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que expérience et quelques travaux dans la carrière de la liberté ont donné le droit d'avoir un avis.

» J'ai cru ne pouvoir mieux payer la dette immense que j'ai contractée envers le peuple qu'en ne sacrifiant pas à la popularité d'un jour l'avis que je crois lui être le plus utile. » J'ai voulu que ce peu de mots fût écrit pour ne pas aux insinuations de la calomnie le grand devoir que je remplis envers le peuple, à qui ma vie entière est consacrée. »

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De nombreux applaudissemens sont donnés à ce discours, après lequel la priorité, mise aux voix, est accordée au projet de M. de Mirabeau. Ici commence une nouvelle discussion; c'est celle du projet article par article. Le premier est ainsi conçu : « Le droit de faire la paix et la guerre appartient à la nation. »

M. Alexandre de Lameth.« Dans la disposition d'esprit et d'intention où se trouve l'Assemblée je n'oserais demander une longue discussion. Comme je suis persuadé que ce décret, s'il passe tel qu'il est, sans aucun amendement, remettrait de fait le droit de déclarer la guerre entre les mains du roi (murmures), le premier article doit renfermer le principe de telle manière qu'aucun des autres articles ne puisse conserver un sens louche et ambigu. L'époque n'est pas éloignée, messieurs, où nous rentrerons tous dans nos foyers: songez aux reproches que nos concitoyens ne manqueraient pas de nous adresser sí l'ennemi attaquait nos frontières, s'il venait non seulement ravager nos provinces, mais détruire la liberté qui nous a coûté tant d'efforts!... (La discussion est fermée.... Ecoutez, écoutez....) C'est bien le moins que la nation ait le droit de faire connaître sa volonté lorsqu'il est question de prodiguer son sang.... Je propose donc de substituer à l'article premier : «< La guerre ne » pourra être décidée que par un décret du corps législatif...» (Murmures.) Il est nécessaire que cette délibération n'ait pas l'air d'avoir été concertée hors de cette salle. Ce premier article serait donc ainsi conçu : « La guerre ne pourra » déclarée que par un décret du corps législatif, rendu sur >> la proposition formelle du roi. » (Applaudissemens.)

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M. Blin.« Je demande que le premier article soit conservé, afin de bien avertir que ce n'est ni au corps législatif exclusivement, ni au pouvoir exécutif exclusivement, mais à la nation, mais aux deux pouvoirs réunis qui constituent le pouvoir législatif, qu'appartient le droit de la paix et de la guerre. L'article de M. de Lameth n'annonce pas que pour déclarer la guerre il faudra le concours des deux volontés. Si les deux délégués ne sont pas d'accord, c'est à la volonté directe de la nation à se faire connaître. >>

M. Fréteau. << Il paraît convenu qu'il faut le consentement formel de la nation et la proposition formelle du roi. Je propose de conserver l'article premier en y joignant l'amendement de M. de Lameth ainsi développé : « Le droit de paix » et de guerre appartient à la nation. La guerre ne pourra » être décidée que par un décret de l'Assemblée nationale, » qui ne pourra lui-même être rendu que sur la proposition >> formelle du roi. >>

M. de Mirabeau.

-

<«< Et qui sera sanctionné par le roi.»

M. Fréteau.« Il y a dans le projet de M. de Mirabeau deux articles qui détournent le sens véritable du décret, l'article 4 et l'article 5. Il est certain que si vous ne déterminiez pas, par un décret constitutionnel, que le ministre ne pourra entamer la guerre par des hostilités commencées par son ordre, la liberté nationale serait gênée, et l'honneur du pavillon français compromis.

M. de Mirabeau. - « M. Fréteau a tiré une mauvaise conséquence de l'article s'il en a conclu qu'il laissait aux ministres le droit de commencer la guerre : cet article prévoit le cas où un ministre ordonnerait une agression ou une hostilité coupable. Il est absolument impossible d'empêcher que cela n'arrive; il est très possible qu'il y ait un ministre assez pervers pour commencer sous main une guerre. Je demande dans quel système cet inconvénient ne se trouve pas. Je ne puis prendre que les précautions que j'indique, en faisant juger si l'agression est coupable. L'article ne dit-il pas cela clairement? Mais pourquoi ne répond-on pas à la question

que j'ai faite ? Le pouvoir législatifn'est pas le corps législatif; n'est-il pas composé du corps législatif délibérant et du roi consentant et sanctionnant? Qu'on réponde; c'est là le principe du système auquel vous avez accordé la priorité. »

(On demande la question préalable sur cet amendement.) M. Camus.« Il est impossible d'admettre la question préalable. Cet amendement a deux objets : l'un de déclarer un principe qu'on soutient être constitutionnel; l'autre d'exposer un vœu que l'on croit être celui de l'Assemblée. Quand il s'agit d'un principe constitutionnel il ne peut y avoir de doute; ce principe est « qu'à la nation seule appartient le droit de paix et de guerre, et qu'il faut donner au roi le droit de proposer la paix ou la guerre. » Je vais plus loin, et je dis que dans les principes mêmes de l'auteur du projet de décret il devrait s'opposer à la question préalable.

M. de Mirabeau. - «< Aussi ne l'ai-je pas demandée. »

-

que

»

M. Camus. « On dit tout le monde est d'accord de ee principe; il me semble que la question préalable est dès lors impossible. Il s'agit d'exprimer ce dont tout le monde

convient. >>

M. de Mirabeau. — « Cela est exprimé dans l'article. »

M. Camus. « Je dis que cela fût-il exprimé clairement, il n'y aurait pas d'inconvénient à l'exprimer plus clairement encore. L'Assemblée est flottante entre ces questions: Le principe est-il exprimé assez clairement par M. de Mirabeau, oui ou non? La nation ne peut exprimer son vœu que le par corps législatif; il faut donc dire, nettement que la guerre ne peut être déclarée que par un décret du corps législatif. »

M. de Menou. « Il y a un premier article dont toute l'Assemblée convient; je l'adopte: mais M. de Mirabeau a dit que l'amendement présenté par M. Fréteau est compris dans son décret; s'il n'y est pas compris, comme je le crois, il faut en faire un article à part. Je demande qu'on aille aux voix par appel nominal sur cet amendement, qui deviendrait un article. >>

M. de Mirabeau.

«<l est nécessaire d'examiner par

quel étrange motif on s'obstine depuis si longtemps à ne pas voir dans mon décret ce qui y est, et à prétendre que j'ai dit ce que je n'ai pas dit. Si l'ordre des numéros est à changer, je laisse l'honneur et la gloire de cette sublime découverte à qui voudra s'en emparer. Comme le cinquième article porte précisément le principe; comme il n'est pas un seul article qui ne suppose le principe; qu'il n'en est pas un qui ne dise que le roi sera tenu d'obéir à la réquisition du corps législatif; comme nulles de mes dispositions, nuls de mes articles ne sont équivoques, vous me permettrez de ne pas changer mon opinion en faveur des bienveillans qui depuis deux heures veulent faire croire au public que mon opinion n'est pas mon opinion. »

(L'Assemblée, consultée, décide qu'il y a lieu à délibérer sur l'amendement de M. Fréteau.)

M. Desmeuniers. « J'ai demandé la parole pour appuyer l'amendement; mais il me paraît ne pas suffire. Dans le cours de la discussion j'ai entendu que deux choses sont nécessaires, la volonté et le consentement du roi, la volonté et le consentement de la législature. Il ne faut pas que le roi puisse seul déclarer la guerre ; je le crois dans mon âme et conscience.... (Murmures.) Je déclare, une fois pour toutes, que je défendrai jusqu'à la mort la liberté; on pourra alors murmurer lorsque je parlerai de ma conscience. Il ne faut pas non plus que le corps législatif puisse seul déclarer la guerre; il faut donc l'exprimer nettement. Si le mot proposition ne suffit pas, on peut y substituer notification; mais puisqu'il faut aussi le concours du roi, on doit l'exprimer positivement : « Une déclaration de guerre ne pourra avoir lieu que d'après un décret du corps législatif proposé par le roi et consenti par lui. » Cette rédaction est simple, conforme à vos principes et à l'intention de tout le monde. »>

M. Fréteau. « Je rédige définitivement ainsi l'article, avec l'amendement :

» 1°. Le droit de la paix et de la guerre appartient à la na

tion; 2°. la guerre ne pourra être décidée que par un décret de l'Assemblée nationale, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et qui sera consenti par lui. »

M. de Mirabeau. — « On n'aura pas de peine à croire que j'adhère de tout mon cœur à cet amendement, pour lequel je combats depuis cinq jours. Si j'avais su plutôt que ceci n'était qu'une lutte d'amour-propre, la discussion aurait été moins longue. Je demande que le mot sanctionné, mot de la constitution, soit mis à la place de consenti.»

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On approuve ce changement de mot, et l'article 1°, base principale du décret, est ainsi adopté presque unanimement. Les autres articles sont successivement adoptés aussi, avec les amendemens de M. Chapelier; et, le 22 mai 1790, le huitième jour d'une discussion à jamais célèbre, l'Assemblée nationale proclame enfin, au bruit des applaudissemens, des cris de joie et de reconnaissance des nombreux amis de la liberté, que la nation est rentrée dans l'exercice de celui de ses droits qui importe le plus à sa sûreté, à sa gloire et à son bonheur.

Nous allons rapporter cet important décret; et comme il est juste qu'on sache à qui l'on en doit les principales dispositions, celles qui seules ont provoqué de longs débats, puisque sur toutes les autres on était généralement d'accord, nous indiquerons les amendemens qu'a subis le projet qui avait obtenu la priorité.

Décret sur l'exercice du droit de la guerre et de la paix, rendu par l'Assemblée nationale le 22 mai 1790.

« L'Assemblée nationale décrète comme articles constitutionnels ce qui suit :

» Art. . Le droit de la paix et de la guerre appartient

à la nation.

» La guerre ne pourra être décidée que par un décret du corps législatif, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et ensuite sanctionné par Sa Majesté.

Cet article 1er fut établi d'après les amendemens de MM. Alexandre

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