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les anciens rapports qui liaient le puissant au faible, le riche au pauvre, sont anéantis. Nous ne connaissons plus dans notre nouvelle législation l'image de cette institution à laquelle nos publicistes rapportent l'origine de nos fiefs je veux parler ici de cette belle clientèle des Romains, qui étendait la correspondance des patrons avec les cliens, des familles aux cités et des villes aux provinces, et qui, par un échange continuel de protection et de services, sauvait les grands de l'envie et les indigens du mépris.

» Enfin que deviendra la France ainsi divisée, ainsi couverte de ruines et de débris? C'est la grande et triste question que s'adressent mutuellement tous les citoyens dès que leurs pensées peuvent s'épancher en liberté dans les inquiètes prévoyances des entretiens les plus intimes. Consternés du présent, épouvantés de l'avenir, ils cherchent avec effroi une issue à tant de calamités, et ils n'en découvrent aucune; ils ne connaissent plus d'état solide, plus de fortune assurée, plus d'asile inviolable; et quand ils lèvent les yeux vers le trône, du milieu de cette révolution qui n'a fait encore que des victimes, ils se voient placés entre trois nouveaux désastres dont la France est aujourd'hui menacée; je veux dire entre le desptisme du gouvernement, l'invasion des étrangers et le démembrement des provinces du royaume.

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D'après ces considérations, je conclus en proposant à l'Assemblée nationale le décret suivant:

» L'Assemblée nationale a décrété et décrète que le droit de déclarer la guerre et de conclure tous les traités avec les puissances étrangères sera exclusivement exercé par le roi; mais les traités de paix devront être ratifiés par le corps législatif s'ils stipulent l'aliénation de quelques parties du territoire de la France de même que les traités d'alliance, s'ils portent un engagement de payer des subsides: ainsi que les traités de commerce, s'ils règlent une nouvelle diminution ou augmentation des droits de douane pour l'entrée ou la sortie de certaines marchandises aux frontières du royaume. »>

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M. Fréteau. (Séance du 20.)

« Des politiques très-profonds ayant traité la question, il peut paraître extraordinaire qu'un homme livré depuis vingtcinq ans à des fonctions paisibles, à l'exercice de la justice, se permette une opinion sur cette matière; mais ces vingtcinq années ont été traversées par une retraite entière et absolue de cinq années : c'est là qu'il a été de mon devoir d'étudier les anciennes lois, les faits de l'histoire, et de nourrir dans mon cœur l'amour de la liberté et de l'humanité; il doit m'être permis, comme il l'a été à des ecclésiastiques, de réclamer pour la liberté, pour les anciennes lois que vous avez ressuscitées, et pour l'intérêt même du monarque. Mais avant tout il faut établir que le droit de faire la guerre a toujours appartenu à la nation; vous ne pouvez, sans enfreindre tous les principes, sans compromettre les intérêts de la patrie, le déléguer à d'autres qu'au corps législatif. Il doit m'être permis d'attaquer le préjugé qu'on a élevé contre ce droit vraiment national, et de prouver que pendant toute la monarchie, excepté les cent soixante dernières années, jamais la nation n'a cessé d'exercer ce droit. Je soutiens, contre ceux qui voulaient prouver le contraire, qu'ils n'ont pu le faire sans altérer l'histoire, sans anéantir les monumens les plus respectables. Voici les faits. On vous à cité comme base principale et sacrée du droit de nos rois le traité d'Andelot, les usages de Charlemagne, les tristes événemens du roi Jean, ceux du siècl actuel, en 1741, 1756, 1777: hé bien, tout ce qu'on vous ‹ allégué est absolument contraire au texte que je vais vou citer. Tout le monde sait que le traité d'Andelot fut fait entre trois individus, Gontran, un roi de France, et la reine Brune haut; il est relatif à l'exécution des traités qui terminent l guerre, et il porte ces mots : Fait par l'entremise des barons des évêques et de tout ce qu'il y avait de grand dans l'Etat. (Mediantibus proceribus, episcopis et aliis magnatibus.) >> On vous a dit que c'était avec douze conseillers que Charlemagne décidait la guerre.... Mézerai, dans le premier volume de l'édition in-folio de 1683, dit : « Je trouve troi sortes de grandes assemblées sous les règnes des Carlovingiens,

savoir les plaids généraux, où l'on vidait les grandes causes; les champs de mai, où venaient les vicillards, les hommes consommés du peuple français, seniores et majores; on y délibérait des principales affaires de la guerre; enfin, conventus colloquia. Ces parlemens ou états étaient composés des barons, des abbés, des comtes et des autres grands de l'empire; on y délibérait des affaires de la police et de l'une et de l'autre milice. Ces deux dernières sortes d'assemblées se réunirent en une seule. » — - On vous dit qu'une nation qui fait la guerre ne peut pas avoir d'alliés... Tout le volume, et surtout les détails de 777, prouvent le contraire. Voyez l'assemblée générale du royaume qui se tint à Paderborn : Charlemagne avait fait plusieurs expéditions sur les Saxons; ils étaient soumis; on les admit aux assemblées en grand nombre; une nation étrangère, les chefs de la nation sarrazine vinrent demander des secours à la nation française contre les lieutenans de Gallicie et d'Espagne. Ainsi sous Charlemagne la nation faisait les traités.

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» Après quinze ans de guerre Charlemagne, qui croyait avoir fondé la prospérité de l'empire sur la justice, vit l'effet de ses soins prêt à être détruit par l'invasion des hommes du Nord. Il fit une nouvelle assemblée de tous les membres du corps politique. Il représenta qu'une nouvelle guerre était nécessaire il fut autorisé à avoir des vaisseaux dans tous les ports, c'est à dire depuis les bouches du Tibre jusqu'aux Pyrénées, depuis Bayonne jusqu'aux bouches de l'Ebre, et à publier le landvert, afin que tous les comtes montassent sur les vaisseaux. Ainsi les grands officiers eux-mêmes étaient obligés de se soumettre à la loi nationale. On passe sur le champ à l'époque de 1356; mais on trouverait dans les temps intermédiaires les guerres des croisades, décidées dans des conventus colloquia, où non seulement il fut arrêté de déclarer la guerre, mais où l'on règla encore avec quels moyens elle serait faite. On n'aurait pas dû oublier les délibérations nationales en vertu desquelles on fit la guerre aux Albigeois.

» En parlant des états de 1356 on s'est permis des rapprochemens aussi sinistres que déplacés. Mais vous a-t-on dit ce qui avait amené la nation à s'assembler? Vous a-t-on

parlé de la honte des journées de Courtray, de Crécy, de Poitiers? Vous a-t-on parlé des perfidies de Philippe-le-Bel, de Philippe de Valois, du roi Jean? La nation voulait reprendre le droit d'inspecter les ministres, et de sortir de l'humiliation où elle était tombée. On ne vous a pas dit qu'en 1527 la nation a cassé le traité de Madrid et annullé les aliénations qui avaient été faites sans son consentement. Oter au roi le droit d'aliéner les provinces, c'est nécessairement lui refuser celui de faire la guerre; car les suites de la guerre entraînent souvent l'aliénation d'une partie du territoire national.

» La guerre de la ligue n'a-t-elle pas été voulue par la nation? En 1576 les états de Blois l'ordonnèrent. Depuis cette époque jusqu'en 1630 les rois, dans tous leurs manifestes, se sont appuyés de la délibération de ces états. Ainsi, j'avais raison de dire que c'était seulement depuis cent soixante ans que la nation avait cessé d'user du droit de déclarer ou de consentir la guerre ; ainsi jusqu'à cette époque, de siècle en siècle, la nation a usé de ce droit.

» Je passe à l'établissement des principes. Vous avez voulu que la nation soit libre, et je prétends qu'elle ne sera pas libre si vous décidez qu'elle sera à la merci des ministres et des jeux des puissances étrangères. Toute guerre tend à la division du corps monarchique : vous avez déclaré qu'aucune propriété nationale ne pouvait être aliénée; il en résulte évidemment que si les ministres pouvaient faire la guerre, ils pourraient mettre des impôts; ils pourraient disposer des propriétés nationales. Vous êtes menacés, dit-on, d'une guerre maritime on vous demande des secours extraordinaires pour mettre huit vaisseaux de ligne en mouvement dans l'Océan et six dans la Méditerranée, et pour préparer les mesures tendant à augmenter cet armement, si cela est nécessaire; c'est à dire que les quarante-deux millions que le comité de marine doit vous demander pour cet armement, et les cinquante-deux millions que d'autres membres croient indispensables, ne serviront qu'à avoir dans les ports une flotte dégréée. Le 10 juillet 1690 vous aviez dans la Manche, en ligne de bataille, quatre-vingts bâtimens de haut-bord : savez-vous ce que coûtait cette force maritime? dix-sept

millions je parle d'après les originaux signés de la main de Louis XIV. En supputan! la valeur du marc d'argent, cette somme équivaut à quarante-deux millions de notre monnaie, et aujourd'hui il nous faut une somme plus considérable pour tenir tous nos vaisseaux dégréés et tous nos matelots tranquilles. Il en fut à peu près de même l'année suivante, jusqu'à la guerre de la succession.

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J'ai voulu connaître jusqu'où montait les forces de la marine depuis l'année 1777 jusqu'en 1782; cela m'a été impossible. J'ai trouvé la même impossibilité pour les comptes des campagnes de 1741, de 1756, et de la guerre de la succession. Ainsi, quand on vous propose de délibérer sur les armemens, vous n'avez aucune base. Je crois juste et utile de donner au corps législatif le droit d'ouvrir la guerre, et de le charger de déterminer la mesure des forces.... Je propose de décréter que la nation, ayant essentiellement le droit de décider, déclarer et faire la guerre, le délègue à ses représentans, pour en user avec les mesures qui seront arrêtées. Discours de M. le comte de Mirabeau, tel qu'il le prononça à la tribune dans la séance du 20 mai 1790 (1).

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« Si je prends la parole sur une matière soumise depuis cinq jours à de longs débats, c'est seulement pour établir l'état de la question, laquelle, à mon avis, n'a pas été posée ainsi qu'elle devait l'être. Un pressant péril, dans le moment actuel, de grands dangers dans l'avenir, ont dû exciter toute l'attention du patriotisme; mais l'importance de la question a aussi son propre danger. Ces mots de guerre et de paix sonnent fortement à l'oreille, réveillent et trompent l'imagination, excitent les passions les plus impérieuses, la fierté, le courage, se lient aux plus grands objets, aux victoires, aux conquêtes, aux sort des empires, surtout à la liberté, surtout à la durée de cette constitution naissante que tous les Français ont juré de maintenir; et lorsqu'ane question de droit public se présente dans un si imposant appareil, quelle attention ne faut-il pas avoir sur soi-même

(1) On verra plus loin le motif de cette remarque.

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