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et à garantir le royaume. Est-il question d'un traité, rien ne demande plus d'examen et de maturité dans les délibérations; la précipitation serait aussi déplacée que dangereuse.

» En admettant même la nécessité d'une très-grande célérité dans les opérations, aussitôt que les deux pouvoirs ne se choquent pas, ils ne rallentissent point le mouvement. Le pouvoir exécutif lui-même ne délibère-t-il pas avant d'agir? ne recourt-il pas à son conseil? et ce conseil examine, discute et décide. Ici c'est le corps législatif qui se charge de ce soin; la double action existe dans l'un comme dans l'autre cas.

>> Il me reste à vous parler d'un dernier moyen qui, réuni à ceux que je vous ai déjà indiqués, pourra amener insensiblement la plus heureuse révolution, et la plus consolante pour l'humanité. Vous pouvez, vous devez donner un grand exemple à toutes les nations; un exemple, j'ose le dire, inconnu dans les fastes de l'histoire. Déclarez d'une manière solennelle que vous entendez bannir désormais de vos négociations cette politique de ruse et de fourberie; que le langage de la loyauté et de la bonne foi est le seul qui vous convienne, le seul dont vous ferez usage; que vous êtes convaincus qu'il n'est pas plus permis aux nations qu'aux particuliers de se surprendre et de se tromper; que depuis trop longtemps les peuples divers sont habitués à ne s'envisager qu'avec défiance, comme des ennemis toujours prêts à s'égorger; qu'il faut enfin qu'ils se regardent comme frères; qu'ils travaillent à se rapprocher, à s'unir pour leur bonheur commun, et à établir entre eux une paix durable! Déclarez que vous renoncez à tous projets ambitieux, à toutes conquêtes; que vous regardez les limites de votre empire comme posées par l'Éternel luimême; que vous ne les franchirez jamais, mais que vous les protégerez contre toutes attaques jusqu'à votre dernier soupir; que vous regardez toute irruption subite et imprévue un territoire étranger et contre ses paisibles habitans comme une lâche et honteuse perfidie, dont vous ne vous souillerez jamais! Conjurez vos voisins d'imiter cet exemple, de prendre les mêmes engagemens que vous! Conjurez-les au nom de leur intérêt, au nom du bien universel, au nom

sur

de tout ce qu'ils ont de plus cher, de ne plus verser le sang humain dans des guerres perpétuelles et insensées! Déposez dans un manifeste ces principes augustes et sacrés, ces sentimens dictés par l'humanité et la justice, et vous n'aurez rien fait qui mérite autant d'exciter l'étonnement et l'admiration de l'univers et de la postérité!

>> Quelle impression profonde et salutaire, quels heureux effets ne produirait pas cette noble et généreuse déclaration! Elle deviendrait, je me plais à le croire, le premier signe d'alliance et de concorde entre les nations; elle éteindrait peu à peu le flambeau de la guerre : car enfin, tôt ou tard, les vérités utiles et bienfaisantes doivent régner sur la terre; les préjugés l'ont assez longtemps désolée, et leur règne ne peut pas être éternel; ils doivent céder à la lumière; telle est la marche naturelle et impérieuse de l'esprit humain et des événemens. Il est impossible que les nations n'ouvrent pas les yeux; qu'elles ne voient pas qu'elles ont toutes perdu à cet état continuel de divisions et de guerre; que les combats ne servent qu'à faire égorger les hommes et à ruiner les empires; que, funestes aux vaincus, ils le sont aussi aux vainqueurs; que dans ce jeu cruel, tour à tour victorieuses et vaincues, elles éprouvent un épuisement commun; que la victoire ne décide pas du bon droit; que les traités qui la suivent ne sont que des trèves que la partie lésée se propose de rompre à la première occasion; que la force ne peut jamais être un lien durable; qu'elle ne peut jamais établir de rapports solides; qu'elle ne peut jamais servir de base stable à des relations politiques ou commerciales; qu'elle finit nécessairement par soulever les opprimés; que c'est ce système de force, le seul que les nations aient connu jusqu'à ce jour, qui a causé tous leurs malheurs et toutes leurs querelles ; que sans ces principes d'oppression elles jouiraient d'une égale sécurité, quelle que soit l'étendue de leur territoire et de leur puissance; qu'elles perfectionneraient tranquillement leur régime intérieur; qu'elles profiteraient de tout le bonheur de leur. position, des dons de la nature, des bienfaits de la société ; que des liens plus touchans les attacheraient d'une manière plus intime les unes aux autres; qu'elles se rendraient des services

vrais; qu'elles se porteraient des secours nécessaires; qu'elles se communiqueraient leurs jouissances; que leurs échanges seraient réglés par les lois des convenances, bien plus fortes qué celles dictées les armes à la main, ou, pour mieux diré, les seules qui soient durables et respectées; et qu'enfin, au sein de la paix, elles s'éleveraient au plus haut degré de prospérité et de bonheur. Il est impossible, dis-je, qu'elles ne soient pas frappées de ces vérités, et qu'elles n'abjurent pas ces antiques erreurs qui ont ensanglanté la terre depuis des siècles, et qui ont enfanté, tant et tant de maux! Quand l'humanité ne leur en ferait pas un devoir, la raison et leurs intérêts leur en prescriraient la loi. Un jour viendra peutêtre où le système d'un des plus ardens et des plus vertueux amis de l'humanité, qu'on a souvent appelé le rêve d'un homme de bien, sera le droit public des nations, et vous aurez la gloire d'avoir préparé ce beau jour !

» Je finis, et je propose le décret suivant. (Suivait le projet.)

M. l'abbé Maury. (Séance du 18.)

« Messieurs, une lettre ministérielle nous apprend que l'Angleterre et l'Espagne sont divisés sur la libre navigation dans les mers du Sud; que les Anglais réclament le droit d'envoyer leurs vaisseaux sur les côtes occidentales de l'Amérique, où ils ne possèdent aucun territoire, et où ils ne peuvent faire qu'un commerce de contrebande; et que ces deux puissances se disposent à soutenir par la voie des armes la guerre de cabinet qui est ouverte depuis plusieurs mois. Le roi, instruit de leurs mesures hostiles, vient d'ordonner l'armement de quatorze vaisseaux de ligne dans nos ports de la Méditerranée et de l'Océan. Sa majesté a voulu que l'Assembléo nationale fût informée par ses ordres des dispositions qu'exigent de sa sagesse la défense du royaume, la protection du commerce, notre alliance avec l'Espagne, et surtout les préparatifs militaires de deux grandes nations qui touchent à toutes les possessions de la France dans les quatre parties du monde.

» Cette communication officielle des ministres du roi ne pou

vait pas ouvrir parmi nous une discussion sérieuse. La Francé ne saurait abandonner sa plus fidèle et sa plus solide alliée, l'Espagne, qui depuis vingt ans a deux fois déclaré la guerre aux Anglais pour défendre notre cause; l'Espagne, dont les forces navales combinées avec les nôtres forment à peine un contre-poids suffisant pour entretenir l'équilibre avec la marine anglaise; l'Espagne, dont l'union avec la France intéresse essentiellement le salut de toute l'Europe. Notre loyauté nous oblige, autant que notre intérêt, de ne point nous séparer de cette puissance, qui serait évidemment. compromise si elle était isolée, et dont la ruine rendrait l'Angleterre maîtresse de toutes les mers. (1) Nous n'avons donc, messieurs, que de justes remerciemens à voter au roi pour les sages précautions qu'il a prises, en faisant armer une escadre. Outre les considérations d'alliance qui prescrivaient ce premier développement de nos forces navales, les seules relations de voisinage auraient suffi pour nous en imposer la loi. Il est de principe en effet, dans notre politique moderne, que toutes les fois qu'un élat, et surtout que plusieurs états limitrophes font des préparatifs de guerre, la prudence exige d'assurer aussitôt sa propre défense. Dès que nos voisins ordonnent des armemens maritimes, nous devons donc tourner nos regards vers nos ports, et mettre nos arsenaux en activité. C'est par ces dépenses de précaution qu'on évite souvent la guerre, que l'on fait respecter les négociations de la paix; et si, en 1787, nous avions appuyé nos ambassa

α

(1) « L'Espagne peut mettre à la mer soixante vaisseaux de ligne; nous en avons le même nombre dans nos ports: l'Angleterre pent armer cent vingt vaisseaux de ligne de sorte que la France et l'Espagne ont besoin d'être réunies pour faire face aux escadres anglaises. Aucune autre puissance en Europe ne saurait nous dédommager de cette alliance, qui nous est d'autant plus nécessaire que notre réunion momentanée avec la Hollande n'existe plus. Renoncer au pacte de famille, qui est un véritable pacte national, ce serait donc sacrifier notre marine, et par conséquent notre commerce et nos colonies. Il n'est pas nécessaire de réfuter les systèmes, ou plutôt les rêves de nos écoliers politiques; il suffit de les dénoncer à la raison et au patriotisme des bons citoyens.

(Note de l'orateur.)

:

deurs à la Haye en rassemblant un camp sur la frontière de la Flandre, nous n'aurions peut-être pas perdu cette belle alliance avec la Hollande, qui nous fut enlevée par les armemens de Porstmouth et par l'approche d'une armée prussienne. Cet exemple du danger de l'inaction au milieu des puissances armées est trop récent et trop déplorable pour que les représentans de la nation française aient pu sitôt l'oublier. » La juste approbation que vous avez donnée, messieurs, aux sages mesures de sa majesté, a amené la question aussi importante qu'imprévue du droit de la guerre et de la paix, des traités d'alliance et de commerce. Vous avez décrété que, dans un intervalle de vingt-quatre heures, vous ouvririez une discussion si majeure et si difficile devions-nous nous attendre à entrer si inopinément et à nous voir pour ainsi dire précipités sans examen dans une délibération qui renferme un grand nombre de questions accessoires, et dont la solution méritait d'être préparée par les méditations les plus approfondies? Nous ne sommes ni commandés ni même pressés par les circonstances; et cependant il faut que chacun de nous défende ici brusquement son opinion, sans pouvoir faire hommage à l'Assemblée des moyens et des motifs que nous aurions pu recueillir dans nos études! On croirait, à l'empressement que vous avez montré, que de la promptitude de votre détermination dépend le salut de l'empire. Il ne s'agit pourtant pas ici, messieurs, d'une résolution relative à la paix ou à la guerre le décret que vous rendrez sera purement constitutionnel, et n'aura que des rapports éloignés avec les différens cabinets de l'Europe : vous avez un comité de constitution, auquel vous déférez préalablement toutes les grandes questions de cette nature; il ne s'en présenta jamais de plus compliquée, et vous n'avez pas même daigné le consulter. Vous n'avez entendu aucun rapport; on ne vous a offert aucun résultat, et vous ouvrez la lice devant vos orateurs sans avoir mesuré l'espace que vous les forcez de parcourir. Au défaut des lumières que vous deviez attendre de votre comité, nous pouvions espérer qu'on particulariserait les articles du décret, et qu'on en rendrait la discussion plus facile en les ramenant à cette simplicité, à cette unité de décision qui concentrent toutes

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