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M. Alexandre de Lameth.

« J'ai demandé la parole pour chercher à établir la question. Personne ne blâmera certainement les mesures prises par le roi; nous pouvons délibérer maintenant, puisque les ordres sont donnés; mais cette question incidente amène une question de principe. Il faut savoir si l'Assemblée est compétente, et si la nation, souveraine, doit déléguer au roi l'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA GUERRE. Voilà la question.

(Un mouvement qui se manifeste dans l'Assemblée indique que cette question, comme un éclair, a soudainement frappé tous les esprits.)

» Il est infiniment simple de traiter cette question avant la question de circonstance, ou bien vous la préjugeriez : le ministre vous l'annonce assez dans sa lettre. Je crois que si vous vous borniez à accorder les subsides demandés on pourrait entraîner la nation au-delà des bornes que notre prudence doit prescrire. Il faut, avant de prendre un parti, connaître toutes les circonstances; il faut savoir ce qui a précédé. La nation ne doit-elle pas être inquiète quand le ministère a laissé près de la cour dont les affaires nous occupent actuellement cet homme, ce ministre appelé au conseil du roi lorsqu'on a entouré l'Assemblée nationale de baïonnettes ? Il est possible qu'il y ait des raisons pour déclarer une guerre; il est possible qu'il existe des arrangemens entre différentes cours, car c'est ici la cause des rois contre les peuples. L'Assemblée nationale doit savoir le motif de cet armement; elle doit examiner si elle peut déléguer le droit de la paix et de la guerre. Cette question ne peut faire aucun doute dans cette Assemblée; le droit d'entraîner des miliers de citoyens loin de leurs foyers, d'exposer les propriétés nationales, de faire verser le sang, ce terrible droit pouvons-nous le déléguer? Je ne le pense pas. Je demande donc que nous discutions d'abord cette question constitutionnelle. On ne nous dira pas que nous délibérons quand il faut agir, puisque le roi a ordonné l'armement. >>

La grande majorité de l'Assemblée donne de vifs applaudissemens à la motion de M. Alexandre de Lameth; elle est combattue par quelques membres, qui demandent l'ajournement; mais tant d'autres l'appuient que l'Assemblée en forme le décret ci-après ( 15 mai 1790):

«L'Assemblée nationale décrète que son président se retirera dans le jour pardevers le roi pour remercier S. M. des mesures qu'elle a prises pour le maintien de la paix ;

» Décrète en outre que demain 16 mai il sera mis à l'ordre du jour cette question constitutionnelle: La nation doit-elle déléguerauroi l'exercice du droit de la paix et de la guerre?»

Et cette grande question constitutionnelle, une des plus fameuses que l'Assemblée nationale ait eu à traiter, devint pendant six jours l'objet d'une discussion lumineuse et profonde qui triompha enfin de l'erreur et de la séduction. Voici les opinions qui ont exercé contradictoirement le plus d'influence sur la délibération.

M. Charles de Lameth. (Séance du 16.)

« Pour décider cette question il faut remonter aux principes qui sont déjà décrétés; on pourra entrevoir comme une conséquence nécessaire l'impossibilité de donner au roi le droit de déclarer la guerre. Quand cette conséquence ne serait pas aussi certáine, quand elle serait contraire au principe, les circonstances où nous nous trouvons exigeraient au moins que la nation conservât ce droit d'une manière provisoire. Il faut analiser d'abord le droit de paix et de guerre: il est la manifestation du vœu général de la nation; or est-ce le roi qui peut exprimer ce vou? Le droit de déclarer la volonté générate ne peut appartenir qu'aux représentans de la nation. Si je pouvais me servir d'une comparaison, je dirais qu'un manifeste de guerre ressemble au déploiement du drapeau rouge dans une cité : ce sont les citoyens élus par le peuple qui déclarent que, d'après la volonté du peuple, et pour la sûreté générale, la force publique va être déployée contre les ennemis de la paix. Il en est de même d'une déclaration de guerre; c'est au corps législatif, c'est à la municipalité par excellence qu'il appartient de la faire.

On dira qu'il n'y a pas d'inconvénient à accorder l'exercice de ce droit au roi parce que vous pourrez refuser des subsides: mais cette objection est absurde et dérisoire : c'est la ressource d'une insurrection qu'on vous propose; car le peuple est en insurrection quand il refuse les subsides pour l'exercice du pouvoir qu'il a confié. Rappelez-vous, messieurs, les raisons pour lesquelles on a écarté cette question lors de la discussion sur le veto: on vous propose un crime pour un remède à un décret.

» Un préopinant a dit qu'il y avait dans une assemblée aussi nombreuse plus de passions que dans un conseil particulier c'est sans doute du conseil des ministres qu'il a voulu parler. Dans une grande assemblée il y a plus de passions pour le bien que de passions perverses; et si quelques suggestions perfides peuvent s'y introduire, c'est souvent par le silence que des membres séduits ont servi les ministres. On a objecté la lenteur, la publicité des délibérations: cela prouve tout au plus que le droit dont il s'agit est difficile à exercer; mais ce n'est pas une raison pour que la nation doive déléguer un droit que le soin de sa liberté exige qu'elle conserve. Ne pourrait-on pas instituer un comité de guerre? Il aurait sans doute des inconvéniens: bravons ces inconvéniens plutôt que de consacrer le plus dangereux, le plus abominables des principes.

» Jetez les yeux sur les malheurs que les guerres ont produits. Montesquieu, dont l'âme n'était pas aussi hardie que le génie était profond, n'a pas dit nettement que l'exercice du droit de faire la paix ou la guerre devait appartenir au roi; en déplorant les guerres de Louis XIV il a aussi fait sentir qu'il reconnaissait le danger de ce droit. Il en coûte à des Français de rappeler des faits nuisibles à la gloire de Henri IV; quand la France, par un crime horrible, a perdu le meilleur des rois, ce monarque allait embraser l'Europe pour la possession de la princesse de Condé....

(C'est une calomnie!- s'écrie l'abbé Maury. L'orateur continue :)

» En supposant que ma citation soit inexacte, le préopi

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