personnes, chargé d'examiner tous les journaux, et de faire à l'Assemblée un rapport de ces écrits, qui seront renvoyés au procureur du roi du Châtelet.

» Il sera défendu à tout membre de l'Assemblée de faire un journal. >>

La lecture de ce projet était à peine terminée, que de toute part on demanda l'auteur! l'auteur! - qu'on lui fasse lire la déclaration des droits, s'écria M. de Laborde; et l'auteur se montra; c'est M. Dufraisse-Duchey. Il voulut retirer sa motion; l'Assemblée s'y opposa, et condamna solennellement toute idée de censure et d'inquisition littéraire en décrétant qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur le décret proposé.

Cependant l'Assemblée, dans la même séance, sur la proposition de M. Emmery, chargea par un décret son comité de constitution de lui présenter incessamment un projet de réglement relatif à liberté de la presse; et huit jours après (20 janvier 1790) M. l'abbé Syeyes présenta ce projet (1) à l'Assemblée, en exposant ainsi les considérations qui avaient dirigé le comité:

<< Le public s'exprime mal lorsqu'il demande une loi pour accorder ou autoriser la liberté de la presse. Ce n'est pas en vertu d'une loi que les citoyens pensent, parlent, écrivent et publient leurs pensées; c'est en vertu de leurs droits naturels, droits que les hommes ont apportés dans l'association,

(1) Voici ce projet, qu'on nous saura peut-être quelque gré de rapporter dans son entier :

Projet de loi contre les délits qui peuvent se commettre par la voie de l'impression et par la publication des écrits et des gravures, etc.- Pré senté à l'Assemblée nationale le 20 janvier 1790, par M. l'abbé Syeyes, au nom du comité de constitution.

« Art. ler. La présente loi n'aura d'effet que pendant deux ans, à compter du jour de sa promulgation.

TITRE Ier. Des délits et des peines.

» Art. II. Si un ouvrage imprimé excite les citoyens à s'opposer par la force à l'exécution des lois, à exercer des violences, à prendre pour le redressement de leurs griefs, fondés ou non fondés, d'autres moyens que ceux qui sont conformes à la loi, les personnes responsables de cet ouvrage seront punies comme coupabies de sédition.

» Art. III. Si un écrit imprimé, publié dans l'espace de huit jours

et pour le maintien desquels ils ont établi la foi elle-même, et tous les moyens publics qui la servent.

» L'imprimerie n'a pu naître que dans l'état social, il est vrai; mais si l'état social, en facilitant à l'homme l'invention des instrumens utiles, étend l'usage de sa liberté, ce n'est pas pour que tel ou tel usage puisse jamais être regardé comme un don de la loi la loi n'est pas un maître qui accorderait gratuitement ses bienfaits; d'elle-même la liberté embrasse tout ce qui n'est pas à autrui; la loi n'est là que pour l'empêcher de s'égarer; elle est seulement une institution protectrice, formée par cette même liberté antérieure à tout, et pour quelle tout existe dans l'ordre social.

la

» Mais en même temps, si l'on veut que la loi protége en effet la liberté du citoyen, il faut qu'elle sache réprimer les atteintes qui peuvent lui être portées. Elle doit donc marquer, dans les actions naturellement libres de chaque individu, le point au-delà duquel elles deviendraient nuisibles aux droits d'autrui là elle doit placer des signaux, poser des bornes, défendre de les passer, et punir le téméraire qui oserait désobéir. Telles sont les fonctions propres et tutélaires de la loi.

:

avant une sédition ou une émeute accompagnée de violences se trouve, même sans exciter directement les citoyens à ces crimes, renfermer des allégations fausses ou des faits controuvés propres à les inspirer, ceux qui sont responsables de cet écrit pourront être poursuivis et punis comme séditieux, s'il est prouvé que ces allégations ou ces faits controuvés ont contribué à porter les citoyens à cette sédition ou à ces violences.

„Art. IV. Si un ouvrage imprimé renferme des imputations injurieuses à la personne du roi, déclarée inviolable et sacrée par la loi constitutionnelle de l'Etat, ceux qui sont responsables de cet ouvrage encourront les peines graduelles portées par les lois contre les calomnies faites dans des actes juridiques.

" Art. V. Si un ouvrage imprimé paraît aux juges du fait dont il sera parlé ci-après avoir été évidemment écrit dans l'intention de blesser les bonnes mœurs, celui ou ceux qui en sont responsables seront dénoncés et poursuivis par le procureur du roi, et punis soit par la privation du droit de cité pendant un intervalle plus ou moins long qui ne passera pas quatre ans, soit par une amende égale à la valeur de la moitié de leurs revenus, gages ou salaires, soit aussi par

» La liberté de la presse, comme toutes les libertés, doit donc avoir ses bornes légales. Munis de ce principe, nous sommes entrés avec courage dans le travail auquel vous nous avez ordonnez de nous livrer.

>> Nous avons du commencer d'abord par examiner en quoi les écrits imprimés pouvaient blesser les droits d'autrui. » Nous avons dû spécifier ces cas, leur imprimer la qualité de délit légal, et à chacun d'eux appliquer sa peine. >> Ensuite nous avons dû rechercher et indiquer les personnes qui doivent être responsables des délits de la presse. » Enfin, après avoir caractérisé les délits, réglé les peines et atteint les accusés, nous avons déterminé l'instruction et le jugement par lesquels ils doivent être condamnés ou absous.

[ocr errors]

» Telle est la marche que nous avons adoptée dans le projet de loi que nous vous offrons en ce moment. Son vrai nom est: Projet de loi contre les délits qui peuvent se commettre par la voie de l'impression et par la publication des écrits, des gravures, etc.

>> Beaucoup de personnes pensent que c'est en balançant les avantages et les inconvéniens de la liberté de la presse qu'on doit tracer la juste ligne de démarcation entre ce qui peut être défendu en ce genre et ce qui ne doit pas l'être.

la détention, dans une maison de correction légalement établie, pendant un terme qui ne pourra excéder deux années.

» Art. VI. Si un ouvrage invite directement les citoyens હૈ commettre un crime, ou si, ayant été publié huit jours avant que le crime soit commis, il est jugé avoir excité à le commettre, ceux qui sont responsables de cet ouvrage pourront être poursuivis et punis comme complices de ce crime.

» Art. VII. Toute imputation imprimée d'une action mise par la loi au nombre des délits, et punie d'une peine quelconque, sera traitée comme dénonciation juridique. Si ce délit est de telle nature que les personnes qui l'imputent eussent été admises à faire cette dénonciation, et ceux qui seront responsables de l'ouvrage qui renferme cette imputation, seront punis si l'accusation n'est pas prouvée, comme auteurs d'une dénonciation fausse et téméraire, et comme calomniateurs si l'accusation est prouvée calomnieuse.

« Art. VIII. Si une imputation renfermée dans un ouvrage im

Ces personnes se trompent; le véritable rôle d'un législateur n'est pas de négocier comme un conciliateur habile: le législateur, toujours placé devant les principes, au lieu d'écouter une politique adresse, doit être sévère et immuable comme la justice; ainsi il ne s'occupera pas à comparer le bien et le mal, pour compenser l'un par l'autre, dans une loi de pure considération. Si on lui demande non de favoriser, mais de limiter l'exercice d'une liberté quelconque, il saura que le mal seul est de son ressort; que, n'y eût-il même aucun avantage public résultant de cette liberté, il suffit qu'elle n'ait rien de nuisible pour qu'il doive la respecter, et qu'en ce genre, en un mot, l'indifférent est sacré pour lui comme

l'utile.

» Au surplus, en rappelant ici la rigueur des principes, nous devons remarquer que nous avons plutôt obéi à une considération de circonstances qu'à un besoin réel d'invoquer au secours de notre sujet des forces dont il peut facilement se passer; car vous ne regardez sans doute pas, messicurs, l'usage de la presse comme une chose indifférente : qui pourra, au contraire, calculer tous les avantages dont nous lui sommes redevables? et quel législateur, quel que soit l'esprit qui le conduise, oserait à cette vue vouloir suspendre ou gêner l'action d'une cause aussi puissamment utile, à moins de la plus absolue nécessité, celle de faire justice à tout le monde? Voyez les effets de l'imprimerie dans ses rapports avec

>>

primé, quoique relative à des actions mises par la loi au nombre des délits, est néanmoins de telle nature que les personnes qui la font n'eussent pas été admises à dénoncer ces actions, ceux qui sont responsables de l'ouvrage ne seront point admis à la preuve des faits imputés, ni à la preuve des faits tendans à justifier l'imputation, et ils seront punis par des dommages et intérêts qui ne pourront excéder la moitié d'une année de leur revenu, gages ou salaires, une fois payés ; en outre ils pourront être condamnés à une privation du droit de cité, qui ne pourra excéder le terme de deux ans, et même être détenus dans une maison de correction, légalement établie, pendant un intervalle qui ne pourra excéder une année.

Art. IX. Quoiqu'une imputation imprimée ne porte pas sur une action mise par la loi au nombre des délits, si d'ailleurs elle est

« PreviousContinue »