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» Les observations qu'on a présentées en parlant des noms et des titres s'appliquent de même à la proscription des armoiries; on aperçoit seulement que, devenues presque libres depuis longtemps, il y a d'autant moins de motifs pour en ordonner la suppression. Rien n'est certainement plus indifférent au peuple que l'existence de ces armoiries; cependant leur suppression peut facilement se lier dans son esprità d'autres idées, et devenir ainsi un motif ou un prétexte pour s'élever contre ceux qui se détacheraient lentement de ces distinctions inhérentes les unes aux vieilles pierres de leurs châteaux, et les autres aux antiques marbres qui couvrent la cendre de leurs ancêtres. Il est des temps où la sagesse, où la simple bonté peut-être invitent à n'ordonner aucune disposition, aucun mouvement qui ne soient essentiellement nécessaires.

» Les livrées sont successivement devenues aussi libres que les armoiries; leur proscription néanmoins serait, entre tous les retranchemens de distinctions extérieures, le seul qui pourrait être agréable à une portion du peuple, en supposant encore que la classe de citoyens vouée par choix à l'état de domesticité attache quelque intérêt à ce changement; mais il occasionnera le désœuvrement d'un grand nombre d'ouvriers adonnés à la fabrication des galons et des rubans qui composent ces livrées. Les principales manufactures en ce genre sont à Paris, et les consommations certaines qu'offrait la capitale avaient mis en état d'étendre ces établissemens au degré nécessaire pour entretenir un assez grand commerce extérieur.

>> On croit devoir terminer les observations contenues dans

donc bien permis, au mois de juin 1790, de penser que le ci-devant seigneur d'une paroisse, redevenu simple propriétaire, n'a pas plus le droit d'en porter le nom que les autres propriétaires du même lieu.

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Quant aux armoiries et aux livrées, vains hochets de la vanité, attributs gothiques d'une chevalerie qui ne subsiste plus, elles doivent tomber de même sous la faux de l'égalité constitutionnelle : les La Rochefoucauld, les Montmorency, les Menou, les Lameth, les d'Aumont et tant d'autres ne croiront pas perdre à les échanger contre des cou ronnes civiques.

Ce ne sont pas ceux dont je parle qui réaliseront votre crainte de

ce mémoire par une réflexion générale; c'est qu'en poursuivant dans les plus petits détails tous les signes de distinctions on court peut-être le risque d'égarer le peuple sur le véritable sens de ce mot égalité, qui ne peut jamais signifier chez une nation civilisée, et dans une société déjà subsistante, égalité de rang ou de propriété. La diversité des travaux et des fonctions, les différences de fortune et d'éducation, l'émulation, l'industrie, la gradation des talens et des connaissances, toutes ces disparités productrices du mouvement social entraînent inévitablement des inégalités extérieures, et le seul but du législateur est, en imitation de la nature, de les réunir toutes vers un bonheur égal, quoique différent dans ses formes et dans ses développemens.

>> Tout s'unit, tout s'enchaîne dans la vaste étendue des combinaisons sociales, et souvent les genres de supériorité, qui paraissent un abus aux premiers regards de la philosophie, sont essentiellement utiles pour servir de protection aux différentes lois de subordination, à ces lois qu'il est si nécessaire de défendre, et qu'on attaquerait avec tant de moyens si l'habitude et l'imagination cessaient jamais de leur servir d'appui. »

Projet pour la lettre du roi.

<< Le décret de l'Assemblée nationale concernant les titres, les noms et les armoiries, afflige, avec de justes motifs, une classe nombreuse de la société, sans procurer aucun avantage

voir passer les ci-devant nobles dans des terres étrangères. Quant aux autres, lorsque la première chaleur du ressentiment sera apaisée, l'amitié de leurs frères saura les dédommager des malheurs et des pertes du moment; ils n'ont pas oublié qu'ils sont Français; l'honneur et la loyauté percent à travers leurs erreurs ; ils ne fuiront pas devant la patrie qui leur tendra les bras pour les retenir.

» Enfin les temps sont arrivés où les préjugés de tout genre doivent disparaître à la voix de la raison! Le préjugé de vanité, tiré des belles actions de nos ancêtres, a une analogie parfaite dans son principe avec le préjugé d'infamie qui flétrissait la postérité des coupables, contre lequel l'opinion publique a déjà prononcé par de grands exemples.

» Bonnes ou mauvaises, les actions des autres ne doivent influer ni en bien ni en mal sur l'opinion qu'on a de nous, et quand le fils ne

au peuple; et comme, malgré son importance, il a été adopté dans une seule séance, ces diverses considérations m'ont déterminé à communiquer à l'Assemblée nationale quelques observations à ce sujet; je lui demande de les examiner, et si elle persiste en tous les points dans son opinion, j'accepterai le décret, et par déférence pour les lumières de l'Assemblée nationale, et parce que j'attache un grand prix à maintenir entr'elle et moi une parfaite harmonie. »

FÉDÉRATION DU 14 JUILLET.

Discours relatifs à cette féte.— Discussion sur la question de savoir quelles places doivent occuper, dans les cérémonies publiques, le roi, sa famille et le président de l'Assemblée nationale.

Il est des événemens, il est des souvenirs dont la grandeur est tellement sublime et sainte, qu'on n'ose les qualifier sans craindre d'affaiblir l'admiration qui leur est due. Eh! quelles épithètes, quels mots à placer en effet près de ces mots qui forment seuls le plus majestueux des monumens: FÉDÉRATION DU 14 JUILLET! Quatorze juillet, anniversaire de la prise de la Bastille, de la naissance de la liberté ! Malheureux le Français à qui ces mots n'en diront pas assez! Que si notre tâche nous le permettait, nous aimerions à conduire les lecteurs dans cette enceinte où la France, tout entière réunie, éternisa sa plus belle conquête; mais notre seul devoir est de rappeler l'expression des désirs, des vœux et des volontés qui ont

trouve plus le déshonneur au pied de l'échafaud de son père, il ne doit pas davantage s'honorer des lauriers de ses aïeux.

» Voilà, monsieur, le langage de la saine philosophie ! voilà celui qu'aurait tenu le roi des Français, le père et l'ami de la constitution, si ceux qui l'entourent avaient voulu le livrer à la droiture de son esprit !

› N'espérez donc point parvenir à faire changer ou modifier un décret fondé sur de tels principes; il est des vérités éternelles contre lesquelles tous les efforts des hommes seront toujours impuissans, »

préparé la grande journée nationale, fête immortelle dont la première idée est due à la commune de Paris (1). Discours du maire de Paris (Bailly) à l'Assemblée nationale, séance du 5 juin 1790.

«Messieurs, un nouvel ordre de choses s'élève, et va régénérer toutes les parties du royaume, comme toutes les branches de l'administration. Déjà la division des provinces ne subsiste plus, cette division qui faisait en France comme autant d'états séparés et de peuples divers; tous les noms

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(1) Adresse des citoyens de Paris à tous les Français.

Chers et braves amis, jamais des circonstances plus impérieuses n'ont invité tous les Français à se réunir dans un même esprit, à se rallier avec courage autour de la loi, et favoriser de tout leur pouvoir l'établissement de la constitution.

» Dix mois sont à peine écoulés depuis l'époque mémorable où des murs de la Bastille conquise s'éleva un cri soudain : Français, nous sommes libres! Qu'au même jour un cri plus touchant se fasse entendre Français, nous sommes frères !

» Oui, nous sommes frères, nous sommes libres, nous avons une patrie! Trop longtemps courbés sous le joug, nous reprenons enfin l'attitude fière d'un peuple qui reconnaît sa dignité !

» Ce vœu que nous avons tous formé, ce vœu du plus chéri des rois, nous vous proposons de l'accomplir aujourd'hui.

» Nous ne sommes plus Bretons ni Angevins, ont dit nos frères de la Bretagne et de l'Anjou : comme eux nous disons: Nous ne sommes plus Parisiens; nous sommes tous Français.

» Vos exemples, et les dernières paroles du roi, nous ont inspiré un grand dessein : vous l'adopterez; il est digne de vous.

» Vous avez juré d'être unis par les liens indissolubles d'une sainte fraternité, de défendre jusqu'au dernier soupir la constitution de l'Etat, les décrets de l'Assemblée nationale, et l'autorité légitime de nos rois. Comme vous, nous avons prêté ce serment auguste : faisons, il en est temps, faisons de ces fédérations une confédération générale !

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Qu'il sera beau le jour de l'alliance des Français ! Un peuple de frères, les régénérateurs de l'empire, un roi citoyen, ralliés pour un serment commun à l'autel de la patrie, quel spectacle imposant et nouveau pour les nations!

» Nous irions aux extrémités du royaume nous unir à vous; mais c'est dans nos murs qu'habitent nos législateurs et notre roi; la reconnaissance nous retient et nous appelle auprès d'eux ; nous leur offrirons

se confondent dans un seul; un grand peuple ne connaît plus que le nom de Français; c'est le nom d'un peuple libre il n'y a plus qu'un devoir, celui de la soumission à la loi et au roi; il n'y a plus qu'un sentiment, celui de l'amour et de la fraternité. C'est sur ces bases que vont reposer et la paix et la prospérité de cet empire. Notre union fait notre force; il est donc important pour la chose publique que cette union soit de plus en plus étendue et limitée.

» Déjà des assurances de fraternité circulent dans toutes les villes du royaume; déjà des fédérations particulières se sont établies entre les gardes nationales; la capitale a reçu de toutes parts et des gages d'amitié et des promesses de secours. La commune de Paris est empressée de rendre ct ces promesses et ces témoignages d'amitié; elle a adhéré à

ensemble, pour prix de leurs vertus et de leurs travaux, le tableau touchant d'une nation reconnaissante, heureuse et libre.

> Vous serez avec nous, braves guerriers, nos frères d'armes et nos amis; vous qui nous avez donné l'exemple du civisme et du courage; vous qui avez trompé les projets du despotisme, et qui avez senti que servir la patrie c'était accomplir vos sermens!

» Et vous dont la présence nous eût été si chère, Français que les mers ou d'immenses intervalles séparent de nous, vous apprendrez, en recevant l'expression de nos regrets, que nous nous sommes rapprochés par la pensée, et que malgré les distances vous étiez placés au milieu de nous à la fête de la patrie!

» C'est le 14 juillet que nous avons conquis la liberté; ce sera le 14 juillet que nous jurerons de la conserver : qu'au même jour, à la même heure, un cri général, un cri unanime retentisse dans toutes les parties de l'empire, vive la nation, la loi, le roi! Que ce cri soit à jamais celui de ralliement des amis de la patrie, et la terreur de ses ennemis !

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» Non, Français, la patrie, la liberté, la constitution n'auront plus d'ennemis. Bientôt tous ces hommes qui portent encore et semblent chérir leurs fers s'éleveront à la hauteur de nos communes destinées ; ils aspireront à l'honneur de voir leurs noms inscrits dans ce pacte defamille, monument de notre gloire et garant éternel de la félicité de cet empire! »

(Cette adresse, lue à l'Assemblée nationale dans la séance du 5 juin 1790, a été rédigée par MM. Bourtibonne, Pons de Verdun et Pastoret, commissaires nommés par la commune de Paris.)

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