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qu'on ose dire à vous-mêmes, à la face du peuple qui nous entend, qu'il est des préjugés antiques qu'il faut respecter, comme si votre gloire et la sienne n'étaient pas de les voir anéantis ces préjugés qu'on réclame! qu'il est indigne de l'Assemblée nationale de tenir à de telles bagatelles, comme si la langue des signes n'était pas partout le mobile le plus puissant pour les hommes, le premier ressort des patriotes et des conspirateurs, pour le succès de leur fédération ou de leurs complots! On ose, en un mot, vous tenir froidement un langage qui, bien analisé, dit précisément : nous nous croyons assez forts pour arborer la couleur blanche, c'est à dire la couleur de la contre-révolution....

(Murmures violens de la partie droite; les applaudissemens de la gauche sont unanimes.)

à la place des odieuses couleurs de la liberté! Cette observation est curieuse sans doute; mais son résultat n'est pas effrayant. Certes, ils ont trop présumé.... ( Au côté droit :) Croyez-moi, ne vous endormez pas dans une si périlleuse sécurité, car le réveil serait prompt et terrible!.......

(Au milieu des applaudissemens et des murmures on entend ces mots : c'est le langage d'un factieux.)

» Calmez-vous, car cette imputation doit être l'objet d'une controverse régulière; nous sommes contraires en faits; vous dites que je tiens le langage d'un factieux... (Plusieurs voix de la droite oui! oui!)

» Monsieur le président, je demande un jugement, et je pose le fait.... ( Nouveaux murmures.) Je prétends moi qu'il est, je ne dis pas irrespectueux, je ne dis pas inconstitu tionnel, je dis profondément criminel de meure en question si une couleur destinée à nos flottes peut être différente de celle que l'Assemblée nationale a consacrée, que la nation, que le roi ont adoptée, peut être une couleur suspecte et proscrite! Je prétends que les véritables factieux, les véritables conspirateurs sont ceux qui parlent des préjugés qu'il faut ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage! (Applaudissemens. )

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Non, messieurs, non! leur sotte présomption sera déçue ;

leurs sinistres présages, leurs hurlemens blasphémateurs seront vains! Elles vogueront sur les mers les couleurs nationales! elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la victoire, mais comme celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans !...

» Je demande que la mesure générale comprise dans le décret soit adoptée; qu'il soit fait droit sur la proposition de M. Chapelier concernant les mesures ultérieures, et que les matelots à bord des vaisseaux le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, au lieu du cri accoutumé et trois fois répété de vive le roi, disent: vive la nation, la loi et le roi! »

La majorité salua ce discours par les applaudissemens de l'enthousiasme, et le décret suivant fut proclamé ( 21 octobre 1790):

« L'Assemblée nationale, etc.,

pro

» Décrète que le pavillon de France portera désormais les trois couleurs nationales, suivant les dispositions et la forme que l'Assemblée charge son comité de la marine de lui poser; mais que ce nouveau pavillon ne pourra être arboré sur l'escadre qu'au moment où les équipages seront rentrés dans la plus parfaite subordination.

» Décrète en outre qu'au simple cri de vive le roi, usitć à bord des vaisseaux le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, sera substitué celui de vive la nation, la loi et le roi! »

Nota. Le 12 juillet 1789, lorsqu'on apprit à Paris la disgrâce des ministres et les projets formés contre l'Assemblée nationale, les patriotes adoptèrent la cocarde verte pour signe de ralliement; mais ou s'aperçut aussitôt que cette couleur, étant celle d'un prince de la famille royale, pouvait offrir l'idée d'un parti, et l'on s'empressa de la supprimer. Le lendemain 13 un arrêté du comité de la ville (signé de Flesselles, prévôt des marchands), prescrivit aux citoyens armés les couleurs de la ville de Paris, rouge et bleu. Après la prise de la Bastille on y joignit le blanc en signe d'union, et le 17 du même mois ces trois couleurs réunies furent adoptées par Louis XVI, qui en décora luimême son chapeau devant le peuple assemblé sur la place de Grève, et aux cris de vive le roi, aussitôt répétés dans tout Paris et dans toute la France. C'est des mains de M. Bailly que le monarque reçut et accepta cette cocarde tricolore, ce gage d'alliance, au moment où il allait se montrer à une fenêtre de l'Hôtel-de-Ville. Telle est l'origine du choix de ces couleurs nationales que consacre le décret ci-dessus rapporté.

RESTITUTION DES BIENS CONFISQUÉS POUR CAUSE DE

RELIGION.

Solliciter de l'Assemblée nationale un acte de justice ou d'humanité, c'était l'avoir obtenu. Dans la séance du 10 juillet 1790 M. Marsanne-Font-Julianne proposa, et l'Assemblée adopta sans discussion, le décret qui fait l'objet du rapport suivant :

Rapport fait au nom du comité des domaines, par Bertrand Barrère. (Séance du 9 décembre 1790.)

« Messieurs, je viens, après cent ans d'une législation impolitique et cruelle, porter aux représentans d'une nation juste et libre les réclamations d'un grand nombre de familles malheureuses. Depuis longtemps l'opinion publique réclamait du gouvernement français, en faveur des protestans, un grand acte de justice; mais l'avarice et la dureté du despotisme l'ont toujours retardé il a donc fallu attendre le moment solennel de la justice nationale pour restituer aux descendans infortunés des protestans tous les biens qu'avaient usurpés sur ces familles les erreurs politiques et l'intolérance religieuse.

:

» Vous avez décrété, le 10 juillet dernier, « que les biens » des non catholiques qui se trouvent encore aujourd'hui >> entre les mains dés régisseurs leur seront rendus, ainsi qu'à » leurs héritiers, à la charge par eux d'en justifier aux termes » et selon les formes que l'Assemblée nationale aura décrétés » après avoir entendu l'avis de son comité des domaines. »

» C'est en exécution de ce décret juste, qui a retenti dans toute l'Europe, que le comité des domaines vient vous rappeler aujourd'hui quelques faits, et vous présenter les moyens de restitution de ces biens aux victimes infortunées du fanatisme et de la fiscalité.

» Je ne vous retracerai pas le tableau honteux de ces lois absurdes et tyranniques qui ont déshonoré les derniers temps de notre histoire; je ne vous retracerai pas les persécutions qui ont été la suite déplorable de ces erreurs : c'est à l'inexorable histoire qu'appartiennent les détails de ce règne bril

lant et désastreux que les lettres et les arts ont trop flatté : une simple esquisse de ces persécutions suffira pour vous montrer la justice du décret que vous allez rendre; je vous en développerai ensuite les dispositions.

PREMIERE PARTIE.

» La première émigration qui a produit la régie que vous allez détruire a commencé en 1666. Colbert en a arrêté les funestes effets, en faisant rendre aux protestans les droits dont on voulait alors les dépouiller : mais après son ministère les lois tyranniques reprennent leur empire; l'émigration se renouvelle en 1681; des colons laborieux, des artistes intelligens, des commercans actifs portent dans les royaumes étrangers feurs talens, leurs fortunes et leurs ressentimens : elle est un instant suspendue par les disgrâces de Marillac.

» Ici se présenté une opération devenue malheureusement trop célèbre par les désastres et les scandales qu'elle a produits; opération qui fait encore horreur à l'Europe, et qui á rempli les pays étrangers de nos frères maudissant le gouvernement français. La révocation de l'édit de Nantes et les dragonades mettent le comble à cette grande désertion, qui affaiblit à la fois nos armées et notre marine, qui dépeuple nos manufactures, qui ruine notre commerce, nos finances

et nos arts.

» Alors des jurisconsultes barbares et des ministres cruels, traitant de crime de lèse - nation le droit d'émigrer, qui appartient à l'homme partout où il ne se trouve pas heureux et tranquille, pensèrent que tous les biens des fugitifs devaient être confisqués au profit du roi; et la loi de 1689 fut publiée.

>> Cette loi réunissait au domaine les biens des fugitifs par une confiscation monstrueuse. Bientôt le législateur rougit de la rapacité de sa loi; un zèle de religion lui parut un prétexte honteux de s'approprier la dépouille des protestans; et, pour se faire pardonner cette iniquité, il se dessaisit de sa proie pour l'employer à des œuvres pieuses.

» A ce titre une partie des biens fut donnée à de nouveaux convertis, pour animer, disait-on, leur ferveur; uné

autre partie enrichit des protégés secrets (abus inévitable dans la corruption des cours); ce qui restait fut mis entre les mains des fermiers et des régisseurs, en attendant que le gouvernement déterminât l'emploi qu'en ferait la pieuse intention des ministres.

» Le nombre des fugitifs augmentant chaque jour, en raison de la rigueur des lois, le fise se trouva, dès l'année 1689, possesseur des héritages de plus de cent mille citoyens ume simple dénonciation sans jugement avait suffi pour envahir tant de fortunes particulières.

:

>> Il fut un instant où l'on vit le conseil adoucir ses maximes, et rendre les biens à certains héritiers legitimies; mais la lor imparfaite de 1689 trompa Pattente des protestans, et, conservant dans la tolérance même un esprit de persécution, détermina la fuite de ceux que l'espérance et l'amour de leur pays avaient retenus jusqu'alors.

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» Une émigration semblable suivit l'horrible for de 1715,' qui contraignit aux actes de notre foi ceux mêmes qui s'étaient refusés à une abjuration; de simples régisseurs de leurs biens s'érigèrent en inquisiteurs de la foi, et la cupidité fiscale surpassa cette fois la haine fanatique.

1

» On eût dit, s'écrie un de nos historiens (1), que ces malheureux n'étaient échappés des mains des dragons et des moines que pour retomber dans celles des traitans. Ils veillaient sur la communion pascale; il avaient fait de toute pratique de calvinisme une espèce de contrebande; ils s'intitulaient, par une perfide équivoque commis à la séquestration' des biens des religionnaires fugitifs et de ceux qui ne font pas leur devoir de la religion catholique. A la faveur du double sens renfermé dans ce titre qu'ils se donnaient, l'arbitraire s'établit dans les décisions à un tel point que les intendans surpassèrent dans l'exécution la rigueur des édits, et mirent souvent leur avis personnel à la place de la lor. » Nous finirons le tableau de ces horreurs politiques et fiscales, qui ont eu malheureusement la durée d'un siècle

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(1) M. Rullière, dans ses éclaircissemens sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes.

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