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pionnage et de dénonciation; ces hommes qui n'ont pas entendu la voix, je ne dis pas de l'hnmanité, mais celle de l'honneur, qui a formé nos mœurs dans les siècles les plus barbares, et qui a si justement flétri l'esprit de délation comme une lâcheté, ne méritent de vous aucun égard: il ne faut pas qu'il existe parmi nous des traces d'une loi aussi honteuse (1), et vous ferez cesser par votre décret ces jouissances scandaleuses.

:

» Ce n'est pas le seul abus qui soit né de cette source impure de la confiscation des biens des protestans; du moins l'ancien gouvernement n'avait donné pour prix de la délation qu'un usufruit très-court; mais les ministres avaient autrement abusé de ces biens c'est la propriété même qu'ils ont transportée sur la tête de quelques intrigans, de quelques hommes favorisés, et étrangers aux familles. Le comité a pensé que de pareils dons devaient être révoqués, sans que les brévetaires ou donataires pussent se prévaloir de la prescription, parce qu'on ne peut jamais prescrire une possession originairement vicieuse, et dont le titre abusif est connu ou représenté. » Le gouvernement, par ces donations illégales, avait

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(1) Peut-être croira-t-on difficilement qu'il a existé en France deux lois aussi étranges.

» La première est une déclaration du roi, du 20 août 1685, portant; « Si aucuns de la religion prétendue réformée, qui viennent à sortir » du royaume sans notre permission, et en dérobent la connaissance aux » juges ordinaires des lieux, ceux qui les découvriront et dénonceront » auxdits juges seront mis en possession de la moitié des fonds qu'ils > auront dénoncés dans le pays où la confiscation a lieu, et, où elle n'a » pas lieu, que la moitié des fruits et revenus des biens découverts leur » soient donnés, leur en faisant don dès à présent, nonobstant ce qui » pourrait être opposé au contraire de la part des parens et héritiers. » » La deuxième est un édit du mois de janvier 1688, portant ces paroles :

« Voulons que ceux qui découvriront, dans six mois du jour de l'édit, » des biens des consistoires, ceux des ministres et des fugitifs, cachés » ou recélés, tant en meubles qu'immeubles, il soit donné moitié de » la valeur des meubles, et à l'égard des immeubles ils jouiront, » pendant dix années, de la moitié des revenus d'iceux, pleinement et » paisiblement. » (Note du Rapporteur.)

commis une sorte de sacrilége politique, dont les douataires sont encore aujourd'hui les complices. Le gouvernement, qui était le dépositaire et le conservateur de ces biens, a violé son dépôt en faveur du brévetaire, qui n'avait dû ni pu le demander ni recevoir; et loin que le temps ait consacré cette inique possession, elle est odieuse en proportion de sa durée. Tant que la cause de la détention subsiste, elle est un témoin continuel qui s'élève contre l'infidélité du gouvernement prodigue et du brévetaire usurpateur; c'est une voix éclatante, qui interrompt sans cesse le cours de la prescription.

>> Ici le législateur se trouve placé entre deux devoirs également rigoureux, celui d'écarter les anciens prétextes de retenir les biens des fugitifs, et celui de respecter les droits des possesseurs, quand pour les dépouiller il faudrait livrer la société à d'odieuses recherches, ouvrir un vaste champ aux contestations judiciaires, et se jouer de la foi des contrats c'est alors que le législateur doit sacrifier, à la faveur de la prescription, les droits des anciens propriétaires, depuis longtemps dépouillés. Non, le vice de la possession ne passe ni à l'héritier ni au tiers-acquéreur, quand il ne l'est devenu que par le vice de la loi. Quelle doit être alors la marche de la législation? C'est d'abolir la mauvaise loi pour l'avenir; c'est aussi, en gémissant sur les maux passés, qui seraient irréparables autrement que par de plus grands maux, de faire cesser ceux qui peuvent finir sans injustice, sans désordre et sans secousse politique.

» Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des dons, des concessions, des brevets consentis en faveur d'étrangers: il en est de moins odieux, de moins défavorables; ce sont ceux qui ont été accordés à des parens quelconques des fugitifs, à la charge de rendre à des parens plus proches, s'il s'en présentait pour ceux-là nous avons eru qu'ayant une raison de posséder, ils ne devaient être assujétis qu'à la réclamation dans les cinq ans du jour du décret, à moins qu'ils ne pussent opposer la force de la chose jugée, qui, comme la prescription, est le terme que tous les législateurs opposent aux contestations et aux actions civiles.

» Enfin, le comité a prévu que les suites inévitables des

persécutions d'un siècle entier, les malheurs, les chagrins attachés à une expatriation forcée, avaient pu apéantir plusieurs familles, ou en disperser les malheureux rejetons dans des climats lointains d'après cette idée affligeante il a dû jeter encore dans l'avenir ses regards inquiets, et conserver pour ces Français expatriés ou méconnus le prix des biens qui, dans le cours de trois années, ne trouveront pas de maître légitime; car la nation ne peut jamais prescrire la propriété de ces biens; elle ne peut jamais s'approprier sans crime des patrimoines couverts de deuil et de larmes.

» Je sais que dans l'idiôme des domanistes, des jurisconsultes fiscaux et des bureaux ministériels, la confiscation produit l'union au domaine, et que la confiscation prononcée par les déclarations des mois d'août 1669, juillet 1681 et août 1685, fụt suivie de l'édit de janvier 1688, qui déclare les biens des religionnaires prétendus réformés, qui sont sortis et qui sortiront du royaume au préjudice des édits et déclarations, réunis au domaine, pour être administrés et régis en la même forme que les autres domaines.

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» Mais comment le législateur provisoire pouvait-il prononcer une confiscation des biens par le fait seul? Comment pouvait-il faire exécuter des peines sans des jugemens qui déclarent des coupables? ou plutôt comment osait-il punir pour des opinions religieuses? Et comment osait-il déclarer des coupables pour s'emparer de leurs dépouilles ?, Cependant, il faut l'avouer, le gouvernement fut effrayé de l'injustice de ses propres lois; il chercha d'abord à y jeter un voile religieux, en les consacrant à l'entretien des nouveaux convertis. Bientôt après il démentit les termes de la déclaration de 1688, et fit mettre en régie particulière les biens des religionnaires fugitifs; ils furent séparés de l'administration des domaines, dont ils n'ont jamais pu ni dû faire partie. Ainsi, en aliénant, pour faire cesser une régie dis pendieuse, le peu de biens qui restera à l'expiration des trois années, c'est prendre une précaution sage et économique; la nation deviendra le dépositaire du prix de ces biens, comme elle l'était des biens eux-mêmes.

» En terminant ce rapport je ne puis me défendre, mes

sieurs, du désir de faire passer dans vos cœurs le sentiment profond que m'ont fait éprouver les témoignages donnés par les descendans des fugitifs de l'attachement qu'ils ont conservé pour la France; depuis que votre décret du 10 juillet a retenti dans les diverses contrées de l'Europe il est venu de toutes parts à votre comité et à plusieurs membres de l'Assemblée mille assurances touchantes de la reconnaissance de ces Français envers des législateurs qui allaient les rendre à une patrie vers laquelle ils n'avaient jamais cessé de tendre les bras.

» J'ai dit, de ces étrangers malheureux, que ce sont des Français, et c'est leur véritable nom. Oui, messieurs, ils n'ont jamais cessé de l'être; votre comité vous propose un article aussi juste que politique, qui doit assurer à ces descendans des religionnaires fugitifs le titre de citoyens français.

>> Encore s'il s'agissait de ces cosmopolites qui, étrangers dans tous les pays, ne méritent de trouver nulle part une cité; s'il s'agissait de ces hommes pusillanimes ou orgueilleux qui fuient la patrie quand elle est en danger, ou quand elle traite ses enfans avec égalité, elle serait moins odieuse l'erreur qui prononcerait des déchéances et des privations civiques !

» Mais lorsque des lois tyranniques ont méconnu les premiers droits de l'homme, la liberté des opinions et le droit d'émigrer; lorsqu'un prince absolu fait garder par des troupes les frontières comme les portes d'une prison, ou fait servir sur les galères, avec des scélérats, des hommes qui ont une croyance différente de la sienne; certes alors la loi naturelle reprend son empire sur la loi politique; les citoyens dispersés sur des terres étrangères ne cessent pas un instant, aux yeux de la loi, d'appartenir à la patrie qu'ils ont quittée : cette maxime d'équité honora la législation romaine, et doit immortaliser la vôtre.

» Qu'ils viennent donc au milieu de leurs concitoyens ces êtres malheureux qui gémissent sur un sol étranger, refuge de leurs pères! La patrie n'a jamais cessé de tourner vers eux ses regards affligés; elle a toujours conservé leurs droits;

qu'ils se rassurent donc; il est déchiré ce code absurde et sanguinaire que le fanatisme et la cupidité avaient suggéré à des tyrans et les législateurs de la France apprennent enfin à l'Europe toute la latitude qu'il faut donner également à la liberté des opinions religieuses et à l'état civil de ceux qui les professent!

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Applaudissemens unanimes. Ce rapport était suivi d'un projet de décret que l'Assemblée adopta dans la même séance, et presque sans discussion.

HOMMAGE A LA MÉMOIRE DE J.-J. ROUSSEAU..

Peu de jours après cet acte de justice rendu aux victimes de l'intolérance religieuse, l'Assemblée nationale ajouta encore à sa gloire en honorant la mémoire du grand homme victime de l'intolérance politique; il appartenait aux législateurs de la France régénérée de payer à l'illustre auteur du Contrat social la dette de l'ancienne France.

M. Barrère. (Séance du 21 décembre 1790.)

« Messieurs, vous avez décrété solennellement, dans le mois d'août dernier, que les récompenses publiques pourraient devenir le partage des veuves des hommes qui ont servi la patrie j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui une adresse conforme à ces sages décrets.

>>

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La veuve d'un homme célèbre vient réclamer auprès des représentans de la nation des secours dans l'indigence qui la menace. Cette veuve est celle de J.-J. Rousseau. (Mouvement d'approbation dans toute l'Assemblée.) Elle jouit de quelques modiques pensions, qu'elle ne doit qu'au nom de son illustre époux; mais ce ne sont là que des bienfaits précaires si les titres de ces bienfaits existent, elle ne les connaît pas; ces sources de sa subsistance peuvent se tarir à chaque instant, et la laisser en proie aux angoisses du besoin; et cette crainte est malheureusement trop justifiée par la perte d'un de ses bienfaiteurs dont les enfans paraissent épuiser chaque jour la succession.

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