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plusieurs de ces fédérations; elle est jalouse d'en proposer une à son tour. Toutes nos sections se sont réunies pour un même sentiment et pour un seul vœu; c'est celui d'une fédération générale de tous les départemens, celui de ne plus former qu'une garde nationale, animée d'un même esprit pour défendre la liberté publique, pour faire respecter les lois de l'empire et l'autorité légitime du monarque. On admire partout le zèle, le courage et le patriotisme de la garde nationale : nous en pouvons juger ici par l'armée parisienne; on voit que c'est la vertu civique qui lui a fait prendre les armes, et en observant la composition et la tenue de ce corps, qui a crû tout à coup au milieu de nous, on reconnaît un général citoyen qui commande une armée de citoyens.

» La fédération de tous les corps civils et de toutes les gardes nationales du royaume doit être faite et jurée par des députés réunis dans une seule ville; et si nous osons proposer l'enceinte de nos murs pour cette auguste réunion, c'est qu'elle doit être établie sous la protection de la loi, en présence des législateurs qui en sont la source, et du meilleur des rois, qui est dépositaire de la force publique : c'est devant vous et sous ses yeux que doit s'opérer tout ce qui peut contribuer au salut de la France et au bonheur du peuple.

» Nous proposons à nos frères de venir par députés des districts et des départemens se réunir à nous, dans nos murs, en votre présence, et d'ajouter au serment civique déjà prêté par tous les Français celui d'être tous inséparablement unis, de nous aimer toujours et de nous secourir, en cas de nécessité, d'un bout du royaume à l'autre; et nous proposons que cette réunion, que cette fédération générale soit jurée le 14 juillet prochain, que nous regardons tous comme l'époque de la liberté : ce jour sera destiné à jurer de la défendre et de la conserver.

» Cette liberté vous est due, messieurs! C'est sur vos décrets qu'elle est établie, c'est sur la loi qu'elle repose. Nous désirons que cette fédération générale obtienne votre suffrage; nous demandons que vous l'honoriez de votre pré

sence. Alors vous entendrez autour de vous répéter le cri de vive la loi, et cette loi est votre ouvrage; le roi verra un grand nombre de ses enfans se presser autour de lui, élever un cri de vive le roi, prononcé par la liberté, et ce cri sera celui de la France entière! »

Décret de l'Assemblée nationale.

L'Assemblée nationale accueillit avec empressement le vœu si bien exprimé de la commune de Paris. Divers décrets, successivement rendus, prescrivirent les dispositions nécessaires à la grande solennité qui allait pour ainsi dire réunir dans Paris la France entière. L'un de ces d'crets donna lieu à une discussion des plus importantes; il avait pour objet, non la vaine étiquette des cours, mais l'ordre à observer dans ces augustes cérémonies où les nations libres doivent se montrer dans tout l'éclat de leur puissance et de leur majesté. Pour l'intelligence de cette discussion il est indispensable de connaître le décret; le voici tel qu'il fut d'abord proposé par M. Target, au nom de comité de constitution, dans la séance du 9 juillet 1790:

er

Art. 1. « Le roi sera prié de prendre le commandement des gardes nationales et des troupes envoyées à la fédération générale du 14 juillet présent mois, et de nommer les officiers qui exerceront ce commandement en son nom et sous ses ordres.

Art. 2. » En toutes cérémonies publiques le président de l'Assemblée nationale sera placé à la droite du roi, et sans intermédiaire entre le roi et lui.

» Les députés seront placés immédiatement tant à la droite du président qu'à la gauche du roi.

Art. 3. » Après le serment qui sera prêté par les députés des gardes nationales et autres troupes du royaume, le président de l'Assemblée nationale répétera le serment prêté le 4 février dernier, après quoi les membres de l'Assemblée, debout et la main levée, prononceront ces mots: Je le jure. Art. 4. » Le serment que le roi prononcera ensuite sera conçu en ces termes: Moi, premier citoyen, roi des Fran

çais, je jure à la nation d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'Etat à maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi, et à faire exécuter les lois. »

DISCUSSION.

M. l'abbé Maury. (Séance du 9 juillet 1790.)

Quelque danger qu'il puisse y avoir à venir énoncer son vœu sur des questions constitutionnelles infiniment délicates par leur nature, plus encore par les circonstances, et qu'il a été impossible de méditer, j'ai cru qu'il était de la dignité d'un représentant du peuple français de faire hommage à l'Assemblée des réflexions qu'a pu lui suggérer la lecture rapide d'un projet de cette importance; il est dans la nature de notre gouvernement, et surtout dans nos cœurs, que la France est une monarchie. Le principe le plus essentiel d'une monarchie c'est que le chef suprême de l'Etat est le seul dépositaire de la force publique. S'il existait en France une force armée indépendante du monarque, la France ne serait pas une monarchie.

» J'ai donc dû être sensiblement affecté lorsque j'ai entendu le comité de constitution vous proposer de prier le roi de prendre le commandement des troupes et des gardes nationales. Une pareille proposition me paraît peu conforme à la majesté du roi des Français. Cette formule semble indiquer qu'on pouvait proposer à un autre citoyen, sous les yeux mêmes du roi, de prendre le commandement de cinquante ou soixante mille hommes le jour où ce citoyen recevrait de vous le commandement vous auriez établi deux rois comme à Sparte, et ce manichéisme politique renverserait la monarchie. Je demande donc, par amendement à l'article 1er, que l'Assemblée déclare que toutes les troupes rassemblées au Champ-de-Mars n'auront pas d'autre chef que le chef suprême de la nation, déjà déclaré par la constitution chef suprême de l'armée. (On applaudit de toutes parts.)

J'aborde le second article. Je pense que le président

de l'Assemblée nationale doit être placé à la droite du roi, sans intermédiaire, et les députés tant à la droite du président qu'à la gauche du roi, qui sans doute ne peut avoir un plus noble cortége. Mais dans une monarchie hérédi taire, où il est de principe constitutionnel que la royauté doit passer de mâle en mâle, suivant l'ordre de primogéniture, ne doit-on pas vouer un respect particulier aux princes qui peuvent succéder à la couronne? Ne doit-on pas accorder une place d'honneur aux princes du sang qui pourront accompagner Sa Majesté? (Murmures.)

» Je me serais bien mal expliqué si l'on concluait que je demande un intermédiaire entre le roi et la nation : il ne peut y en avoir les distinctions qu'on accorde dans les assemblées publiques à ceux que leur naissance unit à la majesté du trône ne sont qu'un hommage de plus rendu au roi. Ne sait-on pas qu'il existe toujours entre eux et le monarque, selon l'expression très-familière, mais très-énergique, de Montesquieu, l'épaisseur d'un royaume? Le dauphin, la compagne du monarque, ne doivent-ils pas jouir des mêmes honneurs que le monarque? S'il s'agissait d'établir une hiérarchie de puissance, sans doute je dirais : il n'y a rien, il ne peut rien y avoir entre le roi et la nation; mais il s'agit d'honorer la nation et le roi, en honorant la famille royale, la famille du roi; il s'agit d'une cérémonie où le roi ne paraîtra pas pour exercer sa puissance; il se trouvera pour la première fois au sein de la grande famille. Ajoutez aux sentimens dont il sera frappé la satisfaction intime et domestique d'être au milieu de sa famille propre, qui est aussi la famille de l'Etat, le patriotisme nous invite à remplir l'âme de notre roi de ces émotions délicieuses qu'il fait si bien éprouver; multiplions ses consolations et ses jouissances; ne le séparons pas de son fils, de sa compagne, dans un moment où il jouira de tant de biens à la fois, où il contractera tant d'engagemens.

» Généreux représentans d'un peuple libre, d'un peuple célèbre par son amour pour ses rois, n'imitez pas ces despotes de l'Orient qui renferment dans une prison toute leur famille, qui condamnent l'héritier du trône à larguir dans

l'esclavage, et qui ne l'arrachent à son cachot que pour en faire le lendemain le plus absolu des despotes. Puisque votre trône est héréditaire, puisque c'est là une maxime fondamentale de l'Etat, la nation ne peut trop décerner d'honneurs à ceux qui y ont des droits. C'est par cette affluence d'hommages que vous pourrez récompenser votre roi d'avoir réhabilité la nation dans tous ses droits : vous ne voulez pas que la famille de notre monarque soit la seule à qui il reste des désirs à former dans ce jour à jamais solennel.

»

J'adopte le troisième article tel qu'il est proposé par le comité. Quant au quatrième, je ne m'oppose pas aux promesses glorieuses que le roi doit y faire de maintenir la constitution qu'il a acceptée; mais je désirerais que le vœu de l'Assemblée ne fût pas énoncé par une formule impérative; je voudrais que le serment du roi des Français ne fût pas différent de celui de tous les Français. C'est là qu'il sera beau de le voir se confoudre avec eux; c'est là que son patriotisme et ses vertus pourront se livrer à toute leur énergie. Invitons-le donc par une députation à prendre en considération le serment que prêteront et l'Assemblée nationale et les députés de la France armée. Invitons-le à le prêter lui-même : il est des sermens qui sont particuliers au roi; ce n'est qu'à son sacre qu'il les prête. Cette disposition ne préjugera rien ni sur le serment ni sur la signature que vous exigerez de lui lorsque l'ouvrage de la constitution sera terminé. Est-il quelque chose de plus propre à entretenir l'harmonie entre la nation et le roi que de l'entendre exprimer au milieu des députés de toutes les parties da royaume le même sentiment que ses sujets! Le plus bel acte de patriotisme que puisse faire un roi, c'est sans doute, à l'exception de la fidélité qui lui est due, de prononcer le même serment que tous les individus soumis à son empire. Tel est le serment que, dans mon opinion, le roi peut être invité à prêter. >>

M. le président.

« Je dois rendre compte à l'Assemblée que lorsque je me suis rendu hier chez le roi pour présenter plusieurs décrets

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