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» J'entends déjà, messieurs, les clameurs de la calomnie.... (Plusieurs voix : Non, non, pas ici!) Elle a si longtemps tourmenté l'auteur du Contrat social! elle a si lâchement et si criminellement entrépris de remuer ses cendres, qu'elle ne pouvait pas sans douté épargner sa veuve!

» Cette femme respectable a été accusée d'avoir avili le nom célèbre de Rousseau dans les bras d'un second mari: c'est dans ce temple des lois qu'on doit venger la veuve du législateur de l'univers, trop longtemps calomniée.

» Non, messieurs, elle n'a jamais manqué à la mémoire de Rousseau: Elle ne voudrait pas changer le titre de sa veuve pour une couronne.... (Applaudissemens.) Ce sont les propres expressions de sa sensibilité que j'ai recueillies, et que je n'ai pu entendre de sa bouche sans émotion.... J'en tiens dans les mains les témoignages authentiques, qui m'ont été remis de la part de MM. les curés d'Ermenonville et du Plessis - Belleville, sur les paroisses desquels elle demeure depuis son veuvage, en y donnant tous les jours l'exemple des bonnes mœurs et de la bienfaisance.

» Si j'avais encore besoin d'autres témoignages, j'invoquerais celui de Rousseau lui-même dans une de ses lettres à M. Dubos :

« Elle a fait, dit-il en parlant de son épouse, elle a fait >> ma consolation dans mes malheurs; elle me les a fait » bénir.

» Et maintenant, pour prix de vingt ans d'attacheinent » et de soins, je la laisse seule, sans protection, dans un » pays où elle en aurait si grand besoin; mais j'espère que >> tous ceux qui m'ont aimé lui transporteront les senti» mens qu'ils ont eus pour moi : elle en est digne; c'est un >> cœur tout semblable au mien. » (Applaudissemens.)

» Athènes éleva la famille d'Aristide aux dépens de la république : que fera la nation française pour la veuve de J.-J. Rousseau? Je ne vous dirai pas qu'elle est vertueuse et indigente, qu'elle est accablée du poids de sa douleur et de ses années vous êtes justes, vous êtes humains, et vous avez à cœur la gloire de la nation.

» Vous penserez peut-être qu'il convient que la veuve de

ce grand homme soit nourrie aux frais du trésor public; mais il ne m'est pas permis d'oublier qu'elle a mis elle-même des bornes à votre bienfaisance; elle ne veut accepter que la somme de 600 livres.... » ( Un grand nombre de voix : Ce n'est pas assez ! )

M. l'abbé Eymard.

« Messieurs, qu'il me soit permis, en appuyant la motion de M. Barrère pour la veuve de J.-J. Rousseau, de vous rappeler celle que j'ai faite moi-même pour vous engager à honorer la mémoire de l'auteur d'Emile et du Contrat social. Je ne répéterai point ce que vous avez pu lire dans une feuille imprimée que j'ai fait parvenir à tous les membres de l'Assemblée; je ne me permettrai dans ce moment qu'une seule réflexion.

>>

Lorsque Rousseau, décrété par le parlement de Paris, rejeté même par sa patrie, qui lui refusait un asile, était réduit à traîner en pays étranger la vie errante d'un proscrit, il écrivait ces propres paroles :

« Oui, je ne crains pas de le dire, s'il existait en Europe » un seul gouvernement éclairé, un gouvernement dont les » vues fussent vraiment utiles et saines, il eût rendu des hon»neurs publics à l'auteur d'Emile; il lui eût élevé des statues. » Je connaissais trop les hommes pour attendre d'eux de la >> reconnaissance; je ne les connaissais pas assez, je l'avoue, » pour en attendre ce qu'ils ont fait. »

» C'est ainsi que, dans l'amertume de son cœur, devait se replier sur lui-même un homme injustement persécuté; il devait chercher dans la conscience de ses intentions le dédommagement de notre ingratitude; la noble fierté de ses sentimens devait l'élever au-dessus de l'injustice dont il était la victime, lorsque sous le règne du despotisme personne n'osait élever la voix pour réclamer contre cette persécution. Aujourd'hui, Messieurs, que, grâce à vous, il existe en France un gouvernement tel que Rousseau eût désiré de l'avoir pour juge, c'est devant ceux mêmes qui ont établi ce gouvernement que je sollicite avec confiance la réparation qui est due à la mémoire de J.-J. Rousseau.

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» Oui, Messieurs, j'ose l'espérer; dans le moment où la plus étonnante et la plus complète des révolutions s'opère en France par la seule force de la vérité et de la raison; lorsque, dans cette grande et périlleuse entreprise, vous n'avez d'autre appui que l'opinion publique, quelle reconnaissance ne devezvous point à celui qui, en éclairant la volonté souveraine de la nation dont vous êtes les organes, vous a mis dans les mains les armes victorieuses avec lesquelles vous avez combattu le despotisme, et assuré pour jamais nos droits et notre liberté ! Je demande, messieurs, au nom de l'honneur national, qu'après avoir donné un grand exemple au monde, cette gloire soit encore réservée à la France, d'avoir, dès l'aurore de sa liberté, rendu les justes hommages qui sont dus à la vertu et au génie; d'avoir, à l'exemple des peuples anciens, honoré d'une manière digne d'elle et digne de lui l'homme immortel qui fut son bienfaiteur, ou plutôt celui du genre humain.

» Voici mon projet de décret, amendé sur la motion de M. Barrère, et sur les observations qui m'ont été faites par quelques membres de l'Assemblée :

« L'Assemblée nationale, voulant rendre un hommage solennel à la mémoire de J.-J. Rousseau, et lui donner, dans la personne de sa veuve, un témoignage de la reconnaissance que lui doit la nation française, a décrété et décrète : » Art. 1er. Il sera élevé à l'auteur d'Emile et du Contrat social une statue portant cette inscription :

LA NATION FRANÇAISE,

LIBRE "

A JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

» Sur le piédestal sera gravée la devise :

Vitam impendere vero.

» Art. 2. Marie-Thérèse Levasseur, veuve de J.-J. Rousscau, sera nourrie aux dépens de l'Etat. A cet effet il lui sera payé annuellement, des fonds du trésor public, une somme de 1200 livres. >>

Applaudissemens unanimes et longtemps prolongés. Le décret, mis aux voix, est aussitôt adopté; et l'Assemblée nationale a vengé en même temps et la France et J.-J. Rousseau.

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LIVRE II.

LÉGISLATION CONSTITUTIONNELLE.

DE L'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA

DISCUSSION.

GUERRE.

Orateurs MM. Alexandre de Lameth, Charles de Lameth, Malouet, Pétion, l'abbé Maury, Fréteau, le comte de Mirabeau, Barnave, Chapelier, de La Fayette, etc.

Le 14 mai 1790 l'Assemblée nationale reçut de M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, une lettre annonçant que des préparatifs de guerre se poussaient vivement en Angleterre et en Espagne; que dans cet état de choses la France ne pouvant rester désarmée, le roi avait donné les ordres pour que quatorze vaisseaux de ligne fussent promptement armés dans les ports de l'Océan et de la Méditerranée : S. M. ne doutait point que l'Assemblée approuvât ces mesures, et décrétât les dépenses qu'elles allaient entraîner.

Dans ce message les amis de la liberté ne virent pas seulement la communication d'un fait; ils y trouvèrent l'occasion précieuse de proclamer, de faire reconnaître un droit sacré de la nation.

La lettre du ministre appela à la tribune un grand nombre d'orateurs les uns pensaient que l'Assemblée n'avait à s'occuper pour le moment que d'une réponse de remerciement et d'approbation; mais d'autres, en majorité, abordaient la question constitutionnellement on dut à M. Alexandre de Lameth de fixer sur ce point la détermination de l'Assemblée.

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