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signal public de révolte servait de honteux ornement à cette multitude de conjurés. Le prévôt de Paris avait livré aux Anglais et aux Navarrois la porte Saint-Antoine. Le roi Jean était alors en captivité à Londres. Le régent était mineur. Ce fut dans ces malheureuses circonstances que ces états si coupables, se prévalant de la captivité du monarque et de la minorité du régent, depuis si célèbre sous le nom de Charles V, contestèrent au roi le droit de décider de la guerre et de la paix. Mais bientôt la nation française, rentrée dans son caractère, repoussa et extermina comme des ennemis publics ces insensés qui avaient voulu substituer les principes de la démocratie, c'est à dire une insurrection générale à l'ancien gouvernement du royaume : les états de 1359 reconnurent formellement le droit qui appartenait au roi de faire la guerre et la paix; et quand ils refusèrent d'adhérer au traité conclu entre Jean et Edouard ils n'alléguèrent aucun autre prétexte d'opposition que le défaut de liberté du roi. Voilà, messieurs, l'époque d'horreur et de carnage où nos pères virent naître pour la première fois les étranges systèmes que l'on renouvelle aujourd'hui dans cette Assemblée. Je doute qu'un pareil rapprochement, auquel nous sommes forcés de ramener nos adversaires puisqu'ils ont osé se prévaloir, d'un exemple si révoltant, soit bien propre à leur attirer aujourd'hui la confiance de la nation.

» Il est donc prouvé, par toutes les maximes fondamentales du gouvernement français, que le droit de déclarer la guerre appartient au roi; il est donc prouvé que le roi cesse d'être roi si cette prérogative lui est enlevée, s'il n'est pas le seul représentant de la nation auprès des étrangers; ou du moins l'on conviendra sans doute qu'un pareil fantôme de roi ne serait plus le monarque des Français.

(1) >> On a peine à concevoir qu'un honorable membre, M. Fréteau, qui n'a osé contredire aucun de ces faits, ait cependant affirmé, dans cette tribune, que les rois de France avaient usurpé depuis cent soixante ans le droit de la guerre et de la

(1) Cet alinéa et les suivans, jusques et compris la buitième ligne de la page 256, ont été ajoutés par l'orateur lors de l'impression de son discours. M. l'abbé Maury a parlé le 18, et M. Fréteau le 20.

paix, et qu'avant cette époque la nation seule en décidait. Il nous a dit qu'il avait étudié l'histoire de France pendant cinq ans dans son exil; je vais tâcher de lui prouver qu'il a besoin de l'étudier encore, au moins pendant cinq ans, dans une bibliothèque, s'il veut avoir le droit de nous en parler. Il a cité le témoignage de Mezerai comme une autorité à laquelle on ne pouvait rien opposer, et pour prouver son assertion il a prétendu que la guerre de la ligue avait été déclarée par la nation, que le traité de Madrid avait été annullé par la nation, enfin que la guerre des croisades avait été ordonnée par la nation. L'érudition de M. Fréteau a été fort applaudie. Je me suis levé, non pour le réfuter, je n'en avais malheureusement pas le droit, mais je l'ai interrompu par une motion qui a été appuyée, et j'ai demandé hautement que le discours de ce magistrat fût aussitôt condamné à l'impression. M. Fréteau s'est refusé modestement à ma demande, et je lui dois, ainsi qu'à l'Assemblée nationale, la discussion des hérésies historiques dont il s'est armé pour me combattre.

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Qui de vous, messieurs, eût pu prévoir que l'historien Mézerai serait jamais cité dans cette Assemblée comme un écrivain du plus grand poids? Le compilateur Mézerai, dont la grande histoire ne vaut ni son Abrégé Chronologique, ni surtout son Origine des Français, écrivit dans sa jeunesse l'histoire de France avec un esprit républicain qui s'alliait mal avec les pensions de la cour dont il était comblé. Cet historiographe du roi, plus hardi dans ses opinions qu'exact dans ses récits, était superficiel, incorrect, et quelquefois son pinceau poétique s'élevait à la couleur et aux passions de la plus haute éloquence; mais, légèrement instruit de notre droit public, il ne connaissait ni les véritables sources, ni l'esprit philosophique de l'histoire; il était ouvertement passionné dans ses opinions, et la seule vivacité de son style lui attira des lecteurs durant la longue disette de nos historiens. Indépendamment de ce jugement unanime que la France a porté de sa véracité, de son impartialité, et surtout de ses connaissances, comment peut-on opposer l'opinion d'un seul écrivain aux actes fondamentaux de l'histoire? J'ai cité les textes précis de ces titres originaux, et M. Fréteau n'a pas entrepris de les combattre. La confiance qui leur est due reste donc entière entre lui et

moi; mais je vais plus loin. J'ai lu aussi l'historien Mezerai: j'affirme qu'il n'a jamais contesté au roi le droit de faire la guerre et la paix. Je défie M. Fréteau d'indiquer le livre où Mézerai a soutenu cette opinion, qu'il n'a pas même soupçonnée; et en attendant qu'il veuille bien nous faire connaître cet étrange paradoxe parmi les nombreux paradoxes de Mézerai, je vais discuter les trois faits sur lesquel il fonde son opinion.

» La ligue fut un pacte par lequel un certain nombre de catholiques, dirigés par l'impulsion du duc de Guise, s'engagea, en vertu d'un serment, à maintenir la religion nationale dans le royaume, et à ne reconnaître jamais un roi hérétique; mais la ligue n'était point la nation. La ligue n'a jamais fait qu'une guerre civile, et une guerre civile n'est probablement pas un droit national, et encore moins une guerre nationale. La ligue, loin d'attaquer les étrangers, appela les Espagnols dans le royaume. La ligue n'était qu'une confédération de religion, et ses généraux rebelles, ses processions indécentes, ses factieux états généraux, ses coupables insurrections contre le monarque légitime des Français, ne forment pas sans doute, aux yeux de M. Fréteau, une portion du droit public du royaume de France.

» Examinons à présent le traité de Madrid. Le loyal chevalier François Ier, celui peut-être de nos rois qui a été le plus généralement aimé pendant sa vie, parce qu'il avait au plus haut degré toutes les vertus et tous les vices de sa nation; François Ier, ayant été fait prisonnier à Pavie, signa, dans sa prison de Madrid, un traité par lequel il cédait la Bourgogne à Charles - Quint pour prix de sa rançon. Sa captivité annullait ses engagemens. Lorsqu'il fut revenu dans ses états il convoqua les notables, et il suggéra aux Bourguignons la requête dont il voulait se prévaloir pour être dispensé d'exécuter le traité de Madrid. Les notables de la Bourgogne dirent que leur province était la première pairie du royaume, et qu'en vertu de l'acte de sa réunion à la couronne elle ne pouvait jamais en être séparée sans son consentement: François Ier profita de cette excuse pour conserver la Bourgogne. Mais il ne s'agissait point dans cette discussion du droit de faire la paix; il s'agissait simplement de l'exé

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cution d'un contrat; et François Ier ne prévoyait pas sans doute qu'on pût conclure un jour, de la résistance des Bourguignons menacés de passer sous une domination étrangère, que ses successeurs ne devaient pas exercer, dans toute sa plénitude, le droit de la guerre et de la paix. Le traité souscrit par François Ier ne fut point rompu; mais ce prince se servit du prétexte qu'il avait lui-même inspiré pour ne point exécuter le démembrement auquel il s'était soumis.

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Quant aux Croisades, personne n'ignore qu'à l'époque de ces grandes irruptions, où l'Europe sembla s'affaisser sur l'Asie, il y avait six pairies en France, les duchés de Bourgogne, de Normandie et d'Aquitaine, et les comtés de Champagne, de Flandre et de Toulouse. Ces six pairs avaient le droit de faire la guerre au roi lui-même, en vertu du traité de Mersën, conclu sous Charles-le-Chauve. Il n'est donc pas étonnant que leur consentement fût nécessaire pour entreprendre ces guerres lointaines : mais depuis le concile de Clermont, depuis les missions de Pierre-l'Ermite, depuis le règne de Louis-le-Jeune, aucune croisade ne fut déterminée par le vœu national, et les deux croisades de saint Louis prouvent jusqu'à l'évidence cette vérité de droit public. Les croisades ne furent précédées d'aucune déclaration de guerre : c'était une invitation adressée aux zélateurs de la foi de venir se rallier sous les étendards de la Croix pour chasser les Sarrazins de la Terre Sainte. M. Fréteau avait oublié l'histoire des croisades quand il les a citées en preuve du droit qu'il attribue à la nation de faire la guerre et la paix. Sa mémoire ne l'a certainement pas mieux servi lorsqu'il a avancé que le règne de Henri IV était la première époque de cette usurpation de nos rois sur le droit de la nation. Les guerres des Anglais et les guerre d'Italie étaient devant ses yeux. Henri II, François Ier, Louis XII, Charles VIII, le roi Jean, Philippe de Valois, tous les rois de France enfin dont le règne n'a été qu'une guerre prolongée, avaient-ils obtenu le consentement de la nation pour prendre les armes ou pour les quitter? M. Fréteau prend un ton si assuré quand il étale ses connaissances historiques dans cette tribune, qu'il n'a pu ignorer les droits du trône, écrits à chaque page de

notre histoire. S'il a la prétention d'un érudit qui a pâli pendaut cinq années entières sur les livres et sur les chartres, il a donc été égaré par un esprit de système qui a trompé sa raison autant que sa mémoire; et j'ai d'autant plus de regret de l'avoir trouvé si loin de la vérité dans cette grande question, qu'un magistrat si instruit ne saurait se justifier par aucune excuse satisfaisante, parce que ses méprises ne s'appellent pas des

erreurs.

» Ce n'est pas seulement en France que le droit de la guerre et de la paix a été constamment regardé comme une prérogative exclusive du trône. Les Anglais eux-mêmes, qui ont fait la part de leur roi sans aucune résistance, puisque le trône était déclaré vacant au moment de la révolution, en 1688, les Anglais n'ont jamais imaginé de limiter entre les mains du monarque le droit de déclarer la guerre, de faire la paix, et de contracter tous les traités d'alliance ou de commerce qu'il juge utiles à sa nation Les monarques anglais, et spécialement Guillaume III et la reine Anne, de même que la nouvelle dynastie d'Hanovre, ont exercé cette prérogative sans aucune réclamation, en présence de ce même parlement qui surveille sans cesse avec patriotisme, quoique sans jalousie, le pouvoir exécutif. Le fameux traité de commerce avec le Portugal, traité qui a enrichi l'Angleterre, fut conclu en 1703, sans avoir été communiqué aux représentans de la nation. La défense du royaume, dont le roi seul est chargé, l'autorise à augmenter selon les vues de sa sagesse les forces de terre et de mer, dans tous les cas de guerre, d'invasion, d'insurrection, de rébellion; à ordonner la presse, à accorder des lettres de marque avant même les déclarations de guerre, et à interrompre le cours ordinaire du commerce par de simples proclamations. Je ne prétends cependant pas dissimuler que le parlement n'ait, par le fait, une très-grande influence sur ces opérations importantes du gouvernement; l'histoire d'Angleterre nous offre même des exemples de l'initiative exercée par le parlement à l'époque de la guerre de Bohême, du mariage de Charles Ier, du mariage de Jacques II avec la princesse de Modène; mais dans toutes ces circonstances les rois ont regardé tous ces actes comme irréguliers et non parlemen

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