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comité fut adopté, avec une addition à l'article 3, sollicitée ainsi par M. Charles Lameth:

«

<< Je demande que l'Assemblée nationale décrète aussi que les ministres donneront des ordres aux manufactures pour fabriquer des fusils et des baïonnettes. Un très-grand nombre de municipalités m'ont écrit de parler à M. Latour-Dupin pour demander des armes; sans cela elles ne pourraient résister aux efforts des ennemis de la révolution. S'il y en avait eu à Montauban le parti patriote n'aurait pas succombé. J'ai communiqué plusieurs lettres au ministre : tantôt il m'a dit qu'il ferait tout son possible, tantôt il m'a répondu négativement. Qu'on réfléchisse un peu sur les circonstances, et on verra qu'on veut nous mettre sur les bras toutes les puissances voisines. Sous Louis XIV un peuple esclave leur a tenu tête; sous le règne de la liberté nous ne devons avoir aucune inquiétude : mais pour que le courage de la nation inspire une juste confiance il faut qu'elle soit armée. Une révolution a, comme une maladie, ses périodes et ses crises: vous avez vaincu les ennemis du dedans; il reste à combattre les ennemis du dehors. En un seul jour la ville de Paris rendit la France libre; c'est son exemple qu'il faut suivre; mais pour cela, je le répète, il faut des armes. Je demande donc que le ministre donne des ordres pour la fabrication continue des armes. >>

Voici ce décret du 28 juillet 1790:

« Art. Ier. L'Assemblée nationale déclare que, conformément au décret du 28 février, accepté par le roi, le passage d'aucune troupe étrangère sur le territoire de France ne doit être accordé qu'en vertu d'un décret du corps législatif, sanctionné par Sa Majesté.

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Qu'en conséquence les ordres émanés du secrétariat de la guerre, et adressés aux commandans des frontières du royaume, seront réputés non avenus; cependant l'Assemblée nationale se réserve de statuer sur le passage demandé par l'ambassadeur du roi de Hongrie lorsqu'elle aura connaissance du nombre de troupes, des différentes espèces d'armes

et attirails de guerre, de l'ordre, de leur objet, de leur destination.

» Art. II. L'Assemblée nationale, instruite des plaintes portées par ledit ambassadeur du roi de Hongrie, et voulant maintenir les principes de justice qu'elle a annoncé prendre pour base de ses décrets, et pour unique motif des armemens qu'elle ordonnera, charge son président de se retirer par devers le roi pour prier Sa Majesté de donner des ordres précis à l'effet d'entretenir la police la plus sévère, et de prévenir toute infraction au droit des gens.

» Art. III. Décrète en outre que le roi sera prié de prendre vis-à-vis les puissances actuellement en guerre les précautions nécessaires pour la liberté du commerce français, et notamment sur la Meuse.

>>

» Et attendu les réclamations de plusieurs municipalités des frontières à l'effet d'être armées pour soutenir la constitution qu'elles ont jurée, et assurer la tranquillité publique.

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» L'Assemblée décrète que les ministres du roi seront tenus de donner au comité militaire connaissance des demandes d'armes et munitions qui seront faites par les municipalités des frontières, de l'avis des directoires de département, et d'y joindre l'état des armes et munitions distribuées à ces municipalités.

» Décrète en outre que le roi sera supplié de donner les ordres les plus prompts pour la fabrication des canons, fusils et autres armes, et pour les munitions nécessaires, le tout suivant les prix et conditions qui auront été communiqués au comité militaire; que le roi sera prié de faire distribuer des armes aux citoyens partout où la défense du royaume rendra cette précaution nécessaire, et ce sur la demande des directoires. >>

Dans la même séance du 28 M. Aiguillon avait fait la motion suivante :

« J'ai demandé la parole pour appuyer l'avis des commissaires, et ajouter une clause qui me paraît nécessaire. La disposition de suspendre le passage des troupes autrichiennes est extrêmement sage: les nations voisines n'y verront que de

la prudence; mais dans mon opinion les ministres ne me paraissent pas aussi innocens qu'au préopinant. Nous ne pouvons nous dissimuler les inquiétudes que donne l'état politique de l'Europe: la Prusse est sur le point de faire la guerre avec la Hongrie; on assure qu'une des clauses du traité sera de soutenir les prétentions des princes d'Allemagne. D'un autre côté les intentions de la Sardaigne sont peu connues; mais on sait qu'elle fait des rassemblemens de troupes. L'Angleterre négocie avec la Savoie, avec la Bohême, même avec la Prusse, pour appuyer les projets contraires à la révolution française. Nous voyons en même temps éclater dans les provinces méridionales des signes d'insurrection, excités certainement par les mauvais patriotes, et peut-être même par les nations voisines. Apprécions dans cet état critique la conduite du ministre des affaires étrangères : il dit qu'il n'a pas rendu compte à l'Assemblée de notre situation politique à cause des fêtes de la confédération, qu'il se disposait à envoyer incessamment un mémoire à ce sujet : voilà un acte constaté d'une négligence dangereuse et coupable. Une armée autrichienne demande un passage sur le territoire de France; alors le ministre, malgré un de vos décrets, et sans qu'aucun traité obligeât à la réciprocité, engage M. Latour-Dupin à donner les ordres pour autoriser ce passage: était-il possible dans cette circonstance de se porter, sans le consentement de l'Assemblée nationale, à une démarche qui peut nous plonger dans les horreurs de la guerre! S'il existe un traité secret jamais l'Autriche n'aurait eu une plus belle occasion de s'emparer de nos frontières pour pénétrer ensuite dans l'intérieur du royaume. Il serait essentiel d'ajouter au projet de décret que l'Assemblée, improuvant la conduite du ministre des affaires étrangères, le déclare personnellement responsable des événemens qui seraient les suites d'ordres donnés d'une manière imprudente ou perverse. (Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) Il est essentiel de nous occuper de notre situation actuelle; il faut que la nation française développe tous ses efforts, déploie toute sa vigueur, afin de détruire la confiance des ennemis de la chose publique; il est nécessaire que l'Assemblée soit éclairée sur les moyens. Je rénouvelle en conséquence, la proposition

faite hier de nommer sur le champ un comité de huit personnes, pour se concerter avec le ministre des affaires étrangères, et donner à l'Assemblée les renseignemens exacts et détaillés dont elle pourrait avoir besoin. >>

La motion de M. Aiguillon ayant été reproduite et modifiée le lendemain 29, l'Assemblée rendit le décret sui

vant :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il sera nommé un comité de six membres, chargés de prendre connaissance des traités existant entre la France et les puissances étrangères, et des engagemens respectifs qui en résultent, pour en rendre compte à l'Assemblée au moment où elle le demandera. »

Nous n'avons rapporté les principaux traits de cette discussion qu'afin seulement de prendre date des premières tentatives faites chez l'étranger contre la liberté française; et d'ailleurs, si l'on veut bien l'observer, il y a une sorte de corrélation historique entre les circonstances que nous venons de rappeler et celles qui font l'objet des deux articles suivans.

PROPOSITION DU RETOUR A L'ANCIEN ORDRE DE

CHOSES. - DÉCRET DE L'ASSEMBLÉE QUI DÉCLARE CETTE PROPOSITION LE PRODUIT D'UNE IMAGINATION EN DÉLIRE.

Orateurs: MM. Duval (d'Espréménil), Alexandre Lameth, Mathieu Montmorency, Cazalès, Charles Lameth.

Les lecteurs nous pardonneront sans doute de reposer un instant leur attention sur un fait qui pourra les égayer, en même temps qu'il montrera jusqu'à quel point la résistance à l'opinion publique peut pervertir le jugement particulier. Nous ne nous serions pas arrêtés sur ce fait si certains hommes de nos jours n'eussent aussi rêvé le grand projet que M. Duval (d'Espréménil) osa présenter le 29 septembre 1790; mais le décret rendu dans cette circonstance

par l'Assemblée nationale réglera la censure que méritent parmi nous les partisans du retour à l'ancien ordre de choses.

L'Assemblée délibérait sur la grande question des assignats. M. Duval annonce qu'il a un projet dont l'exécution peut opérer la liquidation de la dette publique, le rétablissement de la tranquillité générale, en un mot sauver la France. Il obtient la parole. Dès les premiers mots il est interrompu d'un côté par des éclats de rire, et de l'autre par les reproches du président, qui lui interdit la satire des décrets de l'Assemblée. L'orateur supplie qu'on l'écoute sans interruption jusqu'au bout; il proteste sur son honneur que le royaume est perdu si son projet n'est pas adopté, et que l'Assemblée se couvrira de gloire aux yeux de toute l'Europe en revenant sur quelques-uns de ses décrets. L'Assemblée décide que, par respect pour la liberté des opinions, M. Duval sera entendu. Voici les principales dispositions de son projet :

« L'Assemblée nationale, toujours animée du zèle du bien public, avertie par l'expérience qu'elle n'obtiendra pas la paix tant qu'une défiance, bien ou mál fondée, éloignera une partie des citoyens de leur patrie, a décrété et décrète :

>> La caisse d'escompte reprendra ses opérations originaires; les quatre cent millions d'assignats décrétés seront rendus à leur valeur primitive, etc.;

» Le clergé sera rétabli dans la possession de tous les biens dont il jouissait ;

» Les parlemens seront rétablis cours souveraines, et la justice reprendra son arcien cours;

» Tous les citoyens seront rétablis dans leurs propriétés, les nobles dans leurs titres et dans leurs droits;

» Le décret qui prescrit l'aliénation des domaines de la couronne sera regardé comme non avenu;

» La juridiction prévôtale sera rétablie;

» La maréchaussée sera augmentée d'un tiers;

» Les princes du sang seront priés de rentrer dans le royaume ;

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